Je n’ai pas d’estime particulière pour Charlie Hebdo. Et j’imagine que ses nombreuses couvertures prétendant à l’humour noir sur le Christ, la Vierge, les rabbins ou Mahomet ne paraissaient pas d’une finesse extrême au lecteur, pas plus que les gros sabots d’extrême gauche de ses rédacteurs n’incarnaient la lucidité politique. Cependant, au soir du jour où un commando terroriste a mitraillé la rédaction, il ne nous serait pas venu à l’esprit de sabrer le champagne. Le blasphème, l’erreur, la haine de certains journalistes ne justifiaient pas qu’on les tue, ni qu’on se réjouisse de leur mort. D’ailleurs, la réprobation de toute la société se serait justement abattue sur toute manifestation de joie. Avec Jean-Marie Le Pen, c’est différent. Des centaines de militants se sont réunis à sa mort à Paris, Lyon et d’autres grandes villes, coupe en main, pour festoyer en chantant. Quelques politiciens, à droite, ont condamné la chose. D’autres, plus nombreux, se sont tus. C’est que les jeunes hyènes extrémistes qui ont manifesté leur allégresse mardi soir ont exprimé, même si c’était à contretemps, l’opinion que leur a inculquée depuis 45 ans la classe politique française : en incarnant les opinions de Brossat, Aubry, Jadot, Mélenchon, Boyard et les autres, les buveurs de champagne-sur-cadavre n’ont fait que suivre, au fond, la politique de Mitterrand et Chirac.
45 ans d’enseignement de la haine anti-Le Pen
Ils se sont débondés. Les jeunesses communistes ont salué la mort de Le Pen d’un seul mot : Enfin ! Cerveaux non disponibles appelaient à La fête à Jean-Marie, Inverti.e.s, annonçait un Apéro géant, et bien d’autres collectifs, sous un bandeau : Jean-Marie Le Pen est mort, invitaient leurs sympathisants à une Fête populaire, souvent place de la République. Ainsi des bacchanales pleines de haine satisfaite et de pancartes moralisatrices se sont-elles multipliées, sans avoir en rien le caractère « spontané » que leur prêtait une certaine presse, entre autres, notre consœur actuMarseille. Bruno Retailleau a jugé ces scènes « honteuses ». Il a raison. Il aurait pu ajouter qu’elles étaient une traduction en actes des déclarations de toute l’extrême-gauche après la mort de Le Pen, lesquelles n’étaient en dernière analyse que la conséquence logique du long enseignement de la haine mené par le système contre Le Pen depuis 45 ans.
Champagne pour Poutou : la mort de Le Pen faisait partie de ses vœux !
A l’extrême-gauche, insoumise, communiste ou écologiste, tout le monde est d’accord avec Mélenchon : « Le respect de la dignité des morts et du chagrin de leurs proches n’efface pas le droit de juger leurs actes. » Cette précaution oratoire prise, c’est un tombereau d’ordures qui se déverse. Citons pêle-mêle Manon Aubry pour la France insoumise : « Jean-Marie Le Pen était un raciste et antisémite notoire, adorateur de Pétain et un tortionnaire en Algérie. Le combat contre l’homme est terminé mais contre ses idées demeure. Pour que la haine ne l’emporte jamais. » François Ruffin a condamné « les amis de Vichy et la torture en Algérie. Le FN fondé avec des Waffen SS, les “Durafour crématoire” et les “points de détail de l’histoire”. Un fasciste d’un autre temps s’en est allé ». Et Philippe Poutou, le gentil patron du nouveau parti anticapitaliste, toujours hilare, a posté sur X : « C’est dingue, les vœux ça marche ! L’année 2025 ne commence pas trop mal avec cette bonne nouvelle de la mort de Le Pen, un raciste, un colonialiste, un facho, un tortionnaire, un assassin, un homophobe, etc… mais ça change rien au combat antifasciste unitaire à mener d’urgence. »
Depuis Mitterrand et Chirac, l’arc républicain veut la mort de Le Pen
Pour justifier cette hostilité violente, le vice-président communiste du Sénat, Pierre Ouzoulias, estime que « Jean-Marie Le Pen, par ses actes et ses propos, se trouvait en dehors du cadre républicain ». Et, le Premier ministre ayant fait une déclaration relativement neutre à la mort de Le Pen, Ouzoulias ajoute : « Les mots de Bayrou sont indignes de notre histoire » ; soutenue par l’ancien ministre socialiste Laurence Rossignol qui demande au Béarnais de « s’excuser platement, très platement ». Ainsi, très simplement, la gauche historique, celle d’il y a cinquante ans, celle du programme commun de la gauche entre François Mitterrand et Georges Marchais a répété sa position inchangée : le parti, qui a cent millions de morts sur la conscience, et qui ne s’est jamais excusé de rien (Marchais parlait encore, lors de la chute du mur de Berlin, du « bilan globalement positif » de l’URSS), entre dans « le cadre républicain » (les Italiens parlent d’arc constitutionnel), mais pas le FN de JMLP, et pas non plus, on l’a vu par trois fois, aux présidentielles de 2017 et 2022, et lors des législatives anticipées de juillet 2025, qui ont vu le « barrage républicain » incluant l’extrême-gauche, France insoumise comprise, s’élever contre Marine Le Pen et ses amis.
