Une mosaïque de l’abuseur Marko Rupnik de nouveau à l’honneur sur un site du Vatican

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Et ça continue. Une nouvelle fois, au mépris d’une double prudence qui aurait exigé que l’on s’abstienne, au Vatican, de faire appel aux œuvres du P. Marko Rupnik, une œuvre de l’artiste a été choisie pour accompagner un message catholique. Il s’agissait en l’occurrence d’une image d’une Dormition de la Vierge réalisée dans l’atelier du célèbre mosaïste, utilisée par Vatican News pour illustrer la notice de la fête de l’Assomption. L’iconographie chrétienne, qu’elle soit orientale ou latine, abonde de représentations sublimes de cet événement marquant l’entrée de la toute pure Mère de Dieu, en son corps et en son âme, au paradis pour y être couronnée. Mais il leur a fallu prendre l’œuvre d’un prêtre accusé par de nombreuses religieuses d’abus sexuels, psychologiques et même spirituels, dont certains aggravés par leur commission sacrilège. L’homme a été expulsé de l’ordre des Jésuites dont l’enquête interne a confirmé l’existence de ces abus ; une enquête du Dicastère pour la Doctrine de la foi est en cours.

Double prudence : la première aurait dû amener les collaborateurs de Vatican News à ne pas choisir précisément une œuvre du P. Rupnik parce qu’une telle démarche est signe d’un mépris évident pour ses victimes. La seconde est plus fondamentale : elle concerne l’inspiration de ses œuvres – très reconnaissables, car l’artiste a un style bien à lui – et leur acceptabilité pour dépeindre des sujets proprement religieux.

 

La mosaïque de la Dormition de Rupnik pour illustrer l’Assomption

L’une des victimes qui se sont manifestées a ainsi témoigné de ce que Rupnik l’avait encouragée à participer à une relation à trois avec lui et une autre sœur de la Communauté Loyola qu’il avait fondée (et qui a été démantelée) en affirmant que la sexualité doit être « libérée de la possession, à l’image de la Trinité ». Selon les victimes, ce type d’abus « dépravé » faisait partie de son « processus créatif ».

La question est aujourd’hui au moins posée, et justifie une certaine retenue quant à l’utilisation de son œuvre : si celle-ci est le reflet, comme l’affirment ses victimes, d’une dépravation sexuelle, il faut à tout le moins ne pas la remettre en exergue. En attendant, peut-être, de retirer ses mosaïques des multiples sanctuaires très en vue qu’il a été appelé à décorer à travers le monde, d’Aparecida à Lourdes. Beaucoup le souhaitent.

Le discours officiel du Vatican – à travers la bouche du chef laïque du Dicastère pour la Communication, le Dr Paolo Ruffini, consiste à dissocier l’homme de l’œuvre, en rappelant l’histoire de certains artistes aux mœurs discutables, voire criminelles, dont les chefs d’œuvre d’art religieux (pas forcément sacré) sont encore admirées et à l’honneur aujourd’hui.

Mais les temps ont changé et de nos jours, la prise en compte de la souffrance des victimes et la réparation des abus, à une époque où toute information, toute image peuvent circuler mondialement en temps réel, obligent à davantage de retenue.

 

Et si le site d’informations du Vatican se posait les vraies questions ?

Plus fondamentalement, l’art sacré doit être le plus possible en adéquation avec son sujet et sa fonction, qui est d’illustrer la beauté, la bonté, la vérité de Dieu et de tout ce qui est saint, de dépeindre les réalités surnaturelles pour les faire saisir par l’homme. Dans la hiérarchie des œuvres qui répondent plus ou moins à cette exigence (et Dieu sait si certaines y manquent lamentablement), quelle est la place des mosaïques de Rupnik ? Cela compte lorsqu’on décide, ou non, de conserver une réalisation, quelle qu’ait été son prix d’ailleurs – souvent exorbitant en ce qui concerne l’artiste slovène.

Hilary White, chroniqueuse et artiste d’art sacré, a pu écrire que « les perversions sexuelles de Rupnik sont une expression de sa perversion générale, visible dans ses choix artistiques » : son art enfantin et dérangeant est en rupture profonde et déclarée avec l’art byzantin qui lui sert d’apparente inspiration.

Elle a depuis lors développé sur son site Substack l’idée de « l’iconographie hérétique » de Rupnik, reprenant à son compte l’affirmation selon laquelle « on n’aurait pas dû avoir besoin de son comportement scandaleux pour voir à quel point son art était problématique ». Détachées des normes très rigides de l’iconographie byzantine, les œuvres de Rupnik multiplient les distorsions, que ce soit au moyen des yeux vides et noirs de ses sujets – omniprésents dans la Dormition utilisée par Vatican News –, de leur asymétrie délibérée ou de leur manière de casser les codes théologiques, comme dans le logo du Jubilé de la miséricorde où il mettait en scène un œil partagé entre Dieu et Adam alors que le procédé est réservé à la représentation de la Sainte Trinité dans l’art catholique.

A ce titre, il faut bien souligner que Rupnik n’est que la pointe de l’iceberg d’une masse de représentations religieuses naturalistes – cela a commencé à la Renaissance – décalées à mille titres, entre tromperie théologique et guimauve, déstructuration contemporaine et banalisation trop humaine. Il serait injuste de les défendre en vrac au nom du rejet de l’iconoclasme : il faudrait d’abord demander le bénéfice d’inventaire.

 

Jeanne Smits