Jeux olympiques : sous les polémiques sur la Cène, la vérité

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La cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques le 26 juillet a soulevé plusieurs polémiques dont la plus vive regarde un tableau avec des drag queens rappelant La Cène. Plusieurs hommes politiques, dont Marion Maréchal et Philippe de Villiers, l’ont relevé avec indignation. On a parlé de blasphème. La Conférence des évêques, dans un communiqué très consensuel, a déploré en une phrase « des scènes de dérision et de moquerie du christianisme ». Le ministre de l’Intérieur expédiant les affaires courantes Gérald Darmanin a répondu en parlant « d’art » et de « liberté de création des artistes ». Interrogé le lendemain, le metteur en scène responsable Thomas Jolly a nié s’être inspiré de La Cène. Puis, d’assez nombreux internautes ont reconnu une transcription du Festin des dieux de Jan Harmensz van Bijert, petit maître hollandais du XVIIème siècle, conservé au musée Magnin de Dijon, ce qui a fait exploser la fréquentation de son site internet. Voilà beaucoup de contradictions et de confusions. Pour déterminer où est la vérité dans ces polémiques, examinons avec attention la chronologie des faits.

 

Les drag queens disent la vérité : elles ont parodié la Cène

Le tableau inspiré de La Cène s’installe le 26 juillet à 21h20. Premier commentaire de France TV, diffuseur officiel de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympique, à 21h34 : « Mise en Cène LE-GEN-DAIRE ». Dans la soirée, le compte instagram de Barbara Butch, « militante et DJ » qui figure la grosse dame en bleu à la place du Christ avec une drôle de coiffure rappelant l’auréole de la Vierge, la montre triomphante. Et un post d’elle le 27 juillet présente le tableau du spectacle au-dessus de La Cène de Vinci avec la légende : « Oh, yes ! Oh yes ! The New Gay Testament ! » C’est signé d’elle et de quatre autres drag queens @thenickydoll, @poloma_hugobernardin, @rayamatigny, @pichecometrue. Plus tard, le 27 à 15h42, dans un tweet où Barbara Butch célèbre « Thomas Jolly président du monde », elle rappelle « @barbarabutch en Olympic Jesus ». Le 28 juillet, interrogé en direct à 19h23 par BFMTV, la drag queen Piche, satisfaite que « l’art divise » reconnaît à plusieurs reprises que La Cène avait été « utilisée ». Il est donc clair que les acteurs du tableau ont reconnu, et même revendiqué, s’être inspiré de La Cène de Vinci. Damien Gabriac, assistant de Thomas Jolly et très proche de lui, interrogé sur France Inter le 27, s’en est même félicité.

 

Diffuseur officiel de l’ouverture des Jeux Olympiques, FranceTV avoue

La presse unanime partage alors cet avis. Outre le commentaire de France TV, le Parisien écrit le 27 juillet : « Piche a vécu un moment hors du temps en participant au tableau de La Cène. (…) Elle nous raconte sa soirée folle. » Libération, dans un article enthousiaste du 27 juillet, égrène les grands moments de la cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques où il place « une Cène avec Barbara Butch en Jésus.e queer entourée de la fine fleur du drag français ». La cause est entendue : ce que les acteurs ont revendiqué, les journalistes l’ont vu et dit. Et les spectateurs qu’ils ont interrogés aussi. 20 Minutes a interviewé ainsi un certain « Big Bertha » : « En tant que drag queen, qu’avez-vous ressenti en découvrant la séquence du défilé ? » « J’avais des frissons, j’étais extrêmement fière. Cette image de La Cène, tout le monde pense à cette scène religieuse, mais c’est aussi un message : Je suis de religion chrétienne et cette religion, c’est : “aimons-nous les uns les autres, tout le monde est accepté dans la maison de dieu”. En fait, sur cette scène il y avait tous les genres, tous les visages, tous les Français. Moi, cette religion, j’adhère. Ça fait énormément parler mais notre France aujourd’hui, c’est celle-là. »

