Mgr Micas décidera au printemps s’il garde les mosaïques du P. Rupnik sur la basilique

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Mgr Jean-Marc Micas, évêque de Lourdes, a déclaré à l’agence d’information catholique américaine CNA qu’il prendra d’ici au printemps une décision quant aux mosaïques ornant la basilique inférieure du sanctuaire, réalisées par le Centro Aletti, l’école de mosaïque fondée par le père (ex-jésuite) Marko Rupnik. Celui-ci est aujourd’hui soupçonné d’abus spirituels et d’agression sexuelles, notamment sur des religieuses qui ont été nombreuses à témoigner des faits. Il a été expulsé de la communauté des jésuites en juin dernier et attend d’être jugé.

Mgr Mikas a mis sur pied l’an dernier une commission spéciale pour réfléchir au devenir de ces œuvres d’art pseudo byzantines – très en vogue dans l’Eglise depuis plusieurs décennies – alors qu’il a reçu « une pile de lettres » en provenance de catholique du monde entier ou bien pour protester contre leur présence persistante sur la façade d’une église qui accueille des pèlerins du monde entier, ou bien pour faire part de leur colère à l’idée qu’elles puissent être démontées.

« Cette affaire occupe tous les jours mon esprit, ma prière et mon cœur, spécialement lorsque je rencontre des victimes d’abus », a déclaré le prélat à CNA, tout en reconnaissant que c’est une « décision très, très difficile à prendre ». « Mais il faut que je la prenne », a-t-il ajouté.

Et de citer l’exemple d’une Anglaise, bénévole à Lourdes depuis de longues années où elle accueillait notamment aux bains des femmes venues chercher la guérison après avoir subi des abus : « Elle m’a dit : “Elles viennent auprès de l’Immaculée Conception pour être soignées, guéries, pour trouver la consolation.” »

 

Les mosaïques de Marko Rupnik à Lourdes mettent mal à l’aise les femmes victimes d’abus

Mgr Micas ajoutait que cette bénévole lui avait rappelé que l’architecture même de la basilique de l’Immaculée, avec sa grande entrée faite de deux rampes incurvées autour de la place du Rosaire, visait à symboliser « les bras de l’Immaculée Conception embrassant ses enfants ».

« Aujourd’hui, pour moi, pour elles, ces bras ne sont pas les bras de l’Immaculée Conception. Ce sont les bras du P. Rupnik », ajoutait-elle.

Ce sont ces paroles qui ont fortement marqué l’évêque de Lourdes ainsi que le recteur du sanctuaire, et conduit à la création de la Commission en mars 2023.

Les mosaïques de Rupnik, caractéristiques de son style déstructuré, avec des yeux immenses et noirs, illustrent les mystères lumineux du Rosaire avec au centre, les noces de Cana.

Si Lourdes donne l’exemple d’éliminer des mosaïques du P. Rupnik, la question de se pose de savoir ce qu’il en sera des 200 « espaces liturgiques » au moins à travers le monde où son œuvre s’expose. Parmi eux : le Vatican, la nouvelle basilique de la Sainte-Trinité à Fatima, le sanctuaire Jean-Paul II à Washington, la tombe du Padre Pio… Jean-Paul II lui-même avait chargé Rupnik de la rénovation artistique de la chapelle Redemptoris Mater dans ses appartements pontificaux, et le pape François lui avait demandé de réaliser l’étrange logo du Jubilé de la Miséricorde en 2016. Mgr Micas rejette cette question d’emblée : toute décision prise à Lourdes ne concernera que Lourdes, a-t-il déclaré à la journaliste de CNA, Courtney Mares. « On ne peut pas l’étendre à un quelconque autre endroit où se trouvent des mosaïques de Rupnik parce que Lourdes, c’est Lourdes, un lieu pour les personnes faibles, malades, spéciales. Et nous devons servir le message de Lourdes quoi qu’il en coûte. »

 

« Cancel culture », ou culture dévoyée ? Il faut avant tout analyser l’art de Rupnik

On se demande bien sûr si la vie personnelle, voire les crimes commis par un artiste sont une justification suffisante pour effacer son œuvre, que ce soit dans la sphère civile ou dans des sanctuaires religieux. Certains estiment qu’il s’agirait là une déclinaison de la « cancel culture ». Et de fait, on ne manque pas dans l’Eglise d’œuvres commanditées ou réalisées par des gens peu soucieux de la vertu.

