La levée de boucliers mondiale – depuis la gauche internationaliste jusqu’à la droite souverainiste – contre le TAFTA, le Partenariat transatlantique aussi appelé TTIP et contre le TPP, son frère jumeau, le Partenariat transpacifique, a quelque chose d’étonnant. Aujourd’hui, les plus mondialistes de nos mondialistes, comme François Hollande et bien d’autres, en sont à rejeter – ou à faire mine de rejeter – ce qu’ils ont adoré. Que s’est-il donc passé ? Soudain, l’un des instruments de la globalisation est dans le collimateur. Mais les pays comme la Russie et la Chine sont vent debout contre le projet. Une dialectique qui pourrait bien avoir pour objectif de déplacer le centre de gravité du monde du côté du bloc communiste ou ex-communiste, c’est selon, mais toujours franchement soudé, et depuis toujours bénéficiaire des largesses de ses « adversaires capitalistes ».
Le coup de maître résiderait alors en la mobilisation de l’opinion mondiale pour son projet, sous couleur de combattre « l’ultralibéralisme », le grand capital et les multinationales. Le suivi régulier de la presse chinoise, contrôlée par le gouvernement communiste, montre de plus en plus cette Chine ouvertement désireuse d’être le centre du monde en matière d’activité financière, une volonté soutenue par la création de la nouvelle « Route de la soie » qui viendrait avantageusement remplacer le TTIP.
La levée de boucliers contre les deux partenariats : transatlantique et transpacifique, ne doit pas faire oublier que dans de nombreuses parties du monde, des initiatives similaires d’intégration régionale de l’économie se poursuivent sans rencontrer de résistance médiatique. On pense bien sûr au projet d’Union africaine qui poursuit tranquillement sa route, aux initiatives sud-américaines, au traité CETA entre l’Union européenne et le Canada, à l’Union eurasiatique de Poutine dont les mécanismes sont calqués sur ceux de l’Union européenne… Tout cela concourt à une abolition pratique des frontières nationales et tout autant que le TTIP ou le TPP, facilitent la prochaine étape, la mondialisation de l’économie mais aussi de la politique sous une nouvelle « gouvernance mondiale ».
La Chine aspire à devenir le centre de gravité du monde de la finance
On lit ces jours-ci dans la presse russe – il s’agit de Sputnik, média d’Etat, que l’initiative « Belt and Road » chinoise (« Ceinture et route », qu’on désigne en français sous le nom de Route de la soie) est « supérieure au TTIP » qui aurait pour seul objectif de permettre au « Big Business », le très grand patronat, de prendre le contrôle des échanges entre les Etats-Unis et l’Union européenne. C’est ce qu’affirme Tom McGregor, qui comme son nom ne l’indique pas, est commentateur et éditorialiste pour CNTV, télévision d’Etat chinoise, où il présente avec des accents dignes de la Pravda le point de vue officiel du parti communiste chinois.
C’est l’heure de l’entrée en piste de la devise chinoise, le renminbi – autre nom du yuan –, assure l’éditorialiste en rappelant que dès le 1er octobre prochain, le FMI lui ouvrira son panier pour les droits de tirages spéciaux, faisant de cette monnaie un « avoir de réserve sûr » à l’instar des autres devises du panier. Cette étape doit lui permettre de prendre un rôle central dans l’activité financière globale, affirme-t-il. Pas de doute là-dessus : la Chine a bénéficié pour cela d’un beau consensus de fond…
L’accès à ce statut au sein du FMI, assure Tom McGregor, arrive au terme d’un long et difficile voyage au cours duquel la Chine s’est pliée à certaines exigences, comme celle de posséder un marché d’exportation solide et des devises librement utilisables. Mais on peut lui rétorquer que pour la Chine, la création d’un marché à l’export de l’importance du sien a été largement facilitée par l’Occident qui le lui a en quelque sorte et en quelques décennies servie sur un plateau. Quant aux ajustements requis pour sa monnaie, c’est la Banque centrale chinoise qui s’en est chargée, non sans le soutien de la « communauté internationale », et ce malgré les graves problèmes internes de l’économie chinoise et la fragilité de la bourse de Shanghai.
