Jaime Mayor Oreja analyse la crise de l’Europe : « Lorsque les djihadistes constatent qu’il n’y a ni croyances ni convictions communes, ils nous attaquent »

Jaime Mayor Oreja analyse la crise de l’Europe : « Lorsque les djihadistes constatent qu’il n’y a ni croyances ni convictions communes, ils nous attaquent »
 
Jaime Mayor Oreja était ministre de l’Intérieur de l’Espagne de 1996 à 2001, avant de devenir député européen – mais au bout de dix ans, il a tout quitté, ayant compris que son groupe « n’avait pas de stratégie politique ». Ce manque de sens, de principes, d’orientation, il l’a constaté aussi dans la société occidentale en général et pour lui, la crise se trouve au cœur de chacun plutôt que dans les institutions. Il y voit la principale raison du terrorisme djihadiste en Europe. « Il est au cœur de notre société. Car lorsqu’ils voient qu’il n’y a ni croyances ni convictions communes, ils nous attaquent, et ils nous attaqueront encore. » Pour lui la réponse est entre les mains des chrétiens : « Nous devons mieux nous entendre, et ainsi, en tant que chrétiens, nous aurons davantage d’influence en Europe. »
 
Mayor Oreja s’exprimait lors d’un colloque à l’université pontificale de Salamanque à l’occasion des « Dialogues de Yuste », rencontre traditionnelle des facultés de théologie, de philosophie et de droit canonique qui avait pour sujet, cette année, aux « principes partagés pour une patrie commune européenne ».
 
Si on peut s’interroger sur la notion de « patrie commune européenne » dans une acception globaliste, l’Europe enracinée dans le christianisme y trouve en effet une culture et une civilisation, et par conséquent une forme de solidarité partagées.
 

L’Europe n’a plus de convictions, elle a oublié sa foi

 
Aujourd’hui l’Europe « est en proie la confusion et à la désorientation », dit Jaime Mayor Oreja : « Lorsqu’il n’y a pas de principes et de valeurs suffisamment partagées, la crise, quand elle survient, se fait omniprésente. (…) Lorsqu’il y a une crise jusqu’au niveau personnel il n’y a pas de cohésion. C’est pourquoi il ne s’agit pas d’“une” crise mais de “la” crise de notre génération, et elle dépasse nos modèles politiques parce qu’elle est au cœur de la personne. Nous avons créé une société liquide. Obnubilés par le confort, oubliant nos propres racines, nous sommes parvenus à une société sans ancrages solides, une société qui imite l’argent et qui, pour cette raison, est fuyante comme l’eau. »
 
La société se rapproche même de « l’état gazeux » : Jaime Oreja a poursuivi son analogie en expliquant que « nous courons le risque de l’évaporation, du suicide ». Cette crise dont les Européens sont les « protaganistes », « nous y avons tous contribué ». « Nous avons vécu au jour le jour, oubliant les racines, les efforts des générations précédentes, les erreurs et les leçons de l’histoire… Nous n’avons pas su nous en prendre au processus de déchristianisation de notre société. »
 
« Nous sommes en face de deux adversaires : le relativisme et l’extrémisme. Le relativisme ne se suffit pas, et un autre phénomène essaie de le remplacer, l’extrémisme. Et ils sont tous deux ennemis de nos valeurs. »
 

La crise de l’Europe l’expose aux attaques djihadistes, selon Jaime Mayor Oreja

 
C’est en tant que président de la fédération provie européenne « One of us » qu’Oreja supplie les chrétiens de s’entendre, « conservateurs et progressistes », avant de songer à « dialoguer avec l’islam ». « Il nous est interdit d’être simples spectateurs ; nous devons aller au plus profond de la réalité » pour la comprendre et ainsi « retrouver la valeur de la vérité face à la force du mensonge qui fragilise notre démocratie ».
 
Il voit dans la société que d’aucuns qualifient de « post-chrétienne » un « mouvement au sein des organisations supranationales qui a tendance à être graine de relativisme », et annonce pour la décennie qui vient non pas un débat entre partis, « mais un débat culturel et anthropologique » qui nous obligera à « retrouver l’âme de l’Europe », « le premier amour ».
 
N’y a-t-il de salut que par l’Union européenne, irremplaçable selon Oreja ? On peut en débattre, mais ce qui est clair, c’est qu’une Europe forte, quelle que soit son organisation institutionnelle, a besoin de tourner le dos au relativisme. A commencer dans le domaine de la « défense de la vie » comme dans le domaine économique et ailleurs, comme il le dit.
 

S’ancrer sur l’essentiel pour contrer le djihadisme

 
Devant les dangers qui nous guettent et les menaces qui deviennent réalité, de fait la seule réponse possible est de s’ancrer sur l’essentiel. Que des politiques en soient conscients, c’est au moins un signe d’espoir.
 
Pour ce qui est des djihadistes, on relèvera tout de même le paradoxe : aujourd’hui comme jadis, l’islam considère qu’il a été injustement chassé d’Europe ; très conscient de ses racines, il voit les Européens comme des chrétiens et les Occidentaux comme des croisés. Des croisés à combattre. Le matérialisme où s’enfonce l’Europe relativiste ne vient que conforter cette idée des musulmans convaincus : non seulement les chrétiens sont des mécréants, mais en outre leur religion les pousse vers la décadence visible – prête à éclater, comme un fruit blet.
 
Comment se défendre collectivement, en effet, et rayonner, si l’on ne croit plus en rien ?
 

Anne Dolhein