Ainsi donc, ce 11 juillet 2018, le Chapitre général de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie X, réuni à Ecône, a élu un nouveau supérieur, l’abbé Davide Pagliarani, en remplacement de Mgr Bernard Fellay, qui achevait son deuxième mandat à ce poste. Au-delà du rajeunissement des cadres – le nouveau supérieur a 47 ans, le sortant 60 –, cette passation de pouvoirs implique-t-elle un changement de ligne ?
Le Chapitre général comprenait, cette fois-ci, 41 membres, répartis entre des « anciens » de la Fraternité, censés cumuler la sagesse et une connaissance bien enracinée de la pensée du Fondateur, Mgr Marcel Lefebvre, et des « supérieurs », à divers niveaux et postes, de la Fraternité, c’est-à-dire ceux qui sont le plus à même d’apprécier les questions, voire les difficultés, qui se posent à elle – et d’y apporter des réponses.
On peut retourner la question dans tous les sens, et invoquer même l’autorité du Saint-Esprit : il est impossible de ne pas voir que le remplacement d’un supérieur qui a dirigé une société pendant près d’un quart de siècle implique, nécessairement, un changement – ne serait-ce que dans la forme.
La Fraternité Saint-Pie X a un nouveau supérieur
Cela est logique, cela est humain. Le point d’interrogation fondamental est celui qui clôt une suspicion (au sens le plus neutre du terme) d’une évolution de la ligne suivie ces dernières années, voire d’un changement radical.
N’y allons pas par quatre chemins ! Il s’agit, bien évidemment, du sujet primordial, pour la Fraternité Saint-Pie X, comme pour l’ensemble des catholiques du monde entier, des relations d’icelle avec Rome. Pour le reste, ce qui concerne la vie habituelle de la Fraternité, cela ne concerne que la Fraternité elle-même qui, comme toute entreprise humaine, même ayant Dieu pour objet, connaît, malgré une belle croissance, ses difficultés. Cela constitue sans doute une part non négligeable du travail d’un supérieur, mais ne saurait faire l’objet de la présente réflexion. Il y faudrait une connaissance plus intime de ladite Fraternité…
Que peut-on dire, que peut-on constater donc de ce changement à la tête de la Fraternité Saint-Pie X en ce qui concerne les relations avec le Saint-Siège – alors même que les délibérations du Chapitre général ne sont pas publiques ?
Le premier point est que, alors même que d’aucuns le tenaient pour favori, Mgr Fellay n’a pas été réélu. Eliminons d’emblée la question de la juridiction, à laquelle certains se réfèrent de temps à autre pour dire que Mgr Lefebvre ne voulait pas que les évêques qu’il avait sacrés disposassent d’une juridiction. Savoir si la direction de la Fraternité correspond à une juridiction épiscopale, se demander ce qu’est un évêque sans juridiction… toutes ces questions ont été posées depuis des années sans réelle incidence. Si nous ne nous intéressons pas ici, ce n’est pas que ces divers points seraient trop longs à étudier, mais qu’il paraîtrait pour le moins curieux qu’il ait fallu deux mandats, soit vingt-quatre années, aux autorités de la Fraternité pour prendre conscience d’une difficulté qui, en pratique, ne se pose pas – ou plus.
Une nouvelle ligne ?
Si donc Mgr Fellay n’a pas été réélu, c’est donc que « sa » ligne n’avait plus la majorité au sein du Chapitre général – ou, du moins, que la mise en œuvre de cette ligne ces dernières années ne paraissait pas efficace, ou pas assez visible. On a pu dire de Mgr Fellay qu’il était un homme – et un supérieur – prudent, et qu’il avait le souci de ne pas prendre de décision qui risquât de diviser, voire de briser, la Fraternité.
Cela dit, vingt-quatre années de tergiversations sur la question des relations avec Rome, c’est bien long. Si long que la prudence peut finir par passer pour de l’indécision… Dans le même temps, trois papes se sont suivis, et nombre (si ce n’est tous) de responsables romains ont changé, ce qui, à chaque fois, contraint de reprendre le dossier en amont, les nouveaux venus n’en ayant pas nécessairement une connaissance approfondie.
