Sur place et dans de nombreux pays chrétiens, l’indignation s’est fortement fait entendre alors que le tout nouveau Musée national d’Estonie, qui a ouvert ses portes fin septembre, présentait parmi ses œuvres contemporaines une statue lumineuse virtuelle de la Vierge Marie que les visiteurs étaient invités à « détruire » en donnant un coup de pied dans le socle de l’installation. Aussitôt, l’hologramme se dispersait en mille morceaux par action d’un faisceau lumineux et à la place, on pouvait lire le mot « Reformation » – en référence à la Réforme luthérienne qui a touché une grande partie de la population du pays au XVIe siècle. Puis la statue virtuelle se reconstituait en attendant le prochain visiteur. En faisant ainsi profaner l’image de la Mère de Dieu, les responsables du musée sont décidément allés trop loin. Ils viennent de retirer l’objet.
On sait l’obsession de l’art contemporain pour l’imagerie religieuse et plus particulièrement catholique qu’il se plaît à profaner de la manière la plus violente et sordide. En général, ces « œuvres » bénéficient d’une protection publique complice, en tout cas dans les pays occidentaux. En Estonie, peut-être l’un des pays les moins religieux du monde puisque seul un tiers de la population s’y déclare fidèle d’une quelconque religion, la mobilisation de ceux qui croient a pourtant eu raison des sacrilèges.
Le Musée national d’Estonie retire l’installation sacrilège
L’installation, expliquait au début du mois le conservateur chargé de l’exposition, Kristel Rattus, n’entendait mettre en scène aucun saint particulier et, loin de pousser à la profanation systématique, visait plutôt à « faire réfléchir les gens » aux conséquences de leurs actions. En mettant en scène l’iconoclasme en actes, il se serait donc agi de le dénoncer. « Les forces destructrices sont présentes dans toute société. La possibilité de faire quelque chose de destructeur justifie-t-il l’acte lui-même ? », demandait-elle.
Les organisateurs de l’exposition croyaient-ils vraiment qu’en présentant un objet lumineux, attirant pour les enfants, et en l’associant à un panneau en béton avec une marque de pied invitant clairement à frapper fort, ils allaient susciter une réflexion profonde sur la causalité et sur les méfaits de l’iconoclasme ? On peine à le croire. On soupçonne plutôt une bonne dose d’hypocrisie.
Profaner la Vierge Marie en faisant voler en éclats une statue virtuelle…
De nombreux Estoniens ne l’ont pas entendu ainsi, en tout cas. La controverse a commencé lorsque Mgr Urmas Viilma, archevêque de l’Eglise luthérienne évangélique d’Estonie, a fait part sur sa page Facebook de sa préoccupation devant une installation créant « la tentation irrésistible de détruire une icône montrant la Vierge Marie ». Qualifiant l’œuvre d’« insulte aux croyants » pour qui la Vierge Marie n’est pas seulement une figure historique, mais une réalité présente aujourd’hui, il a été suivi par de nombreux groupes chrétiens tandis que des médias du monde entier – et pas seulement les journaux confessionnels – condamnaient vigoureusement cette manière de se moquer d’un symbole de la foi chrétienne.
On a même entendu le président du Parti du peuple, le mouvement conservateur d’opposition en Estonie, Mart Helme, déclarer que l’œuvre pourrait compliquer l’intégration des russophones, souvent très religieux, dans le pays, voire entraîner un refroidissement des relations avec la Russie. Lui-même a été ambassadeur d’Estonie à Moscou.
Les chrétiens d’Estonie font reculer l’art contemporain
A force de mobilisation, le directeur du musée, Tonis Lukas, a été contraint de passer à l’action. Il a d’abord indiqué à un journal estonien que le musée était disposé à tenir compte de l’opinion publique et des sentiments blessés, et s’apprêtait à modifier l’installation interactive. Finalement, elle a été retirée purement et simplement.
Mme Rattus s’est empressée d’expliquer que cette décision ne constituait pas un acte de « censure sociétale ». L’installation a été enlevée parce qu’elle n’avait pas réussi à étayer le message des créateurs de l’exposition, mais a au contraire « incité au comportement agressif ». Cette affaire, assure-t-elle, permet de déclencher une discussion valable sur la manière dont un musée d’histoire culturelle doit mettre en scène des événements historiques et des phénomènes culturels souvent contradictoires.
On reconnaît là la propension des promoteurs de l’art contemporain à faire du discours : le discours est même un élément essentiel des œuvres présentées dont l’intérêt est avant tout de faire parler. Ainsi la désinstallation de l’installation devient-elle une œuvre à part entière… Dans ce débat, il est probable que les accusations de naïveté ou de mauvaise foi à l’égard du Musée national d’Estonie ne fassent pas partie des discours autorisés.