C’est une première, et le signe d’une ingérence de plus en plus nette de l’ONU dans les Etats parties à ses traités en vue de leur imposer un véritable devoir de rendre l’avortement ainsi que l’information sur l’avortement accessibles au nom de la « santé reproductive ». Le comité des droits de l’enfant de l’ONU a condamné mardi le Pérou dans une affaire sordide et triste, pour avoir méconnu le droit à l’information sur l’avortement thérapeutique d’une jeune fille indigène mineure et pour l’avoir contrainte de garder son bébé conçu à la suite d’un viol incestueux.
Les juges de Genève, intervenant dans un cadre analogue à celui de la Cour européenne des droits de l’homme, a jugé que du fait du traitement de son cas par les autorités sanitaires, civiles, policières et judiciaires, la demanderesse, Camila, a été victime d’atteinte à son droit à la vie privée, à son droit à la vie et à la santé, de discrimination en raison de « l’âge, du genre, de la situation sociale et de l’origine ethnique », et même de « torture » au sens de l’article 37 a) de la Convention des droits de l’enfant : le refus de l’avortement thérapeutique étant à la racine de toutes ces violations d’autant qu’elle était mineure au moment des faits et qu’elle avait été victime de « violence sexuelle » de la part de son père.
La jeune fille avait été « punie pour ne s’être pas conformée aux stéréotypes de genre au sujet de sa fonction reproductive », écrivent les juges.
Le Pérou condamné pour refus d’avortement « thérapeutique »
Le Pérou se voit de ce fait condamner à indemniser la jeune fille au moyen d’une « réparation effective » qui lui permette de « reconstruire sa vie », faire des études et bénéficier de services de santé mentale. Pour éviter que des faits similaires ne se reproduisent, le Pérou « doit » selon le Comité des Nations unies (CNUDE) « dépénaliser l’avortement dans tous les cas de grossesse infantile ».
Suit une longue liste d’autres « devoirs » que le Pérou va devoir remplir : « assurer l’accès aux services d’avortement et de soins post-avortement pour les jeunes filles enceintes, en particulier en cas de danger pour la vie et la santé de la mère, de viol ou d’inceste » ; revoir le guide technique de l’accès à l’avortement thérapeutique pour y inclure explicitement le cas des mineures ; prévoir des recours en cas de non réalisation des procédures prévues par ce guide technique ; former les autorités de toutes sortes à l’application du droit à l’avortement thérapeutique ; mettre en place l’éducation sexuelle pour tous et donner « aux garçons et aux filles » accès à l’information aux services de santé reproductive et à la contraception.
La loi péruvienne oblige les personnels de santé à agir pour protéger conjointement les vies de la mère et l’enfant à naître, « l’avortement thérapeutique » étant la seule exception légale en cas de danger pour la vie de la mère.
La petite Camila vivait dans un village reculé de montagne, Huanipaca, accessible seulement par des chemins en terre (cela dit, les photos du lieu sont plutôt avenantes si l’on veut bien consulter google maps !) ; sa maison en torchis ne disposait ni d’électricité ni d’eau courante. Sa mère était invalide, paralysée du bas du corps. Son père a commencé à la violer alors qu’elle avait neuf ans (ainsi qu’il l’a reconnu dans le cadre de cette affaire) et en 2017, alors que la fillette avait 13 ans, celle-ci est tombée enceinte, ce qui a été découvert le 9 novembre de cette année-là lorsque, ayant commencé à avoir des douleurs au ventre et des nausées, elle subit des examens à Abancay. Elle en était à plus de trois mois de grossesse. C’est alors qu’elle révéla à sa mère et à sa marraine que son père la violait.
