Un peuple et son roi, une vision maçonnique et socialiste de la Révolution française

peuple son roi Pierre Schoeller
 
Un peuple et son roi est le grand film à prétention de fresque historique proposé sur les écrans français à l’automne 2018. Il balaie la période de juillet 1789 à janvier 1793, soit précisément de la Prise de la Bastille (14 juillet 1789) à la mise à la mort de Louis XVI, guillotiné publiquement sur la Place de la Révolution (actuelle Place de la Concorde), le 21 janvier 1793.
 
Sur une durée normale d’un film, à peine plus long que la moyenne, soit deux heures, sont évoquées des années essentielles pour la France. Sur le plan du spectacle, le film est plutôt réussi. Précisons qu’il s’agit d’un spectacle voulu pédagogique, qui se rapproche du théâtre filmé. Il n’est nullement destiné aux esthètes du cinéma, qui y trouveraient certainement beaucoup à redire. Il s’agit clairement d’un objet de propagande, ce qui a particulièrement retenu notre attention, à destination de la population française en général et du public scolaire de l’éducation nationale.
 

Un roman historique républicain filmé

 
Malgré une certaine lourdeur démonstrative inhérente à tout roman historique filmé, Un peuple et son roi n’est pas manqué techniquement. Le réalisateur Pierre Schoeller a réussi à imposer un bon rythme à son œuvre, un équilibre entre ses personnages populaires et les « grands hommes » – ou prétendus tels – de la Révolution, et géré au mieux des moyens techniques limités. Le spectateur est immergé dans l’époque sans recours massif aux effets spéciaux.
 
Tous les acteurs, pour beaucoup des vedettes du cinéma français d’aujourd’hui, comme Louis Garrel ou Adèle Haenel, interprètent correctement ou à peu près leurs personnages, malgré quelques scènes qui ne sonnent pas totalement juste. Tous s’en tiennent à une diction contemporaine ; mais un essai de reconstitution du français de l’époque, en particulier des déclamations révolutionnaires théâtrales, auraient créé un décalage comique involontaire. Ces personnages sont des personnages symboliques habités par une idée, le plus souvent déclinaison de l’idée révolutionnaire, en reprenant le schéma des grands romans hugoliens, comme Les Misérables, ou bien davantage dans le contexte, Quatre-Vingt-Treize.
 
Un peuple et son roi 
fonctionne sur le principe du film-choral, avec au centre de l’action la famille, au sens large, d’un artisan-verrier parisien du faubourg Saint-Antoine. Cette famille se situe à la pointe du militantisme révolutionnaire. La chose s’avère crédible dans le milieu particulier évoqué. Cependant, on ne peut que constater une manipulation évidente à donner à cette famille, du milieu militant particulier des sans-culottes parisiens, une valeur d’exemple pour l’ensemble du peuple français d’alors. Quant au roi, il n’est pas indigne, ce qui est déjà beaucoup, et subit manifestement les évènements ; ce n’est pas faux.
 
La reconstitution est, dans l’ensemble (décors, costumes, discours), menée de façon sérieuse. Remarquons que s’il est de bon ton aujourd’hui de représenter les chevaliers de Richard Cœur de Lion ou Philippe Auguste (vers 1200) avec des acteurs venus de la « diversité visible », et que si l’on proteste au nom de la vraisemblance historique élémentaire l’on est immédiatement accusé d’insupportable « racisme ». Ici, le peuple révolutionnaire et ses opposants « aristocrates » (langue de l’époque) relèvent tous de la seule population présente en France à cette époque. Il y a eu une volonté de faire sérieux. Nous avons presque été surpris de ne pas voir figurer un improbable, mais pas totalement impossible, révolutionnaire antillais parmi les héros.
 

La célébration de la révolution française

 
Un peuple et son roi entend défendre et promouvoir la mémoire de la Révolution française. Il assume jusqu’au meurtre public, ritualisé, de Louis XVI, mais s’arrête juste au seuil historique de l’indéfendable humainement, soit la Terreur de 1793-1794 et le Génocide vendéen de 1794, avec au total des centaines de milliers de morts. Il réhabilite ainsi les figures révolutionnaires parfois contestées pour leurs actions dans les mois qui suivirent, en particulier Robespierre. Le Robespierre du film est du reste bien rendu : le quasi-dictateur de la Terreur n’a été avant cette période qu’un orateur obscur, dogmatique, très peu clair, mais néanmoins fanatique, réclamant la mort de Louis XVI du fait même de son statut d’ancien roi, sans considérer le moins du monde sa conduite. Marat est aussi fidèlement restitué, dans sa laideur fascinante et cultivée, ses costumes ridicules – une peau de léopard, renvoyant dans les mythes de l’époque aux héros antiques, voire à la symbolique maçonnique dionysiaque -, ses outrances verbales manifestes et son jeu de la menace permanente, menace à prendre au sérieux dans le contexte surexcité du Paris révolutionnaire.
 
