Macron en itinérance mémorielle jusqu’au 11 novembre : de Paris à Bruxelles en passant par Berlin

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Pendant une semaine, le président Macron aura fui Paris pour ce qu’il nomme une « itinérance mémorielle » sur le front de la Grande guerre, à clore le 11 novembre à l’arc de triomphe. Une manière d’illustrer la « souveraineté européenne » qu’il veut établir avec Berlin sous l’égide de Bruxelles.
 
On peut toujours chipoter, mais l’itinéraire d’Emmanuel Macron dans l’Est, de l’Alsace à Verdun, en passant par le chemin des Dames et Notre Dame de Lorette, passe par la plupart des lieux symboliques de la guerre 14-18 – sur le front de l’Ouest, s’entend, car il aurait été gênant vis à vis d’Erdogan d’aller visiter Gallipoli, et compliqué de suivre les mouvements de l’armée Sarrail. Maintenant, la question est de savoir ce qu’il est allé chercher dans sa quête mémorielle jusqu’au 11 novembre. Où entend-il nous mener ? Où veut-il en venir ?
 

Macron récrit l’histoire par son itinérance mémorielle 

 
La réponse se trouve dans sa volonté patiente de réécrire l’histoire : à l’Ouest, enfin, du nouveau ! Macron aime revisiter l’histoire. Il le fait selon la recette du charcutier qui inventa le pâté de cheval et d’alouette. Une alouette de Jeanne d’Arc (normal, aurait dit Anouilh), un cheval de repentance en Algérie (« crime contre l’humanité » perpétré par les Français, affaire Audin).
 
Cela éclaire son « itinérance mémorielle » sur le front de la Grande guerre. Notre estimé confrère le Monde pense que c’est une « recherche de héros » propre à réunir et galvaniser les Français. En 2016, Emmanuel Macron écrivait en effet dans son livre Révolution : « On ne construit pas la France, on ne se projette pas en elle si on ne s’inscrit pas dans son histoire, sa culture, ses racines, ses figures ». Une déclaration capitale : l’histoire qu’il raconte, la culture et les figures qu’il célèbre peignent en quelque sorte les racines qu’il choisit et la France qu’il entend construire.
 

Paris et Bamako à Reims en prélude au 11 novembre

 
Il est aujourd’hui trop tôt pour conclure avec certitude, mais deux étapes de cette itinérance mémorielle indiquent une direction générale. Il s’agit de quitter la France de papa centrée sur Paris pour une France mondialisée soumise à la souveraineté européenne symbolisée par Bruxelles.
 
Si Bruxelles est la capitale actuelle de la Belgique, Reims en fut l’une des capitales sous l’empire romain. Le séjour que vient d’y faire Macron n’a pas commémoré ce fait, ni Clovis, ni Saint Remi, ni le sacre de Charles VII avec Jeanne d’Arc, mais, bizarrement, les soldats coloniaux subsahariens que l’on nommait à l’époque « Sénégalais », auxquels un mémorial particulier a été consacré, en compagnie du président malien Boubakar Keita. Il en est mort trente mille, nous dit Wikipédia, tirés de leurs savanes et forêts pour défendre les Vosges.
 

L’itinérance mémorielle de Macron dévoile son projet politique

 
Cette initiative aimable n’est pas justifiée par quelque urgence historique que ce soit. La mémoire des « soldats de la grande France » a été entretenue avec faste entre les deux guerres, et pas seulement par les commémorations militaires ou les expositions coloniales. La littérature populaire y a contribué grandement, il suffit de se rappeler Arsène Lupin et son Triangle d’or.
 
Et si l’on s’en tient à la seule ampleur du sacrifice, la Bretagne a perdu entre 1914 et 1918 au moins 150.000 de ses fils, ce qui fait cinq fois plus en valeur absolue, et encore beaucoup plus si l’on rapporte le chiffre aux populations totales. 
 
La mémoire célébrée par Macron sert à satisfaire « les Noirs », donc à acheter la paix civile dans certaines banlieues et à promouvoir une France métissée. Notez bien, comme disait Montaigne, que je ne blâme ni ne loue. Je décris. La mémoire, que l’on rebaptise histoire, est aujourd’hui la matrice de la société à venir, et c’est pourquoi elle est l’objet de toutes les sollicitudes, dans un combat plus ou moins feutré.
 

L’itinéraire de Macron passe par Berlin

 
Le deuxième caillou blanc que le petit Poucet Macron nous donne pour comprendre où va son itinérance mémorielle, est le point d’arrivée sous l’arc de triomphe le 11 novembre. Le président n’a pas voulu que la fête du centenaire de la victoire soit « trop militaire ». Il a pris cette décision « en concertation avec Angela Merkel » la chancelière allemande pour ne pas blesser Berlin avec le souvenir de notre victoire. Etonnante délicatesse ! Croit-on vraiment que nos cousins germains se formaliseraient d’un défilé militaire pour fêter le centenaire de l’armistice du 11 novembre 1918 ? On croyait pourtant que le plus revanchard d’entre eux, avait réglé la question en 1940 en humiliant la France dans le wagon Rethondes ! Aujourd’hui cependant notre président rêve d’une « armée européenne » dépendant de Bruxelles.
 

