L’enlèvement de plus de deux cents fillettes et jeunes filles par la secte Boko Haram et les menaces qui ont suivies ont traumatisé la communauté internationale, qui s’insurge contre une telle barbarie et demande réparation. C’est la fin de la légende maçonnique d’une Afrique tolérante : non, l’Islam noir n’est pas bon enfant.
Il existe en Europe, et au cœur du bruit médiatique désinformateur, une légende courante : l’Islam noir, pratiqué par des populations indigènes en Afrique au Sud du Sahara, serait bon enfant, sympathique, inoffensif. Il est devenu difficile depuis les années 1970-80 de nier dans l’Islam arabe, pakistanais, afghan, indonésien, au moins un potentiel de violence forte, avec en particulier des attentats terroristes meurtriers – touchant des Occidentaux là-bas ou chez nous, et surtout les populations locales. Par contre demeure pour l’Islam africain la légende forgée par les maçons du XVIIIème siècle, qui reconstruisaient dans leurs rêves un Islam artificiel, proche de leur idéal de religion naturelle, adorant un Dieu qui ne soit pas incarné en Jésus-Christ, sans médiation d’aucun clergé (les chiites ne sont qu’une minorité), et qui serait tolérante… A ce fond idéologique ont été ajoutées des légendes coloniales de la première moitié du XXème siècle, envisageant l’Islam noir comme un syncrétisme inoffensif, alliant des versets coraniques à une masse de pratiques animistes beaucoup plus anciennes, qui garantiraient de toute dérive fanatique islamiste. C’est ainsi que domine encore l’image d’un Islam africain bon enfant, alimenté d’adages du type « l’Africain aime la vie », encore courants dans les télévisions officielles françaises (entendu récemment sur LCP, la Chaîne Parlementaire). Il serait ainsi épargné par les passions morbides liées aux contextes culturels arabes, malais ou indien.
Des confréries suspectes
Il est vrai que l’Islam subsaharien, observé de 1890 à 1990, est dominé par la structuration en confréries, lointainement inspirées du soufisme maghrébin. Toutefois il faut se garder de prendre au pied de la lettre les actions de communication de ces confréries, hier comme aujourd’hui. Elles encadrent encore strictement leurs fidèles, et leur demandent de gros dons financiers, même quand ils appartiennent à certaines des populations les plus pauvres au monde. Elles ont aussi souvent développé des pratiques fort discutables, comme la mendicité organisée des enfants au Sénégal chez les Mourides, ou le travail forcé. La gestion des adeptes demeure des plus obscures, et les Etats, par ailleurs faibles, se gardent bien d’enquêter à leur sujet ; la démocratisation, au moins en surface, du Sénégal au Niger, depuis les années 1990, a plutôt aggravé les choses sur ce point : les autorités courtisent les guides spirituels pour que les membres des confréries votent bien. Quant aux pratiques « magiques » effectivement d’usage dans l’Islam noir traditionnel, et bannies par l’islamisme strict, elles ne peuvent inspirer non plus au chrétien une sympathie débordante ; il s’agit soit de tromperie d’âmes simples, le plus souvent, soit d’appel à des esprits authentiques, morts ou préternaturels, au mieux douteux, plus souvent inquiétants ou sataniques.
La révolution salafiste
Aujourd’hui cet Islam des confréries, dans tout le Sahel, particulièrement du Mali au Soudan, en passant par le Niger, le Tchad, tend à reculer fortement face au salafisme. C’est un mouvement relativement récent mais massif, que beaucoup refusent de voir en Occident. Cette véritable révolution est financée depuis les années 1990 par de riches donateurs arabes du Golfe Persique, parapublics, dont de nombreuses fondations saoudiennes, ou privés. Tout ceci dépasse de très loin le cas marginal déjà ancien et toujours actuel, voisin de la Péninsule Arabique, de la Somalie, en guerre civile depuis 1991. Il existe même une concurrence dans la surenchère entre l’Arabie Saoudite, jusque-là en quasi-monopole, et le richissime Qatar, qui rivalisent désormais dans les coûteuses dépenses de prosélytisme islamiste. Les autorités locales laissent faire, par impuissance, perméabilité idéologique, indifférence, vénalité, ou considérations pratiques, car ces fondations islamistes pieuses assurent des soutiens économiques et sanitaires à des populations en détresse. Elles se substituent aussi à des Etats désargentés pour l’enseignement, un enseignement évidemment orienté.
l’Islam sera toujours l’Islam
Or, il n’existe pas, parmi les salafistes, contrairement à une légende courante très diffusée, de barrière étanche entre un « grand djihad » qui serait tout de travail d’amélioration spirituelle intérieure, et d’aide de son prochain musulman, et de « petit djihad », le devoir de guerre au nom d’Allah. Le passage du premier au second s’opère sans difficulté. Ainsi, l’invasion de la Centrafrique en 2013 par des mercenaires tchadiens et soudanais peut être assimilé à un djihad contre un pays chrétien ; en refusant absolument de voir cette réalité, nos dirigeants condamnent l’armée française à l’échec. L’occupation du Nord du Mali par des salafistes n’a pas causé de soulèvement général ; ils n’ont été chassés, peut-être provisoirement, en janvier 2013 que par l’intervention française, encore en cours. Le djihad frappe aussi massivement au Kenya, en pays chrétien, le plateau central. La capitale Nairobi, est touchée par une vague d’attentats responsables de centaines de morts, dont on parle fort peu. Signalons au passage l’ingratitude des coupables : ce sont des réfugiés somaliens, accueillis il y a deux décennies par le Kenya, pays pourtant pas riche. Ces actes de guerre frappent aussi des populations musulmanes, dont celles du Nord du Nigéria, théâtre d’attentats réguliers dont le bilan se compte en milliers de victimes, sans compter l’attaque récente de Boko Haram contre les lycéennes.
Ainsi, l’Islam africain connaît exactement le même salafisme que le monde arabe ou pakistanais. Rappelons qu’il ne s’agit pas d’une dérive aberrante d’une religion qui serait bonne, mais d’un retour aux sources, d’une volonté de restaurer la communauté musulmane d’origine de Mahomet et ses disciples, hommes de guerre rusés, à l’éthique souple, certainement pas de doux pacifistes. Il suffit de la lire le Coran ou la Sira : cette vie semi-légendaire de Mahomet, qui fait autorité dans le monde musulman, est révélatrice du contexte culturel du premier siècle de l’Islam. Sa violence frappe d’autant plus qu’elle est considérée comme exemplaire. Au fond l’Islam africain est tout simplement musulman, ni pire ni meilleur qu’ailleurs. Que certains musulmans soient des braves gens, certainement, mais ils le sont malgré l’Islam et non grâce à lui. Non, certainement pas, l’Islam noir n’est pas bon enfant, et ne l’a d’ailleurs jamais été.