Depuis des siècles, les étudiants d’Oxford reçoivent leurs diplômes dans l’enceinte du Sheldonian Theatre, dans une cérémonie très codifiée, aux phrases latines inchangées depuis 800 ans… Mais ce n’est plus au goût du jour : une certaine mode woke juge que le discours n’est pas assez inclusif. Plus précisément, la langue ancienne utilise, comme toutes les langues européennes, les genres masculins et féminins, et ne peut donc s’adresser aux personnes qui s’identifient comme « non binaires ». La direction propose donc une reformulation complète du discours latin en recourant, en particulier, au neutre.
De qui vient cette idée saugrenue, incongrue, absurde ? La majorité des élèves ne savent rien traduire du message qui leur est adressé, à chacun, en latin : ils sont juste rassurés et fiers d’entendre la même ritournelle qui honora pareillement les centaines de générations qui les ont précédés… Encore une fois, il aura sans doute fallu une seule récrimination, une petite remarque grinçante pour que la peur de ne pas souscrire au discours dominant fasse ployer le dos voûté de cette institution au bout de huit siècles.
Quant au latin, il est tout sauf « fluide » comme le genre, parce qu’il ne varie plus et que ses règles demeurent. Seulement, la post-modernité occidentale ne respecte plus rien, dès lors qu’elle est aveuglée par l’idéologie. Elle ne se respecte même plus elle-même puisqu’elle renie allègrement ce qui, à l’origine, la vit naître : le monde latin.
De la nécessité de dé-genrer la cérémonie des diplômes
Dé-genrer la cérémonie des diplômes ? C’est « une nécessité », n’a pas craint de dire la gazette chargée d’annoncer aux professeurs les changements envisagés. Il faut supprimer tous les mots grammaticalement genrés masculins ou féminins dans la formulation qui est utilisée depuis le XIIIe siècle ! Au lieu de désigner les étudiants en master par le terme « magistri » (maîtres) – un terme masculin – le texte proposé utilise le terme « vos », le pronom personnel « vous » qui a pour intérêt d’être « neutre ». Le terme « doctores » (docteurs), également masculin, pourrait être lui aussi modifié.
Toutes les remises des diplômes sont concernées, que ce soit en arts, musique, médecine, droit, philosophie et autres spécialités. Et elles seront également appliquées dans toutes les occasions officielles à Oxford, y compris, donc, en langue anglaise. Par exemple, précise The Telegraph, lors de la cérémonie d’admission d’un nouveau vice-chancelier, celui-ci ne parlera pas de « son » mandat (« his/her »), mais de « leur » passage (« their ») à la tête de l’université.
Tout cela doit encore être avalisé, le 29 avril prochain, par la Congrégation d’Oxford, véritable parlement de l’université qui compte 5.000 membres. Mais la contagion LGBT pourrait bien l’emporter.
Que les non-binaires se contentent, à Oxford, du neutre latin !
Un musicologue de l’université, Jonathan Katz, a avoué : « Un de mes collègues m’a écrit ce matin pour me demander s’il s’agissait d’un poisson d’avril précoce. Ce n’est pas le cas, il s’agit simplement de suivre les tendances actuelles. » Tel est l’enjeu : la soumission au diktat. Et nombreux sont les professeurs et les élèves qui ont réagi avec force à cette nouvelle folie.
Sur le seul plan linguistique, ces changements en latin sont ridicules, parce que les langues romanes distinguent bien deux genres : le féminin et le masculin.
« On ne peut occulter le fait que le genre grammatical est ancré dans la langue. Si l’on souhaite être non binaire, il faut se replier sur le genre neutre, que le latin utilise pour désigner le sous-humain et l’inanimé. Mais personne ne veut être un “it”, alors Oxford a truqué les choses en supprimant tout mot dont la forme diffère explicitement entre le masculin et le féminin. Le résultat est un latin incroyable et étrange », a déclaré David Butterfield, professeur de latin, cité dans un autre article du Telegraph. On tombe ainsi dans un « jargon juridique » à cent lieues de l’esprit à la fois simple et très solennel de la célébration.
Lors de « la cérémonie de graduation », chaque élève est présenté au vice-chancelier en latin, avec ces mots : « Praesento vobis hunc baccalaureum in artibus. » L’université propose de remplacer le manifestement désagréable « hunc », trop masculin, par un participe présent dont la terminaison est la même dans les deux genres et un adverbe neutre : « hic adstantem » (se tenant debout ici). On opère des circonvolutions stylistiquement nulles pour satisfaire au soi-disant « nécessaire ».
L’Europe latine : nous sommes tous nés de cette culture et de cette histoire
Plus fondamentalement encore, c’est une atteinte à la tradition. Le latin à lui seul est le socle de l’Europe historique, érudite, classiquement formée : ce fut la langue principale de son enseignement supérieur et de sa recherche pendant des siècles. Pour Montaigne comme pour Shakespeare, c’est la matrice de leur phrasé, de leur vocabulaire. Au lieu de devenir un tout petit peu des Anciens, nous prétendons qu’ils doivent devenir des modernes, disait déjà Nicola Gardini…
Les étudiants en ont l’intuition, qui, même non latinistes, témoignent de leur mécontentement de se voir peut-être bientôt refuser le privilège de participer, de se raccrocher à une tradition ancestrale qui les dépassait.
« Que l’on soit un latiniste de premier ordre ou non, ce changement montre que, petit à petit, les fondements de la tradition vont s’éroder, a déclaré un professeur qui souhaite garder l’anonymat. C’est le début d’une pente glissante, sur laquelle, une fois descendue, on ne peut plus revenir. » Et tout ça, pour « des problèmes politiques qui n’ont pas ici leur place ».
Mais au fait… combien d’étudiants non binaires à Oxford ? Selon une enquête du Times Higher Education de 2022, environ 0,2 % des étudiants universitaires britanniques s’identifient comme « d’un autre genre », ce qui représente environ 14 étudiants sur les 7 000 admissions annuelles d’Oxford : ils étaient moitié moins en 2018-2019.
C’est ce tout petit nombre qui mène le vieil univers de l’enseignement britannique, après avoir fait imposer des toilettes non genrées et des guides linguistiques inclusifs. A Cambridge, on commence à craindre qu’une directive similaire ne sorte de sous terre…