 

Un piteux démenti pour tenter d’étouffer les polémiques

Puis la polémique enfle. Certains pays censurent certains passages de la cérémonie. Fait sans précédent dans l’histoire des Jeux olympiques, il n’est plus possible de la regarder en replay. France TV retire son tweet daté du 26 à 2 heures 34. Le comité d’organisation des Jeux olympiques se déclare « désolé ». Et le metteur en scène Thomas Jolly convoque une conférence de presse pour dire que La Cène n’a rien à voir dans le tableau incriminé : « Ce n’était pas mon inspiration, (…) il y a Dionysos qui arrive sur cette table, il est là, pourquoi ? Parce qu’il est dieu de la fête (…), du vin, et père de Sequana, déesse reliée au fleuve. » Là-dessus, comme par hasard, un internaute découvre que le tableau lui rappelle celui de Van Bijlert, Le festin des dieux. Qu’en penser ? Que cette retraite tardive, d’abord, ne change rien. Car si l’on lit la notice du tableau au musée de Dijon précise ceci : « En Hollande, dans le contexte de la Réforme protestante, les commandes de peintures religieuses se font rares. L’artiste trouve un stratagème : il représente, sous le couvert de cet épisode mythologique, la dernière Cène : Apollon auréolé rappelle le Christ entouré de ses apôtres, Vulcain (avec son maillet) occupe la place habituelle de Jean, Mars cuirassé et casqué, celle de Judas, seul face à tous. » En somme, ce n’est qu’un décalque de La Cène.

 

Tous les faits démentent le démenti du metteur en scène

Si l’on regarde de plus près, l’explication de Jolly apparaît vraiment piteuse. D’abord, bien sûr parce qu’elle contredit tout ce que son propre adjoint et les acteurs ont revendiqué. Ensuite parce que le wording imposé aux médias, entendez par ce mot de jargon professionnel transcrit de l’anglais, les éléments de langage fournis par le service de communication des Jeux olympiques, ne se décrète pas au dernier moment : depuis des semaines, il était prévu de parler de la Cène aux journalistes. Ensuite encore Philippe Katerine, le chanteur peint en bleu vêtu d’un slip paraît 44 minutes après le début du tableau. Il ne porte aucun des attributs de Dyonisos, en particulier la grappe de raisin emblématique que celui-ci tient sur le tableau de Van Bijlert. D’ailleurs, présenté sous une cloche géante de restaurant, Philippe Katerine figure le plat qu’on va manger, ce qui n’est pas le cas dans Le festin des dieux. Et puis Jolly, qui mit en scène Starmania, est un partisan revendiqué du « spectacle populaire », il cherche les « références que tous partagent ». C’est le cas de La Cène de Vinci, pas du Festin des dieux tardivement déniché à Dijon. Au mieux, l’arrivée tardive de Katerine sert à entretenir une ambiguïté.

 

Polémique sur le blasphème

Une question subsiste pourtant. La réaction enthousiaste de la drag queen Big Bertha, qui s’affirme chrétienne, force à la poser : le détournement de La Cène constitue-t-il un blasphème ? La drag queen Piche, interrogée en direct sur BFM, le nie. Pour lui, « la problématique ce n’est pas d’avoir fait la scène, mais c’est à partir du moment où ce sont des queers qui le font cela pose problème. (…) On n’a rien fait d’obscène dans cette Cène, la seule question c’est la fluidité du genre, mais ça c’est pas obscène ». Donc, il n’y aurait pas, à l’en croire, d’intention mauvaise. Et il ne semble pas se rendre compte que la « fluidité du genre » s’oppose frontalement à la foi chrétienne. Donc, soumettre La Cène à une représentation queer, c’est objectivement blasphémer. Admettons, par hypothèse, qu’il soit sincère : le blasphème est commis par celui qui a conçu le tableau et donné les instructions aux acteurs.

