71 ans après Dien Bien Phu, Emmanuel et Brigitte Macron ont commencé leur visite de l’Asie du Sud-Est en débarquant à l’aéroport d’Hanoï, et la porte de l’avion était à peine ouverte que ce fut la Bérézina : le président apparaît, immédiatement suivi d’un bras tendu qui le frappe au visage, celui de son épouse, il recule sous le coup, paraît brièvement interloqué puis sourit aux cameramen. Paris ayant commencé par nier l’authenticité de la vidéo, Emmanuel Macron prend ensuite lui-même la main. Il donne un cours de sémantique anti-complotiste à propos d’une vidéo à laquelle « on fait dire beaucoup de bêtises » et de quelques autres récemment publiées sur les réseaux sociaux. L’anecdote importe car elle montre la place qu’ont pris ceux-ci dans le jeu politique, l’extrême fragilité du président et la véritable guerre de communication qui se mène.
Tartufferie sémantique des médias devant la main de Brigitte
Dans un premier temps, l’Elysée a voulu faire croire que la vidéo était fabriquée. Mauvaise pioche, et mauvais calcul, elle est parfaitement authentique, et a immédiatement provoqué le scepticisme. Comme l’a relevé Me Goldnadel : « Quand on a l’esprit tranquille, on ne commence pas par mentir. » La presse, malgré l’immense respect amical qu’elle éprouve pour Brigitte Macron et son époux, tâche de faire la sémantique de cette main sur le visage présidentiel. Notre confrère Le Point se demande : « Gifle ou geste amical ? » Fleurissent alors des descriptions d’une extrême délicatesse de cette main de Brigitte qui « repousse son mari au niveau du visage ». Cela rappelle ces déséquilibrés qui frappent un passant au niveau du cou : il est interdit d’utiliser le mot égorger. Tartuffe a changé. Il lui est permis de tout voir aujourd’hui, y compris la main de Brigitte, mais il ne saurait nommer ce qu’il voit, il a un devoir de réserve.
Les paparazzi au secours des Macron
Deuxième temps, un membre volontairement anonyme de l’entourage présidentiel prétend trancher la question : « C’était un moment de complicité (…) un moment où le Président et son épouse décompressaient une ultime fois avant le début du voyage en chahutant. » Un autre, tout aussi anonyme, précise qu’il n’y a eu, bien entendu, « aucun geste violent ». Et l’hebdomadaire Gala (on connaît les liens qui unissent Brigitte et Emmanuel Macron à la presse people, la reine des paparazzi Mimi Marchand leur a déjà sauvé la mise) a noté qu’au premier dîner qui a suivi l’incident, le couple est arrivé « bras dessus, bras dessous », exhibant une « tendre complicité », multipliant les « gestes bienveillants et affectueux qui en disent long sur leur relation ». Ils en font trop : comme précisément les couples qui viennent d’avoir une dispute.
