Jeudi, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté à l’unanimité une résolution qui a pour but d’assécher les sources de financement de l’État islamique (EI). Lancée à l’initiative conjointe de la Russie et des États-Unis, le texte a été signé par les ministres des Finances de quinze pays.
« Comme Daesh et d’autres groupes terroristes diffusent leur propagande haineuse et en viennent à des attaques meurtrières, nous devons unir nos forces pour les empêcher d’acquérir et de déployer les ressources pour faire plus de mal » a déclaré le Secrétaire général, Ban Ki-moon.
C’est bien – mais pourquoi avoir attendu tout ce temps ?!…
« Révéler et perturber le financement illégal de l’Etat islamique »
Le texte technique de 28 pages se fonde sur l’article VII de la Charte des Nations unies et appelle les membres à « agir vigoureusement et fermement pour couper le flux financier » à l’Etat islamique. Avec effet immédiat. Et sanctions à la clé, comme le gel des avoirs, l’interdiction de voyager, les embargos sur les armes…
Il cible l’Etat islamique, mais pas seulement. Les pays sont invités à inscrire « le financement du terrorisme » en général, dans leurs lois nationales comme un crime grave et à intensifier leurs échanges d’informations à ce sujet. Les gouvernements doivent empêcher leurs citoyens de financer ou de fournir des services aux organisations terroristes ou à des terroristes individuels, à quelque fin que ce soit, c’est-à-dire « même en l’absence de tout lien avec un acte terroriste précis ».
Ce n’est pas la première résolution sur le sujet, objectera-t-on… Le Conseil avait déjà, en février, permis de sanctionner les individus ou entités qui financent l’Etat islamique en lui achetant du pétrole de contrebande ou des objets archéologiques volés en Syrie et en Irak – était-ce vraiment appliqué ? Et depuis quinze ans, un comité de l’ONU gèle les avoirs de tous les financiers des groupes liés à Al-Qaïda.
Le Comité de l’ONU cible
l’Etat islamique
Mais la nouveauté est que cette fois-ci, l’Etat islamique est nommément désigné. Le Comité est d’ailleurs rebaptisé « Comité des sanctions EI-Daech et Al-Qaïda ».
Et la pression internationale se fait plus forte. Chaque pays est censé remettre dans un délai de quatre mois un rapport sur les mesures qu’il aura prises pour appliquer la résolution. Et l’ONU devra, elle aussi, produire, sous l’égide de Ban Ki Moon, et dans le délai de 45 jours, un rapport stratégique sur la menace djihadiste et sur les sources de financement de l’Etat islamique.
L’émissaire russe, Vitali Tchourkine, a déclaré espérer « un rapport très concret et honnête » – il ne s’est pas privé pour évoquer la participation de la Turquie dans le commerce pétrolier islamique…
H
ydrocarbures, trafic d’œuvres d’art et… financement étranger
Faut-il rappeler qu’en quelques années, le tout jeune Etat islamique est devenu l’un des groupes terroristes les plus riches du monde. Les experts s’accordent pour évaluer ses revenus mensuels à 80 millions de dollars, au sein des territoires qu’il occupe en Irak et en Syrie.
La moitié viendrait des taxes prélevées sur les entreprises et les commerces, du pillage des banques et du trafic d’œuvres d’art. Et 40 % seraient issus de la contrebande du pétrole et du gaz (en baisse grâce aux bombardements des coalitions et à la chute du prix du prix du baril) ; l’esclavage et les rançons forment le reste. Ses actifs, au total, s’élèveraient à 1.800 milliards d’euros selon un article du Monde…
Ce qu’on dit moins, c’est la part initiale et celle toujours en cours du « financement extérieur », de cet approvisionnement étranger sans lequel l’organisation n’aurait jamais pu se développer. D’aucuns l’ont déjà dénoncé, comme le directeur du Centre de recherche sur le Monde arabe à l’Université de Mayence, en Allemagne, le Dr Günter Meyer : « A ce jour, la source de financement de l’EI la plus importante provient des pays du Golfe, principalement de l’Arabie saoudite mais aussi du Qatar, du Koweït et des Émirats arabes unis ». Et ces pays ont des alliés… outre Atlantique.
La « prise de conscience » américaine…
Avec cette soudaine résolution de l’ONU, on parle d’une avancée majeure dans les relations entre les deux coalitions présentes en Syrie, à savoir celle de la Russie et celle des États-Unis.
Mais la prise de conscience sonne faux. « Interdire à l’Etat islamique l’accès au système financier international est un élément clé de toute stratégie globale vouée à le dégrader et le détruire », a déclaré l’ambassadeur américain à l’ONU, Samantha Power.
On ne découvre pas, du jour au lendemain, un tel talon d’Achille. Pourquoi avoir attendu tout ce temps ?!… Là est la vraie question.
La visite de Kerry à Lavrov : exit le problème Assad ?
Une chose est certaine : la partition syrienne évolue. La visite du secrétaire d’État John Kerry à Moscou, mardi, l’annonçait déjà : « Les États-Unis sont prêts à travailler avec la Russie » a t-il déclaré. Et Poutine a renchéri, jeudi : le plan russe pour résoudre le conflit « aussi étrange que cela puisse paraître, coïncide avec la vision des États-Unis dans ses principaux aspects »…
Bien sûr, reste la question des frappes russes, que Washington persiste à ne pas voir dirigées uniquement contre les terroristes mais aussi conte les rebelles modérés… Mais l’épineux problème Assad ne semble plus être primordial. John Kerry a rappelé que si Washington reste favorable à sa destitution, « les États-Unis ne cherchent pas actuellement, à changer le régime en Syrie ». Il s’agit surtout de cibler de manière encore plus déterminée les groupes terroristes Etat islamique et Front al-Nosra.
Le calendrier du conflit syrien avancerait-il?! Aujourd’hui, vendredi, doit se tenir une énième rencontre internationale sur le sujet à New York. Il semble, en tous les cas, que l’Etat islamique ne soit plus un levier de déstabilisation ad hoc et qu’il faille en amenuiser la nuisance – l’Arabie saoudite, elle-même, vient d’annoncer la création d’une grande coalition contre le terrorisme regroupant trente-quatre pays musulmans.