Lève-toi et marche !

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Le monde entier apprit soudain que désormais les paralytiques étaient capables de marcher. En effet le dernier Mondial de football a été inauguré le 12 juin par un magistral shoot envoyé par un paraplégique anonyme dont les mouvements musculaires étaient déclenchés par une sorte d’exosquelette, une carapace dirait-on, sur laquelle 150 chercheurs informaticiens avaient travaillé.
Ce n’était pas une « première ». Le 8 juillet 2011 dans des conditions plus difficiles un Japonais tétraplégique avait réussi à escalader le Mont Saint Michel avec un aide. Depuis, la puissante Food and Drug Administration (office de surveillance de la santé aux États-Unis) a autorisé la mise sur le marché de Rewalk, un exosquelette adapté avec des courroies aux membres inférieurs et au rachis des paraplégiques. Celui-ci est dirigé par une télécommande. Il permet de les faire marcher. Ce dispositif est en cours d’amélioration et surtout les prix exorbitants de ce matériel vont diminuer rapidement.
 

La paraplégie : un drame ignoré

 
La paraplégie est une section de la moelle épinière à un niveau variable du dos. Une fois sur deux cet état est imputable à un accident de la circulation. Elle entraîne une paralysie des membres inférieurs et du système urinaire bas. Il y a actuellement 40.000 paraplégiques en France. Moyenne d’âge, 28 ans (accidents de motos). 1.500 de plus chaque année. Ils se déplacent tous en fauteuil roulant.
Un espoir avait été donné aux paraplégiques par les cellules souches. Les expériences menées avec des cellules souches embryonnaires ont été vouées à l’échec ; ceci en raison de cancérisations ou de réactions de rejets (Pr. Peschanski, Généthon). Aux Etats-Unis, la société californienne Geron, la plus importante firme spécialisée dans les biotechniques, a renoncé il y a trois ans aux recherches sur ce type de cellules. En revanche le service de neurologie de Clermont- Ferrand a greffé des cellules souches provenant de la moelle épinière des patients eux-mêmes, les a développées en lignées et les a implantées en 2011 et 2012. Des résultats partiels ont été obtenus. Parallèlement le laboratoire LStemCells de l’Hôpital universitaire Balgrist de Zurich réussissait une telle implantation. Une amélioration des victimes a été obtenue. Même si elle est encore partielle, elle a changé la vie d’un certain nombre de paraplégiques.
Les Américains à la suite des guerres d’Irak, du Vietnam et d’Afghanistan se trouvèrent face à des milliers d’invalides qui avaient perdu un membre. Ils développèrent donc des prothèses de plus en plus sophistiquées et commodes par leur usage. Mais la question était de réussir à les commander par la volonté du cerveau. À l’époque, la neurochirurgie avait déjà fait des progrès fantastiques dans le cadre de ce qui est appelé l’interface cerveau/machine. S’ouvrait en effet l’ère des neuro-prothèses, c’est-à-dire l’introduction de matériel puis d’ordinateurs visant à suppléer des organes déficients. Ceci allant de la simple prothèse de hanche aux cochlées entièrement formées de microprocesseurs permettant de récupérer l’audition, et aux pancréas artificiels.
 

L’Homme-machine

 
La loi de Moore établit que tous les 18 mois, il est possible de réduire de moitié la taille des microprocesseurs. Une équipe de Marseille avait par exemple réussi à mettre au point des stimulateurs de l’épaisseur d‘un dixième de cheveu. Le principe est le même que celui des pacemakers. Le mot utilisé est celui d’implant cérébral. S’ouvrait alors un monde nouveau celui des cyborgs, mélange entre l’homme et la machine.
En France actuellement 40.000 personnes bénéficient de stimulateurs cérébraux. Ceux-ci se posent facilement en faisant un simple trou de trépan dans le crâne. La stéréotaxie qui joint plusieurs techniques radiologiques permet de repérer l’endroit à atteindre de manière très précise. Les premiers à bénéficier de ces techniques ont été les parkinsoniens. L’implant cérébral stimulait les noyaux gris centraux devenus inactifs. Des pauvres gens incapables de se lever, de bouger, de parler, retrouvaient une activité normale tant que durait la stimulation. Puis ce furent les épileptiques rebelles aux traitements : ils peuvent même être prévenus de l’imminence d’une crise. Les dépressifs au-delà de toute ressource thérapeutique, les troubles obsessionnels compulsifs. Bien évidemment on pensa aussi aux paraplégiques. En ce qui les concernait, il fallait que la motricité puisse être assurée par le cerveau.
 

Le monde d’Aimée Mullins

 
Les Américains avaient réglé depuis longtemps cette question pour leurs soldats par les prothèses de membres commandées par le cerveau. Le cas le plus connu est celui d’une des cinquante plus belles femmes au monde. Elle se nomme Aimée Mullins ; athlète, chanteuse, mannequin, elle est née sans jambes et dispose d’une douzaine de prothèses. Celles-ci sont commandées par le cerveau après un apprentissage adéquat. La seule gêne étant une batterie fixée à la ceinture ; laquelle alimente en énergie les ordinateurs des jambes et l’implant cérébral.
La difficulté est que l’ensemble du dispositif a un coût astronomique en raison de la complexité des ordinateurs mis en jeu pour chaque ébauche de mouvement, pour chaque décision émanant du cerveau. Mais des dizaines de soldats ont repris le chemin des casernes : ils peuvent marcher des heures sans éprouver la moindre fatigue en portant des charges très lourdes.
The Journal of Neurosciences du 13 août annonce à partir d’expériences sur des sujets sains, la réalisation de la commande de la motricité ; ceci concernant la partie inférieure de la moelle épinière ; celle qui se trouve séparée du cerveau par l’accident responsable de la paraplégie. Le principe est que lors de la marche, il se fait un balancement des bras et du corps. Ces mouvements sont récupérés par le cerveau qui va commander un ordinateur lequel analysera ces mouvements et par électromagnétisme stimulera les muscles paralysés.
Mais plus étonnant encore : une équipe américaine de l’Université de Louisville dans le Kentucky a mis au point un stimulateur implanté dans la moelle épinière imitant les influx cérébraux et permettant à des paraplégiques de retrouver le mouvement des jambes.
Une seule question se pose : jusqu’où ira-t-on dans le mélange entre l’homme et la machine en sachant qu’un ordinateur peut toujours être pris en charge et dirigé par un autre ordinateur ?
Tel est le défi de l’interface homme/ machine qu’il faudra régler rapidement. Faute de quoi les hommes risqueraient de devenir des robots dépendant de plus puissants qu’eux.

Dr Jean-Pierre Dickès, Président de l’Association catholique des Infirmières et Médecins