Main dans la figure : une vidéo sans bavure
Maintenant regardons la vidéo. Les deux époux ne sont pas proches l’un de l’autre comme s’ils plaisantaient, le bras est tendu, le corps du président marque un recul, son visage demeure interloqué avant qu’il n’esquisse un sourire aux photographes pour faire bonne figure. Un instant plus tard, à la descente de l’avion, Brigitte, fermée, refuse le bras que lui tend son époux. La chose ne souffre pas le moindre doute, et malgré la bonne volonté de la presse mainstream, le président a senti le danger et décidé de prendre lui-même sa communication en main. Il l’a fait de manière assez subtile, suivant le conseil donné naguère par Charles Pasqua, ministre de l’Intérieur souvent lié à des affaires louches : « Quand on est emmerdé par une affaire, il faut susciter une affaire dans l’affaire, et si nécessaire une autre affaire dans l’affaire de l’affaire, jusqu’à ce que personne n’y comprenne plus rien. »
Macron donne un cours de sémantique aux maboules
Il applique la méthode Pasqua après avoir profondément réfléchi aux erreurs de communication de ses équipes. Première erreur, ils ont mis en doute l’authenticité de la vidéo : il lui faut donc au contraire la proclamer, pour manifester son absolue honnêteté. Deuxième erreur, ils ont laissé d’autres vidéos « virales » sur le net sans réagir suffisamment : donc, il va faire un bloc avec ces autres affaires, et ça va lui permettre de tout confondre, le vrai et le faux, le loufoque et le bien établi, pour conclure à un complotisme général dont il serait la victime, de la part des « maboules » et des « fadas » qui « passent leurs journées » à décortiquer des vidéos. Et de conclure par un solennel : « Il faut que tout le monde se calme. »
Une vidéo, bonjour les dégâts, trois vidéos, ça va
Voilà son petit cours de sémantique sur les vidéos qui l’attaquent : « Il y a une dizaine de jours, il y avait une vidéo totalement authentique. Je retirais un mouchoir de la table. Et donc, c’était un sachet de drogue que nous nous partagions avec le chancelier Merz et le Premier ministre Starmer. Il y a huit jours, il y avait une vidéo totalement authentique, où j’étais en train de serrer la main et nos mains restaient ensemble avec le président Erdogan et ça devenait une fameuse clé turque où mon doigt était saisi. C’était soudain l’expression d’un rapport de force géopolitique qui disait beaucoup de la France. Et là, une vidéo qui ouvre, nous sommes en train de nous chamailler et plutôt de plaisanter avec mon épouse, (…) ça devient une espèce de catastrophe géo-planétaire. » Après ce moment d’ironie méprisante il conclut : « Tout ça, c’est un peu n’importe quoi. Les vidéos sont toutes vraies. Il y a parfois des gens qui les trafiquent. Mais on fait dire à une vidéo beaucoup de bêtises. Sur ces trois vidéos, j’ai ramassé un kleenex, serré la main à quelqu’un et juste plaisanté avec mon épouse comme on le fait assez souvent, ni plus ni moins. »
Rhétorique complotiste du mari de Brigitte
Ce morceau laborieux montre l’importance qu’Emmanuel Macron attache aux vidéos qui tournent sur la toile. Et il a raison, car à travers elles, c’est l’image de la France qui se trouve malmenée à travers son président. Là où il a tort, c’est que c’est entièrement de sa faute. Rien ne l’obligeait à se faire gifler par Brigitte en arrivant à Hanoï, devant les caméras. Il a fait toute sa carrière en se mettant en scène, il vient de commettre une monumentale erreur de mise en scène. Il le sait, et sait tout aussi bien qu’il est, à ce propos, la risée du monde entier, alors il devient agressif et vulgaire contre les « fadas » des réseaux sociaux : « Ça leur monte le caramel à la tête. » Et d’accuser dans la foulée ceux qui sont derrière tout ça, « toujours les mêmes », notamment « les Russes qui sont de bons alliés, les extrêmes en France formidables proxys et des tas de comptes anonymes ou pas ». Les Russes ? Voilà une approche singulièrement complotiste des choses !
La main du Kremlin dans la binette de Macron
Maria Zakharova, porte-parole de la diplomatie russe, ne s’y est pas trompée, et elle a saisi la balle au bond sur le réseau Telegram : « Ce qui est intéressant, ce ne sont pas les images mais ce que va imaginer cette fois le palais de l’Elysée pour couvrir ce nouvel Emmanuel-gate. Qu’est-ce que ce sera cette fois ? La Première dame a voulu remonter le moral de son époux en lui caressant doucement la joue mais a mal calculé sa force ? Elle lui a donné un mouchoir mais s’est ratée ? Ma suggestion : c’était peut-être la main du Kremlin ? » Tout cela n’est pas que ridicule, c’est politiquement néfaste. Un président dont la planète fait des gorges chaudes, au moment où il visite un pays communiste hostile auquel nous oppose un contentieux de soixante-dix ans, c’est bonnement catastrophique. La main de Brigitte dans la figure de Macron fait perdre un peu plus la face à la France en Asie.