Ils sont de plus en plus jeunes et de plus en plus nombreux. Un article du New York Times revient sur le phénomène grandissant et inquiétant de la consommation, par les enfants, de neuroleptiques ou d’antipsychotiques atypiques, en particulier aux États-Unis. Le « diagnostic », si c’en est un, est pourtant extrêmement récent et les effets secondaires de la médicamentation, potentiellement très néfastes pour leur développement.
Mais les intérêts sont nombreux, comme celui de répondre à une demande de parents parfois dépassés et de moins en moins formés, ou celui de toucher quelque lucrative compensation d’un juteux marché en expansion… La détresse de ces enfants mériterait pourtant bien autre chose.
Du Risperdal à 18 mois
Le journaliste Alan Schwarz rapporte le cas de ce petit Californien.
Les crises d’Andrew Rios ont commencé alors qu’il n’était âgé que de 5 mois. Et quand son médicament contre l’épilepsie lui fait adopter un comportement violent à 18 mois, une neurologue lui prescrit du Risperdal, antipsychotique notoire généralement utilisé pour traiter la schizophrénie et le trouble bipolaire chez les adultes.
On avait dit à sa mère que c’était une formalité. L’enfant se met à divaguer, à perdre pied avec la réalité, il crie dans son sommeil, les effets secondaires se multiplient. Elle découvre bientôt que les effets du Risperdal n’ont jamais été étudiés chez des enfants aussi jeunes…
Tout-petits enfants sous antipsychotiques atypiques
Les cas Andrew Rios sont légion et en constante augmentation, malgré l’absence totale de données sur l’efficacité de ces antipsychotiques dans cette tranche d’âge, et surtout sur les risques potentiels inhérents à leur prise.
Près de 20.000 prescriptions pour Risperdal, Seroquel et autres médicaments antipsychotiques ont été faites en 2014 pour des enfants de 2 ans et moins – contre 13.000 en 2013, selon la société de données d’ordonnance IMS Health. Et pour cette même tranche d’âge, les prescriptions pour l’antidépresseur Prozac ont augmenté de 23% en un an (83.000 ordonnances).
Des chiffres faramineux pour des enfants qui sont encore des bébés… et qui montrent une tendance réelle, extrêmement inquiétante. Selon le journaliste, une douzaine de pédopsychiatres consultés ont affirmé qu’ils n’avaient jamais vu d’enfants de moins de trois ans soumis à de tels médicaments et que c’était vraisemblablement la faute des parents incapables de faire face aux crises de colère de leur progéniture ou, au contraire, à sa profonde léthargie – il y a quand même des médecins pour signer l’ordonnance…
Des neuroleptiques en principe interdits
Mais il n’y a jamais eu aucun essai clinique formel chez ces tout-petits et la prescription leur en est, en théorie, interdite : le Prozac, par exemple, n’est approuvé par la Food and Drug Administration pour la dépression que chez les enfants de plus de 8 ans et le Risperdal, autorisé à partir de 10 ans seulement, est toléré à partir de 5 ans dans le cadre exclusif de l’autisme.
L’Académie Américaine des Pédiatres, l’Académie américaine de pédopsychiatrie, et l’Académie américaine de neurologie, elles-mêmes, ne disent rien sur l’utilisation des antidépresseurs et des antipsychotiques chez les enfants de moins de 3 ans.
Les effets secondaires pourraient s’avérer catastrophiques, tant au niveau physiologique qu’au niveau intellectuel.
« Des explosions d’affect »…
Né dans les années 90 – et toujours controversé d’un point de vue scientifique – le diagnostic de « trouble bipolaire infantile » avait déjà augmenté de 40% entre 1994 et 2003, selon un autre article du New York Times de septembre 2007.
Une pédopsychiatre, Claudia Gold, explique dans son livre, A l’écoute des émotions de l’enfant, qu’en moins de dix ans, de 2001 à 2010, le nombre d’enfants diagnostiqués « atteints de trouble bipolaire infantile », s’est retrouvé, par la suite, multiplié par quarante… A l’origine de cette explosion, les travaux du Dr Wosniak qui « décrivait des enfants irritables avec des bouffées de colère prolongées, teintées d’affectivité », qu’elle appelait « des explosions d’affect » – ça peut aller loin ! « Certains enfants n’avaient que trois ans et plus de 60% avaient moins de douze ans »…
Pour cette « nouvelle maladie », quatre antipsychotiques atypiques (ou de seconde génération), comme Risperdol, furent brutalement approuvés, entre 2000 et 2010. « Nous avons donc ici la formidable conjugaison d’une nouvelle « pathologie » sans traitement clairement identifié et d’un nouveau type de médicament. Aux États-Unis le nombre de prescriptions d’antipsychotiques atypiques pour enfants et adolescents, doubla pour atteindre 4,4 millions entre 2003 et 2006. »
Des cobayes de la médecine d’aujourd’hui ?
Aujourd’hui, non seulement la courbe continue son mouvement ascendant, mais il semble que les tout-petits soient une nouvelle cible, d’autant plus facile que ces derniers sont plus tributaires de leurs affects tout neufs…
Et que ne dit-on pas des intérêts financiers de l’affaire ? Il faut savoir que les antipsychotiques atypiques sont une des classes de médicaments les plus lucratives aux États-Unis. Et que les laboratoires financent activement leurs laudateurs spécialistes, comme le très célèbre pédopsychiatre Joseph Biedermann qui fut poursuivi pour avoir oublié de déclarer, dans ses revenus, les quelques 1,6 millions de dollars reçus de ces firmes…
Encore heureux, la toute dernière édition du DSM (le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux), DSM-5, de l’Association américaine de Psychiatrie, n’inclut pas encore ces « troubles bipolaires infantiles », leur préférant une nouvelle catégorie alternative – la perspective était alléchante pour les laboratoires, le DSM faisant force de loi pour les compagnies d’assurance privées.
Néanmoins, le phénomène demeure en expansion. Au lieu de travailler sur les comportements, sur tout ce qui conditionne ces troubles réels et difficiles, sur leur pourquoi profond, on médicamente à outrance en blessant davantage. Les populations pauvres africaines et asiatiques, les tout-petits de nos pays riches… on « teste » sur tout ce qui ne peut pas se plaindre.