Indigène et mineure, la petite Camila avait été violée à répétition par son père
D’emblée, et lors de toutes les consultations médicales qui eurent lieu dans un hôpital général à Abancay à 80 km de là, Camila pleura sans discontinuer en disant qu’elle ne voulait pas mettre au monde l’enfant de son père. On ne lui dit rien de l’avortement thérapeutique, et lors d’une consultation ultérieure en décembre, elle reçut de simples indications sur le régime alimentaire à observer. Suivit une visite à domicile organisée le 9 décembre par les services de santé qui voulaient voir Camila réaliser une échographie à Abancay ; on voulait également l’informer sur les soins prénataux et préparer l’accouchement. A partir de ce moment-là, Camila commença à répéter qu’elle voulait mourir et qu’elle se suiciderait si on ne mettait pas fin à la grossesse.
C’est en tout cas ainsi que la décision du CNUDE présente les choses en prenant d’emblée fait et cause pour la demande d’avortement et sans donner la version des faits des autorités.
Quatre jours plus tard, le 13 décembre, avec l’assistance de l’Asociación Pro Derechos Humanos (association indigéniste pour les droits humains), nommée par la décision et qui n’arrivait certainement pas de nulle part, Camila et sa mère demandaient l’interruption légale de grossesse selon les termes du « guide technique » du ministère de la santé péruvien, et se heurtèrent de nouveau à un refus. Le lendemain, elles s’adressèrent à la justice pour faire la même demande alors que des poursuites étaient engagées contre le père de la fillette.
Diverses démarches judiciaires furent entreprises mais, le 19 décembre, Camila se rendit à l’hôpital au petit matin, se plaignant de fortes douleurs. Malgré des traitements destinés à sauver son enfant, elle fit une fausse couche qui devait donner lieu à diverses complications. Les restes du bébé furent confiés à sa marraine qui les enterra sous son patio. Une autre visite à domicile fut organisée le lendemain par les services de santé qui ignoraient le fait ; cette fois ils étaient accompagnés par la police pour obliger la jeune fille à réaliser une nouvelle visite prénatale.
Plusieurs ONG ont agi pour que l’affaire passe devant le Comité des droits de l’enfant de l’ONU
Par la suite, la jeune fille subit des mauvais traitements de la part de sa mère et de son frère qui lui reprochaient les viols paternels qu’elle avait subis, elle fut poursuivie pour auto-avortement (ce qu’elle nia ; condamnée en première instance, elle obtint la relaxe en appel) ; des soins psychiatriques vite abandonnées suivirent ainsi que de nouvelles plaintes pour non accès à l’avortement thérapeutique, le tout appuyé par l’APRODEH. C’est un scénario récurrent dans ce type de drames : la victime, repérée par tel ou tel militant du « droit » à l’avortement, est prise en charge et son cas est utilisé pour faire « avancer » la loi. En l’occurrence, les associations péruviennes du Planning familial et Promsex apportèrent leur aide pour la saisine du CNUDE. Qui le leur rendit bien, en jugeant que Camila, loin d’être traitée comme une victime, avait été « revictimisée » par les autorités.
Au sujet de l’auto-avortement, le communiqué officiel du CNUDE affirme que celui-ci lui fut imputé sur le seul fondement de ses déclarations selon lesquelles elle ne voulait pas de cette grossesse. « De fait, elle est passé de l’état de victime à celui de délinquante », a déclaré Ann Skelton, présidente du Comité. Quand on lit la décision, cependant, on voit que son « dossier clinique » est également cité. Cela dit, les juges font remarquer que les avortements spontanés sont fréquents lors de grossesses à un âge aussi précoce.
Quant au père de la jeune fille, il a été placé en prison préventive, ses protestations selon lesquelles Camila n’était pas sa fille biologique et avait « consenti » aux relations sexuelles (à neuf ans !) n’ayant convaincu personne.
La petite Camila a-t-elle reçu toute la sympathie, tout le soutien, tous les soins attentionnés que justifiaient son jeune âge et sa situation ? Lui a-t-on proposé de confier son bébé à l’adoption ? Sans doute non, ni de la part de sa famille, ni de la part des autorités… encore que le fait que l’arrêt du CNUDE n’en parle pas ne suffit pas à le dire. Mais ce n’est pas pour autant que l’avortement doit devenir un « droit », et il est évidemment scandaleux qu’elle ait été instrumentalisée à cette fin.