Le renminbi et la Chine soutenus par le FMI, la Banque mondiale, l’UE…
McGregor s’interroge sur le fait de savoir si le soutien du FMI et de l’Europe notamment n’est pas dû à une volonté de l’élite financière européenne de réduire l’influence du dollar américain, alors que le passage par cette devise quasi universelle alourdissait le coût des contrats avec la Chine par le biais des commissions de change et des risques. Allégation ahurissante : il est aujourd’hui tout à fait possible de libeller des contrats en euro et en renmimbi, la Chine ayant signé en 2014 des accords de règlements dans sa devise avec la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Sans compter que les Etats-Unis ont une minorité de blocage au FMI, et qu’ils n’en ont justement pas fait usage.
L’article de Sputnik souligne que la Chine cherche en outre à obtenir un statut d’économie de marché auprès de l’OMC, ce qui lui permettra d’échapper aux droits de douane élevée que lui imposent certains au titre de la lutte contre le dumping. Traduisez : elle pourra faire du dumping tranquillement.
Mais c’était prévu depuis le début. Le protocole d’accès à l’OMC mis en place lors de l’adhésion de la Chine en 2001 prévoyait qu’elle accéderait à ce statut avant la fin de décembre 2016. Le fait qu’elle ait été alors intégrée dans l’OMC était déjà un scandale en soi, auquel toutes les grandes puissances avaient donné leur accord…
L’opposition au TIPP peut donner le beau rôle à la Chine
« Les dirigeants de Washington et de l’Union européenne veulent empêcher la Chine d’obtenir ce statut d’économie de marché, mais leurs efforts feront plus de mal que de bien, puisque le FMI, l’OMC et la Banque mondiale peuvent imposer de lourdes pénalités aux pays qui refusent de reconnaître le statut d’économie de marché à partir de 2010. Les Etats-Unis et l’Union européenne se livrent au bluff, espérant que Pékin fera marche arrière et agira de manière plus soumise à leur égard, mais cette stratégie va produire l’effet inverse, au contraire, puisque la Chine ne se soumettra pas et les mettrait au pied du mur. Il n’y aura plus de menaces de “ligne rouge” après le départ de Obama de la Maison-Blanche au début de l’année prochaine », a déclaré Tom McGregor.
Nouvelle propagande. Tout concourt en effet – nonobstant quelques oppositions de façade pour rassurer les électeurs occidentaux – à faire avancer la Chine vers ce statut.
McGregor souligne également que la Chine elle-même cherche à délocaliser une partie de sa production vers les pays moins chers du sud-est asiatique pour profiter des prix plus bas – sans dire que cela se ferait au détriment de sa propre population – tandis que les pays de l’ASEAN veulent augmenter leurs échanges et leurs investissements transfrontaliers avec la Chine, ajoute-t-il.
Le scénario est finalement toujours le même. Et la Chine ne se heurte pas à une réelle opposition de la part de l’Occident ni même des Etats-Unis, alors que dans le même temps, les investisseurs privés en Europe renforcent leurs liens avec la Chine, indique Sputnik en donnant l’exemple de la Compagnie financière Edmond de Rothschild qui a commencé ses opérations à Shanghai en 2006. Normal, commente McGregor, puisque Shanghai est en train de devenir la nouvelle « New York de l’Asie » alors que Hong Kong régresse. Il invoque de même le large soutien européen donné à la banque asiatique d’investissement dans les infrastructures, l’AIIB, au sein de laquelle la Chine occupe la place de leader, comme si c’était une victoire. Mais on ne peut pas dire que quiconque ait sérieusement tenté de l’empêcher…
Le TTIP ou la Route de la soie, deux chemins vers la mondialisation
C’est cette banque, précisément, qui assurera le financement des grandes infrastructures liées à la Route de la soie : routes, aéroports, centres de fourniture d’énergie… il y aura des contrats à prendre. Tout cela fera de la Route de la soie un projet de « coopération économique globale » supérieur à celui du TTIP, explique McGregor, pour qui le TIPP, en mettant en place des « règles commerciales extrêmement strictes », conduirait à davantage de faillites de petits exportateurs.
La concurrence chinoise a déjà acculé à la faillite d’innombrables petits industriels et exportateurs dans le monde occidental. La nouvelle Route de la soie pourrait-elle obéir à une autre logique ? Il est permis d’en douter. Entre le TTIP et la Route de la soie, ne serait-on pas en train de nous vendre en douce un choix entre la peste et le choléra en faisant apparaître la Chine comme la panacée ?