Exit donc Mgr Fellay. Le second point est l’entrée en scène de l’abbé Pagliarani, qui lui succède. Le nouveau Supérieur général est loin d’être aussi connu – extérieurement à la Fraternité, j’entends – que son prédécesseur. Il se dit qu’il est plutôt proche de Mgr de Galarreta, et qu’il ne serait pas précisément « accordiste ». Le vilain mot ! Tant du point de vue de la langue française, que de la réalité qu’il prétend recouvrir – à savoir, pour faire court, qu’un catholique se demande s’il doit être en communion avec Pierre.
Nous nous trouverions donc face à un potentiel changement de ligne, du moins face à l’indécision pratique évoquée ci-dessus. Sur le fond, cela reste évidemment à voir, à l’épreuve de la réalité. Et répondant aux premières questions posées par le service de communication de la Fraternité, l’abbé Pagliarani n’a voulu évoquer que la fidélité à la vocation de la Fraternité dont il assume désormais la direction. On peut cependant noter quelques faits.
La question romaine
Le premier est que l’élection des deux assistants du Supérieur général, qui ne devait avoir lieu que ce 12 juillet, a été organisée dans la foulée, mercredi soir. Difficile de prétendre que les 41 membres du Chapitre aient voulu évacuer une question secondaire pour se consacrer aux sujets d’importance, puisque ceux-ci dépendent, de fait, des supérieurs en place. Est-il possible, si question de ligne il y a, que les électeurs de l’abbé Pagliarani aient voulu profiter de son élection pour la conforter, sans laisser éventuellement aux autres votants le temps de se ressaisir ? Là encore, l’avenir le dira. Mais il va de soi que le secret qui entoure ces élections, bien que légitime, favorise l’émergence de questions appelées, sans doute, à demeurer sans réponse…
Pour ce qui est des assistants eux-mêmes, le premier élu a été Mgr Galarreta – ce qui semblerait confirmer une certaine prise de distance avec la recherche d’un accord romain. Certes, l’on trouve certains propos de Son Excellence évoquant la possibilité que se réalise un tel accord, mais il en est beaucoup d’autres, et manifestement les plus nombreux, dans lesquels il estime celui-ci impossible aux torts exclusifs du Saint-Siège, ce qui ne facilite pas nécessairement les discussions. D’autant plus que Mgr Galarreta fut responsable de la commission doctrinale mise en place pour participer aux discussions éponymes du temps de Benoît XVI, et que celles-ci ne donnèrent rien – ou pas grand-chose.
Le second assistant est l’abbé Bouchacourt, actuel supérieur du district de France, dont on peut dire qu’il est l’expression de la fidélité tranquille au sein de la fraternité – ce qui n’ôte rien à ses capacités, sa « carrière » le prouve amplement.
Un passé argentin
Pour conclure, on notera que ces trois nouveaux supérieurs ont tout trois un lien, présent ou passé, avec l’Argentine, et que de ce fait, ils connaissent, mieux que leurs confrères, celui qui fut le cardinal Bergoglio. Est-ce un fait qui a été pris en compte par les membres du Chapitre au moment de voter ? Et si c’est bien le cas, cela signifie-t-il qu’ils ont été considérés comme plus à même de s’en méfier ? Ou plus susceptibles de savoir comment discuter avec lui ?
Au final, la question d’un éventuel accord pourrait bien rester beaucoup plus ouverte qu’il n’y paraît de prime abord. La seule chose qui paraît sûre est que, s’il devait finalement advenir, ce ne serait pas, d’une part, en empruntant les mêmes voies pour y parvenir ; et, d’autre part, que les conditions exigées seraient sans doute beaucoup plus strictement édictées.
Reste à confier ce délicat problème à saint Pie X qui, parmi tous les autres, a l’immense mérite de ne pouvoir être qu’un pont entre un pape et la Fraternité qui porte son nom !
Hubert Cordat