 

Darmanin s’emmêle dans la charte olympique

Sur cette question, Gérald Darmanin a aussi donné son opinion en répondant aux évêques de France. Il affirme que la France est « un pays de liberté, liberté sexuelle, liberté religieuse, liberté de se moquer, de caricaturer. (…) Depuis toujours l’art, et ce qu’on a vu était de l’art, a été critiqué par les responsables religieux et par d’autres, mais il faut accepter ce débat autour de l’art et cette liberté de création des artistes, sinon nous ne sommes pas la France ». Ce à quoi Mgr Gobilliard, évêque de Digne, a lui-même répondu avec justesse dans la Croix que la question ne se posait pas seulement dans le contexte de la laïcité française, mais dans un cadre juridique plus strict, celui des Jeux olympiques. « La Charte Olympique demande explicitement que ne soit pas exprimée d’opinion politique, idéologique ou religieuse. Le droit au blasphème [sic] n’avait donc pas vraiment sa place dans cette cérémonie, censée surtout faire prévaloir l’esprit d’unité, de fraternité, de rassemblement, de paix. »

 

Par électoralisme, Mélenchon s’approche de la vérité

L’unité, le rassemblement, la paix, Thomas Jolly, dans les nombreuses déclarations d’intention qu’il a fait publier, en a souvent parlé. Se justifiant après coup encore pour étouffer la polémique, il a déclaré à l’AFP « Vous ne trouverez jamais chez moi une quelconque volonté de moquerie, de dénigrer quoi que ce soit. J’ai voulu faire une cérémonie qui répare, qui réconcilie. » Ici, il n’est pas possible de le suivre, si l’on se souvient notamment de la scène de trouple qui a troublé beaucoup de monde lors de la cérémonie d’ouverture, ou encore de la tête coupée de Marie Antoinette chantant la Carmagnole sur le mur de la Conciergerie. Jean-Luc Mélenchon l’a d’ailleurs noté simplement : « La mort ne pourra jamais être un spectacle. » L’insoumis n’a pas aimé non plus « la moquerie sur la Cène chrétienne (…) fondatrice du culte dominical. (…) A quoi bon risquer de blesser les croyants ? Même quand on est anticlérical ». Que cette phrase lui soit soufflée par son souci de ménager au fond son électorat musulman n’empêche pas qu’elle soit vraie. Et Mgr Gobilliard a raison de conclure : « Quoiqu’on en dise, la polémique née dans le sillage de cette parodie n’aura pas servi cette finalité de paix. »

 

Imagine et l’antichristianisme des Jeux olympiques

Sur un point, toutefois, dans sa mauvaise défense, Jolly aura dit la vérité : « L’idée était plutôt de faire une grande fête païenne reliée aux dieux de l’Olympe… Olympe… l’Olympisme. » Là, il exprime une évidence. Une évidence qui corrobore tout le décorum de la flamme et sa symbolique. Et qui confirme une autre évidence : tout ce décorum, ces symboles, cette cérémonie sont, en cela-même qu’ils sont païens, radicalement anti-chrétiens. En retirant du replay une cérémonie qui est allée trop loin, qui a montré de manière trop explicite son antichristianisme, le comité olympique montre qu’il est complice : il ne veut pas que la chose apparaisse nettement aux yeux du public. Car ce n’est pas la première fois que les Jeux olympiques servent de la propagande anti-chrétienne. La chanson Imagine, de John Lenon, l’hymne des grandes cérémonies de l’arc-en-ciel, qui a retenti à Paris, est la mascotte des Jeux olympiques : elle a été jouée en 1996 à Atlanta, en 2006 à Turin, à Londres en 2012, à Pyeong Cheang en 2018. Elle invite à imaginer qu’il n’y ait pas de paradis, pas de nations, pas de propriété, pas de religions, et à rassembler le monde dans le paganisme rêvé de l’état de nature. A la différence de la cérémonie des Jeux olympiques, on n’y trouve ni tête coupée ni blasphème, juste une grande niaiserie émolliente.

 

Pauline Mille