Pourtant ces « grands révolutionnaires » qui, de façon habile, ne sont pas outrageusement flattés, sont néanmoins mis en valeur par contraste avec leurs opposants politiques, les députés dits « aristocrates », montrés en êtres ridicules, poudrés et maniérés, tenant des discours antipathiques. Soutenir l’inégalité des hommes est philosophiquement défendable, mais l’est moins ramené à une réplique énoncée sur un ton désagréable qui fait croire que celui qui la prononce se prendrait, bien à tort, lui-même pour un être d’élite. Ces répliques semblent placées là comme des exemples donnés aux élèves de « mauvaises » pensées à chasser absolument. Procédé malhonnête évident, pour le spectateur attentif : les paroles des « aristocrates » sont ramenées à des slogans, tandis que les révolutionnaires peuvent développer leurs pensées…
 
Un sort particulier est fait aux « traîtres », c’est-à-dire ceux qui comme Lafayette ou Barnave, à la pointe des révolutionnaires à l’été 1789, ont voulu à l’été 1791 arrêter l’élan révolutionnaire, pressentant, de façon du reste parfaitement exacte, les catastrophes à venir, et une France bien moins libre et prospère en 1793-4 qu’en 1788…Il n’est pas donné à ces personnages l’occasion de s’expliquer, ce qui aurait été intéressant. Ils sont réduits à la condition de « traîtres » sans explication supplémentaire.
 
Le seul « bon » révolutionnaire s’opposant à la mort de Louis XVI a qui l’occasion de s’exprimer est donnée est le philosophe des Lumières et conventionnel Condorcet : étant opposé à la peine de mort pour tout homme, il est donc opposé à la peine de mort pour Louis XVI. La logique est en effet imparable et supérieure aux arguties de Robespierre, opposé à la peine de mort par principe, mais favorable à celle des contre révolutionnaires, considérant qu’ils sortiraient par leur nature de l’humanité. La Révolution, est, pour la sensibilité contemporaine, bien mieux défendu par Condorcet que Robespierre, et c’est lui qui est donc mis en valeur dans cette scène. Robespierre n’est pas condamné pour autant, au contraire, alors qu’il annonce nettement les totalitarismes du vingtième siècle. Quant à la question en soi de la peine de mort, c’est un débat complexe que l’on ne mènera pas ici.
 

La révolution française suivant Michelet, Hugo, et un symbole maçonnique omniprésent

 
La vision de la Révolution française proposée s’inscrit de la droite ligne de Michelet : le « grand » historien romantique de la Révolution, souvent pénible à lire lorsque l’on ne partage pas ses enthousiasmes, a néanmoins compris la dynamique historique des événements. La Révolution n’a pas été qu’un événement politique, le renversement d’un gouvernement bienveillant, bien que trop faible et indécis, de Louis XVI, mais la redéfinition d’une nouvelle société, avec des croyances fondamentales différentes, la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 remplaçant le Catholicisme. Se sent aussi une forte influence de Victor Hugo, et de son roman Quatre-Vingt-Treize, et une moindre des romans révolutionnaires, qui ne sont certes pas les plus connus, d’Alexandre Dumas. Les seules réserves sur la Révolution viennent de Jean Jaurès et son Histoire socialiste de la Révolution française ; il aurait manqué à la Révolution des réformes sociales, et elle n’a pas profité au quotidien à la grande masse des Français pauvres.
 
Il faut signaler l’omniprésence d’une symbolique maçonnique, et parfois de propos quasi-explicites de cette sensibilité, qui donnent un sens au film et à la Révolution française. Un peuple et son roi joue beaucoup sur les éclairages : le peuple passerait de l’ombre à la lumière, ce qui est souligné en début de film par l’irruption de lumière dans une rue du faubourg Saint-Antoine initialement sombre, car à l’ombre de la Bastille. La démolition de la Bastille amène la lumière, événement salué au premier degré par la famille d’artisans révolutionnaires, mais la dimension symbolique est là évidente et très appuyée. Un des personnages principaux est un orphelin simplet des campagnes, petit voleur, qui se signe beaucoup et aime d’une affection filiale intense le roi Louis XVI ; au fil du film, il devient bon républicain, ne se signe plus, n’aime plus le roi qui serait un « traître » à la Révolution, point de vue faux mais commun chez les révolutionnaires, et travaille sérieusement de ses mains comme artisan-verrier, après un apprentissage difficile. Quant à la mort de Louis XVI, sa mystérieuse « nécessité » relève du meurtre maçonnique, du pacte scellé dans le sang, pacte fondateur de la République ; ceci n’est jamais dit explicitement. Relevons que si le Louis XVI du film est dans l’ensemble digne, il s’énerve quelque peu devant la guillotine, ce qui ne correspond pas au fait historique d’une mort exemplaire, courageuse et chrétienne. L’aspect fondamentalement chrétien de l’attitude de Louis XVI face à la mort a été complètement effacé.
 
Le Catholicisme populaire, encore présent dans le film dans la famille exemplaire du faubourg Saint-Antoine en 1789-1791, se voit substituer un nouveau credo, la croyance révolutionnaire, ou la « Religion de l’Humanité », pour reprendre l’expression de Victor Hugo. Il s’agit d’une croyance maçonnique de substitution, croyance en l’Homme, au Progrès. A cause du poids du Grand-Orient, spécificité de la maçonnerie française, obédience athée et non déiste, Dieu, le Dieu abstrait des déistes qui se désintéresserait de sa création et ses créatures, finit lui-même discrètement occulté, ce qui est à la limite de l’anachronisme.
 

Un peuple et son Roi : un monument de propagande pensé pour durer

 
Un peuple et son roi est promis très probablement à la plus longue carrière dans les salles de classe de « l’Education » nationale. Il propose une imagerie et une propagande simples, qui sont déjà réutilisés. Nous en avons rencontré quelques exemples. Il renouvelle celles datant du bicentenaire, en particulier La Révolution française (1989), beaucoup plus long, complet, et même nuancé. Notre époque est décidément celle des simplifications grossières.
 

Hector JOVIEN