Pétain trouble l’itinérance mémorielle de Macron

 
Mais l’on dit aussi que le protocole des fastes militaires aurait obligé d’honorer la mémoire des huit maréchaux de France qui s’illustrèrent pendant la Grande Guerre (dont quatre nommés en 1921, Franchet d’Espèrey, Liautey, Fayolle, Galliéni, et un en 1923, Maunoury). Particulièrement les trois qui paradèrent le 14 juillet 1919 dans ce qui fut appelé le « défilé de la victoire » : Foch, Joffre et Pétain. C’est le dernier qui gênait Macron. Sans doute, a-t-il fait tardivement un petit numéro de « et en même temps », et reconnu que le maréchal Pétain fut « un grand soldat » pendant la première guerre mondiale tout en opérant des « choix funestes » pendant la seconde. Mais cette reconnaissance du bout des lèvres n’alla pas jusqu’à un hommage militaire pour l’homme qui galvanisa la garnison de Verdun et sauva l’armée française mutinée en 1917, avec un minimum de pertes (moins de 50 fusillés, contre 200 en 1914 et 250 en 1915). L’incapacité à assumer l’histoire de France en entier, la rage partisane d’exclure caractérisent Macron, donc son projet pour la France.
 

Macron, l’anti-De Gaulle soumis à Bruxelles

 
De ce point de vue, le centenaire célébré le 11 novembre sera aux antipodes du cinquantenaire de Verdun le 29 mai 1966. Le général De Gaulle y prononça un discours. Tout en déplorant que « par malheur, à l’extrême hiver de sa vie, au lieu d’événements excessifs, l’usage de l’âge » ait mené le maréchal Pétain à des fautes, il ajoutait que « la gloire qu’il avait acquise et gardée (…) ne saurait être contestée ni méconnue par la patrie ». Il fleurissait d’ailleurs chaque année la tombe du maréchal à l’île d’Yeu pour le 11 novembre, comme ses successeurs devaient le faire, jusqu’à Mitterrand compris.
 
Parmi les « leçons » qu’il tirait de Verdun, le général plaçait la nécessité de la réconciliation et de la collaboration franco-allemande, mais pas dans le cadre de l’Europe de Bruxelles et de la « souveraineté européenne », dans celui de « l’Europe des nations » et de la souveraineté française.
 

Macron collaborateur soumis à Berlin 

 
Ce qui est piquant avec Macron, c’est qu’il condamne Philippe Pétain pour collaboration avec l’Allemagne, alors que lui-même collabore avec l’Allemagne dans un projet supranational, allant jusqu’à parler de souveraineté européenne, et qu’il projette même de gérer en commun avec la chancelière la dissuasion nucléaire de la France. Faisant cela, il va beaucoup plus loin, en temps de paix, dans la collaboration, que jamais Pétain, sous la botte nazie, n’admit d’aller. C’est proprement hallucinant, et quand on lui prête des accents gaulliens, et quand il revendique une filiation gaulliste, le général doit se retourner dans sa tombe.
 

Europe de Bruxelles contre Russie menaçante ?

 
Macron manifeste à l’étranger les mêmes contradictions et le même sectarisme qu’il montre à l’intérieur de la communauté nationale. Il caresse Trump dans le sens du poil, l’invite mais réserve à Poutine toute sa froideur. Pourtant, si l’on commémore la Grande guerre, l’armée russe y pesa d’un beaucoup plus grand poids que l’armée américaine, et ses sacrifices furent sans comparaison. Quand Macron appelle les Européens à s’unir sous le sceptre de Bruxelles contre la Russie « menaçante », on aimerait qu’il boive moins : quand donc la Russie a-t-elle menacé la France ? Sous l’empire ? Sans doute, mais Napoléon avait quand même été un peu la chercher ! Encore une fois Macron soumet tout au projet politique qu’il porte : atlantisme et euro-mondialiste.
 

11 ou 17 novembre ? Gilets jaunes et pantalons garance

 
Les médias ont beaucoup parlé, durant cette itinérance mémorielle, des rencontres d’Emmanuel Macron avec les badauds, ses poignées de main à Verdun en discutant le bout de gras avec les retraités, CSG et taxe d’habitation. Une façon de conjurer les gilets jaunes par les pantalons garance et les capotes bleu horizon. 
 
Hélas, c’est bien pire qu’un banal exercice de démagogie. C’est une vue de l’histoire et des hommes qu’il nous a donnée. Macron est venu déplorer un « désastre », tel est le mot qu’il a employé pour désigner la Grande guerre. Qu’elle en fût un, tout le monde le sait et nul ne l’a nié, mais pourquoi insister lourdement sur cette lapalissade hémiplégique ? Car elle ne fut pas qu’un désastre. De Gaulle tirait de Verdun, où il avait lui-même était fait prisonnier, une leçon de « cohésion », de « solidarité » et de grandeur. Il semble que Macron n’en tire qu’une condamnation de la France d’avant.
 

Itinérance mémorielle d’un désastre : Macron contre la république ?

 
Il est à noter en effet qu’il vient déplorer ce « désastre » après avoir condamné jusqu’à présent les « crimes » de la France. Il est à noter aussi que Macron réduit le budget de la Défense. S’il prend des postures royales, il se défait peu à peu des prérogatives régaliennes de sa fonction. Normal, il souhaite établir une souveraineté européenne.
 
Une question pour finir. Macron dit que la Grande guerre fut un désastre. Mais qui en fut responsable ? Jamais les rois n’en connurent de tels. Même Napoléon ne provoqua pas de saignées comparables. Alors ? Mon opinion est que la guerre qui finit le 11 novembre 1918 fut la dernière des guerres du 19ème siècle, celles qu’avait provoquées à l’origine la Révolution française. Curieusement, De Gaulle, à la fin de son discours à Verdun, a crié Vive la France avec une insistance et une force vibrantes. Mais pas vive la république.
 

Pauline Mille