Pétrole brut :
le marché baissier menace l’OPEP

Pétrole brut marché baissier OPEP
 
Les prix du brut ont connu une baisse plus rapide au cours du premier semestre de 2017 que pendant n’importe quelle période de six mois au cours de ces 19 dernières années. Entre le plus haut enregistré en janvier et le plus bas à la mi-juin, la chute des prix aura été brutale, le pétrole perdant 20 % sur un « marché baissier » tel que le définit le jargon de Wall Street. Pour l’OPEP, c’est une mauvaise nouvelle, puisque le cartel des pays producteurs espérait, en limitant sa production, faire monter les prix pour atteindre la cible qu’il s’était fixée à 60 dollars.
 
Après plusieurs années de mauvais prix l’objectif a quasiment été atteint à 57 dollars. Pour cela, l’OPEP avait réduit ses mises sur le marché mondial de 1,8 millions de barils par jour. Mais une fois ce modeste « sommet » atteint, les prix ont recommencé à descendre sans discontinuer.
 

Le prix du pétrole brut n’est plus contrôlé par l’OPEP

 
Plusieurs explications à ce ratage. La Libye et le Nigéria, qui font partie du cartel, n’ont pas respecté leurs engagements vis-à-vis de l’OPEP en produisant plus de pétrole qui ne leur avait été alloué. Mais ce sont surtout les Etats-Unis qui ont pesé sur les prix grâce à l’industrie du gaz de schiste : les producteurs américains ont doublé leur production au cours de ces six dernières années.
 
Parmi les membres de l’OPEP, l’Arabie saoudite, qui apparaît comme le leader du cartel, en fait les plus gros frais. Ayant l’intention de vendre une part de sa société d’Etat Aramco, le royaume wahhabite a tout intérêt à ce que le baril s’échange à un minimum de 60 dollars, montant qui lui permettrait de valoriser la compagnie à 2.000 milliards de dollars voir davantage. En en vendant 10 %, il percevrait 200 milliards de dollars frais qui lui permettraient d’engager la diversification envisagée dans de bonnes conditions.
 
Bob Adelmann du New American rapporte tout cela pour le mettre en perspective avec une récente déclaration du président du conseil national des affaires économiques et du développement de l’Arabie saoudite, Mohammad bin Salman bin Abdulaziz Al-Saud. Sa « vision 2030 » repose sur trois piliers : le statut de l’Arabie saoudite au cœur des pays arabes et islamiques est le premier d’entre eux. « Nous reconnaissons qu’Allah le tout-puissant a octroyé à notre terre un don plus précieux que le pétrole », observe le haut dignitaire : il s’agit des deux « saintes mosquées, les sites les plus sacrés de la terre », et bien sûr de la Kibla, la direction de la Mecque vers laquelle plus d’un milliard de musulmans se tournent lors de la prière.
 

Le marché baissier menace l’OPEP d’éclatement

 
Deuxième pilier : l’Arabie est déterminée à devenir « une locomotive de l’investissement global » en vue de stimuler l’économie et diversifier ses revenus. Le troisième vise à profiter de la situation stratégique unique dont jouit l’Arabie pour en faire plaque tournante globale reliant trois continents, l’Asie, l’Europe et l’Afrique, au cœur des principales voies maritimes. Ainsi, le royaume d’Arabie Saoudite se veut l’épicentre du commerce en même temps qu’un portail sur le monde.
 
Si le pétrole continue de chuter, ce rêve s’envolera avec les dollars perdus.
 
On a en tout cas la preuve que l’OPEP n’est pas en mesure de contrôler le prix mondial de l’or noir : ces temps sont révolus alors que le marché du pétrole n’est plus un cartel, mais un champ ouvert gouverné par les lois du libre-échange. Et là où d’aucuns promettaient, voire rêvaient d’un baril à 200 dollar pour freiner la consommation, bien des facteurs laissent prévoir au contraire une poursuite de la chute. Le prince héritier en second d’Arabie saoudite, Mohammad bin Salman – oui, il est en même temps président du conseil des affaires économiques et du développement – a assez clairement fait savoir qu’à son sens, le pétrole brut ne vaudra plus rien d’ici à 20 ou 30 ans. Où l’on comprend mieux le désir de vendre Aramco !
 
C’est sans doute exagéré mais chez Goldman Sachs, on pense que d’ici à trois mois le pétrole ne vaudra pas 55 dollars comme l’assuraient les prédictions antérieures mais plutôt 47,50 dollars le baril. Le seul moyen de mettre fin à cette tendance baissière serait que les Etats-Unis réduisent leurs opérations d’hydro-fracturation ou que l’OPEP consente à de nouvelles coupes.
 

Le pétrole brut, il y en a à foison : l’Arabie saoudite veut se diversifier, vite

 
C’est peu probable, bien que, selon l’Agence internationale de l’énergie, les stocks de brut et 35 pays de l’OCDE sont plus élevés qu’ils ne l’étaient au moment où l’OPEP a décidé sa première réduction de production. Dans le même temps, l’administration américaine de l’information sur l’énergie vient d’annoncer que les stocks de brut ont augmenté de 118.000 barils la semaine dernière.
 
L’entente au sein de l’OPEP est elle-même fragile. Au fur et à mesure que les prix baissent, que les revenus diminuent d’autant et que les situations internes des pays membres se dégradent, certains membres sont fortement tentés d’augmenter unilatéralement leur production pour compenser les pertes.
 
Quant aux Etats-Unis, ils sont loin d’avoir dit leur dernier mot. Nombre de forages ont révélé des gisements de gaz de schiste parfaitement exploitables. Il y a près de 6.000 de ces puits quasiment prêts à l’emploi dont les investissements de préparation ont déjà été réalisés : ils n’attendent que la mise en service, qui pourrait intervenir dès que les coûts de celle-ci et de l’exploitation seront rentables par rapport au prix du brut. Sur le papier c’est déjà le cas.
 

Anne Dolhein