La haine unanime du système pour Le Pen
Ce barrage n’a jamais été un simple barrage politique, c’est un barrage moral, un acte d’aversion sans le moindre compromis, sans discussion possible, un rejet total fruit d’une haine viscérale. Le second tour de la présidentielle de 2022 en reste l’acmé, la manifestation la plus parfaite et la plus spectaculaire, mêlant églises, syndicats, loges, enfants des écoles dans la rue, clubs sportifs, gens de théâtre et de cinéma. Jacques Chirac en fut le coryphée et le bénéficiaire, lui que la gauche s’apprêtait quelques jours avant à chasser ignominieusement de l’Elysée sous le sobriquet alors répandu de « supermenteur ». Jacques Chirac qui prit officiellement texte de son refus historique de tout compromis avec Le Pen pour annuler le débat imposé par l’usage républicain d’un débat entre les deux candidats au deuxième tour. Jacques Chirac qui avait précipité volontairement la droite dans le piège tendu par Mitterrand en refusant toute alliance avec Le Pen en instituant trois ans avant le détail, dès 1984, un « cordon sanitaire » (le terme est révélateur) autour de Le Pen, qui était, avant la lettre le « sidaïque du système ».
L’Etat républicain encourageait les menaces de mort contre Le Pen
Notre consœur Elisabeth Lévy, de Causeur, a bien raison, dans ces conditions, de relever que la question de l’antisémitisme (supposé ou réel) de Le Pen n’était qu’un prétexte agité par la gauche et gobé par une partie de la droite, complice, pour cantonner Le Pen à une minorité privée du pouvoir d’agir, et marginaliser ainsi sa clairvoyance sur plusieurs questions, dont l’immigration, l’insécurité, la démographie, les dangers du mondialisme. C’est Jacques Chirac le principal responsable du marasme actuel de la France. On se rappelle à ce propos qu’une grande part de la droite d’alors, frappée par la justesse des vues du FN et par le travail sérieux de ses députés à l’Assemblée nationale, demeura très surprise de la rage suicidaire avec laquelle Chirac refusait son alliance (cela devait lui coûter la présidentielle de 1988). Dans les années 1984 à 1988, avant et pendant la première cohabitation, l’Etat et ses forces de l’ordre montrèrent une aversion sans faille à Le Pen. Ses meetings étaient caillassés et couverts de boulons par les associations gauchistes de l’époque ancêtres des antifas, notamment les SCALP (sections carrément anti-Le Pen) sans que les préfets donnent ordre de dégager. L’un de leurs slogans était « Le Pen, une balle, le FN, une rafale ». Plus tard, il y eut « Le Pen, facho (ou salaud), le peuple aura ta peau » (cela pouvait s’appliquer à Marine). Voilà qui est clair et qui a été explicitement promu en 2002 et par la suite. Les jeunes hyènes qui se sont saoulées de champagne et de slogans pour fêter la mort de Le Pen n’ont fait que révéler la vraie nature d’un système qui les autorise en se bouchant le nez.