Mais en fait il faut aller au-delà de cette question pour poser celle qui compte vraiment : les œuvres de Rupnik sont-elles véritablement des manifestations d’art sacré, ou autre chose : un « autre chose » qui enseignerait un faux évangile ?

Nous avons publié ici sur reinformation.tv la traduction d’une réflexion de la chroniqueuse et artiste d’art sacré Hilary White pour qui les perversions sexuelles de Rupnik sont une expression de sa perversion générale, visible dans ses choix artistiques.

Elle vient de livrer une deuxième réflexion sur les mosaïques de l’ex-jésuite, plus précisément axée sur les grands yeux noirs qu’affectionne Rupnik, pour montrer qu’ils contredisent les formes canoniques propres à l’iconographie byzantine. En réalité, estime-t-elle, Rupnik ne propose pas une version modernisée de l’art byzantin ou médiéval ; il les « parodie ».

« C’est l’expression visuelle du sectarisme du sophiste moderne à l’encontre de l’esprit médiéval qui était rationnel, ordonné et orienté vers la théologie ; c’est un ricanement, un mauvais rictus dissimulé. C’est le genre d’esprit qui suppose que l’ordre, la liberté et la rationalité ont été inventés au XVIIIe siècle, que les développements des Lumières de la Renaissance reviennent à la pensée grecque et romaine classique, inconnue des médiévaux primitifs et superstitieux », écrit Hilary White.

 

Mgr Micas face à une décision aux implications profondes

Les anglophones se reporteront avec profit à son article, où elle montre en particulier que Rupnik omet délibérément de respecter les proportions ordonnées du physique humain – où le nez représente un tiers du visage, qui se calcule à partir de là, parce que cela correspond à ce que l’on observe dans la nature. A cette aune, les yeux dans les mosaïques de Rupnik, aux nez démesurés sont en fait trop petits, mais ils ont un deuxième défaut essentiel : la taille de la pupille qui au demeurant chasse tout le reste.

Ce sont les yeux, observe Hilary White, qui dans l’art humain dépeignent le caractère et l’expression d’un visage ; dans l’iconographie byzantine, leur réalisation obéit à des règles strictes afin que l’objectif spirituel de l’icône puisse être atteint : « dépeindre la sanctification de la forme humaine par l’incarnation du Christ ».

En dotant ses représentations de personnages sacrés d’yeux sous formes de disques tout noirs, Rupnik les fait en réalité apparaître « comme des poupées sans vie ».

A cela il faut ajouter que les pupilles exagérément dilatées renvoient à l’excitation sexuelle ou à la peur face à une menace mortelle imminente, ou encore à l’utilisation de drogues ou de certains analgésiques. Hilary White remarque que les amateurs de de films d’horreur ne connaissent cela que trop bien : vampires, possédés et autres morts-vivants sont montrés avec des yeux intégralement noirs, tout simplement parce que nous percevons une personne aux pupilles ainsi dilatées comme une menace.

C’est le choix fait par Rupnik pour tous ses personnages, et Hilary White y voit la volonté délibérée, servie par de réelles connaissances techniques, de présenter ses personnages de manière tordue.

Elle raconte, au sujet de ses œuvres : « J’en ai montré quelques-unes à un vrai iconographe en lui demandant de m’aider à en faire la critique. Il a répondu qu’il préférait s’abstenir parce que le fait de regarder un blasphème le mettait trop mal à l’aise. »

Mgr Micas et les autres responsables de sanctuaires où s’étale l’art médiocre et néfaste de Rupnik sont-ils prêts à entendre ce message ?

 

Jeanne Smits