L’annonce par l’Ukraine du bombardement de l’usine de Dnipro par un missile balistique intercontinental russe a mis le monde en émoi. La France en particulier, sans attendre que le fait soit confirmé, a estimé que s’il l’était cela indiquerait une « escalade » dans la guerre. Tous les experts, militaires ou géopoliticiens, ont longuement disserté sur le signe (et même, dans leur sot et impropre jargon, le « signalement ») envoyé par Vladimir Poutine, tantôt à l’Ukraine, tantôt aux Occidentaux, tantôt aux Européens. S’agissait-il d’effrayer Kiev pour l’amener plus conciliant à la table des négociations ? De s’adresser à Trump par-dessus la tête de Biden ? De « découpler » l’Europe de l’Amérique avant l’arrivée du président élu ? Toutes ces conjectures, alors que rien n’était précisé des caractéristiques techniques du missile, relevaient de la politique spectacle, comme à peu près tout ce qui se passe là-bas depuis l’invasion de 2022.
Le casse-tête de la guerre d’Ukraine : à quoi sert-elle ?
Cela frappe l’observateur naïf qui n’a pas d’attaches sentimentales, idéologiques ou politiques avec l’un des deux camps depuis le début de la guerre en Ukraine. Autant les artifices de propagande des uns et des autres sautent aux yeux, autant les faits les plus simples semblent difficiles à établir. Pourquoi les Occidentaux ont-ils renoncé à la diplomatie lancée par les accords de Minsk ? Pourquoi Poutine a-t-il ordonné une « opération spéciale » qui l’a mené à deux doigts, 17 kilomètres de Kiev sans y parvenir ? Pourquoi l’Europe pratique-t-elle une politique de sanctions économiques qui la ruine et jette la Russie dans les bras de la Chine ? Qui a saboté Nord Stream ? Quel est le bilan en hommes et en matériel, des deux côtés ? Les chiffres sont si différents selon les sources qu’on ne peut rien en tirer et aucun débat contradictoire ne s’amorce. Qui a eu intérêt à réduire les échanges commerciaux importants et croissants entre l’Europe et la Russie ? Beaucoup d’autres questions, d’ordre politique, économique et militaire pourraient être posées et convergent vers une seule : qu’est-ce que c’est que cette guerre en Ukraine, à quoi sert-elle ?
Champ d’expérimentation et spectacle pédagogique
En dehors des objectifs particuliers que croient pouvoir atteindre les belligérants et leurs alliés, une hypothèse intéressante serait qu’elle soit une expérience pédagogique dans la révolution mondialiste en cours. Celle-ci utilise on le sait les grandes causes systémiques transpartisanes qui servent de substituts à la guerre (climat, Covid, bataille du genre, antiracisme, etc) pour faire avancer la morale et le droit qui doivent amener la gouvernance mondiale. Avec la guerre en Ukraine, ou plus exactement le spectacle d’une guerre insupportable, elle ambitionne de dégoûter à tout jamais l’humanité de la guerre. Là où les militaires de tous bords voient un champ d’expérimentation d’armes et de tactiques, comparable à la guerre d’Espagne en son temps, la révolution mondialiste promeut une pédagogie anti-guerre.
Ukraine : le spectacle de la terreur près de chez nous
De ce point de vue, le choix de l’Ukraine, en Europe, sensibilise au plus haut point les pays développés, qui finissaient par se croire hors de danger, hors de l’histoire. La peur qu’ils éprouvent aujourd’hui les disposera à mieux accepter les nécessaires bouleversements de la révolution mondialiste. La baisse du pouvoir d’achat et les désagréments divers du multiculturel paraissent presque agréables face à l’apocalypse nucléaire. Dans cette perspective, dans ce spectacle plus exactement, le jeu d’acteur de Poutine fait merveille. Avec son passé au FSB, son éloge permanent de la grande guerre patriotiques, ses statues aux grands ancêtres de la Tchéka et son air rechigné, il n’a pas de mal à incarner le méchant illibéral. Le fait qu’il n’aime pas les LGBT rend tout à fait comme il faut aux yeux des bien-pensants d’Occident la dissolution morale d’une Ukraine terre de GPA. Et les menaces nucléaires qu’il agite périodiquement comme le lépreux fait de sa crécelle ont plusieurs mérites.
Ce missile balistique enseigne la haine de la guerre par la peur
D’abord, elles ravivent la peur dans le monde, donc la solidarité terrienne et la haine de toute guerre qui doivent hâter la gouvernance mondiale. Subsidiairement, elles décrédibilisent l’arme atomique, tant Poutine montre de changement de pied et de doctrine : chien qui aboie ne mord pas. Plus il parle de « conflit mondial », plus il œuvre à la révolution mondialiste. Et en même temps il cultive son image de sérieux et défend quand même les intérêts particuliers de la Russie en démentant l’information donnée par Kiev : le missile que vient de lancer la Russie n’est pas un missile balistique intercontinental à longue portée du type dont on se sert pour les ogives nucléaires, mais un missile de portée intermédiaire. Jusqu’où porte-t-il ? Il ne l’a pas précisé, le flou en la matière augmente la terreur, comme aussi la précision concernant sa vitesse « hypersonique » qui le rendrait invulnérable aux systèmes de défense actuels. Tout cela est invérifiable, mais destiné à produire le grand spectacle de la peur, dont le résultat espéré n’est pas la guerre, mais au contraire, par peur de la guerre, la gouvernance mondiale.