L’endettement débridé du Nigeria, septième pays le plus peuplé au monde avec ses 190 millions d’habitants, commence à inquiéter sérieusement les analystes financiers. Bien que la croissance du PIB se traîne à 1,5 % par an sur fond d’énormes dépenses publiques qui atteignent un plus haut de 20 ans à 1.700 milliards de dollars, les dirigeants nigérians ne semblent pas s’inquiéter. Pourtant, du côté des investisseurs internationaux, le sentiment est que le gouvernement du président Muhammadu Buhari pratique un surendettement hors de proportions. Et cela en commettant l’erreur grossière de concentrer ses emprunts sur des prêteurs asiatiques, publics ou privés, créant pour lui un risque politique et économique qu’il ne réalise pas. Parmi ces prêteurs, bien entendu se trouve en première ligne la Chine, au risque de devenir une puissance dominante sur les choix de politique intérieure du Nigeria, comme ailleurs en Afrique.
Le Nigeria avait effacé sa dette en 2005 sous Olusegun Obasanjo
Le Nigeria, dont 70% de la population vit sous le seuil de pauvreté, était pourtant sorti de sa situation de surendettement massif sous la présidence d’Olusegun Obasanjo, qui avait dû rembourser 12 milliards de dollars de sa dette extérieure de 30 milliards pour obtenir un effacement de 18 autres milliards. Il avait, par une politique de rigueur douloureuse mais courageuse, ainsi allégé massivement le poids des intérêts offrant des marges de manœuvres au gouvernement. Mais depuis l’arrivée de Buhari « le gouvernement va sur les marchés financiers comme un alcoolique va au bistro », dénonce Suraj Akinyemi, dirigeant d’entreprise.
Quand Muhammadu Buhari est arrivé au pouvoir en 2015, la dette extérieure globale s’établissait à 10,7 milliards de dollars. Depuis, elle a bondi à 22 milliards, soit 73 % de son montant de 2005, considéré alors comme insoutenable. Buhari mène une politique keynésienne de dépenses à tout-va alors que le déficit public atteindra 5 % à la fin de cette année malgré les revenus pétroliers, tendance qui devrait s’aggraver en raison d’une frénésie de dépenses publiques et de transferts sociaux à visées politiciennes, le tout gagé sur une hausse des prix du pétrole. Or ce pari est à très hauts risques, une véritable « roulette russe » pour ce producteur d’hydrocarbures car rien ne permet d’assurer que le baril demeure au-dessus de 70 dollars. Le WTI était à 69,16 dollars lundi matin. S’il venait à se replier, par exemple de 20 %, le budget public s’effondrerait.
Le Nigeria risque de voir, comme en Afrique de l’Est, la Chine prendre le contrôle de secteurs publics entiers
L’effacement de 18 milliards de dollars de dette obtenu sous la précédente présidence a peu de chances de se reproduire. La vague d’emprunts auprès des puissances asiatiques est jugée par les observateurs comme une erreur, renvoyant à la débâcle relevée dans plusieurs pays d’Afrique de l’Est où la Chine est en train de prendre le contrôle de secteurs publics entiers quand les gouvernements ne parviennent plus à assurer le service de leur dette. Djibouti, par exemple, illustre en ce moment ce processus typiquement chinois de « piège diplomatique de la dette ». Pékin y a construit un port commercial à Doraleh et un aéroport international en prêtant près d’un milliard de dollars US, soit la moitié du PIB annuel du pays. Djibouti, petit Etat aride et sans ressources, est un pion stratégique avec des bases française, japonaise, italienne et états-unienne. Désormais, sous la pression financière, menacée de banqueroute, la petite république s’apprête à autoriser l’établissement de la première base navale chinoise d’outre-mer.
A une autre échelle, il en va de même au Kenya, première économie d’Afrique de l’Est, dont la dette extérieure est portée à 70 % par la Chine. Tout cela fait dire aux observateurs nigérians que, faute de resserrement budgétaire drastique, la mise sous tutelle chinoise du Nigeria menace. Or le service de la dette du géant africain est en passe de dévorer 60 % des budgets publics.
Le Nigeria, surendetté, fruit mûr pour la Chine et sa domination économique
Dans ce contexte, les marchés financiers se sont retournés : ce mois-ci, l’indice phare de la bourse de Lagos (ASI) a chuté à un plus bas de deux ans, à 32.328 points, en fort décrochage par rapport au record de 45.000 points atteint en janvier. Si les administrations publiques continuent d’emprunter à tours de bras pour couvrir leurs déficits budgétaires, les taux d’intérêts vont monter et le PIB diminuer, poussant les investisseurs à fuir le pays et faisant chuter la devise nationale, le naira, estime Teslim Shitta-Bey sur Hallmarknews. D’autant, précise M. Akinyemi, que le surcroît actuel de dépenses publiques « n’a qu’un impact marginal sur la croissance et le développement ». De quoi transformer le Nigeria en fruit mûr pour la Chine communiste, candidate à la domination économique du monde globalisé.
L’histoire d’amour entre l’Etat nigérian et le fonds souverains chinois « pourrait fort mal finir », poursuit l’analyste. Les experts estiment que l’augmentation du service de la dette publique l’a déjà rendu insoutenable et que si les cours du pétrole s’écroulent dans les prochains mois, l’économie du Nigeria plongerait dans une récession pire que celle subie en 2016 et 2017, alors liée à la chute du prix du baril. A ce moment-là, soit la Chine accroîtra un peu plus son emprise sur ce pays-clé de l’Afrique noire, soit elle sera elle-même affectée par ce nouvel effondrement financier dans une Afrique qui lui est de plus en plus redevable. Le piège parfois se retourne aussi sur celui qui l’a posé.