Pour bien des Polonais, le souvenir de l’occupation et de la domination soviétique, en 1920 lors de la première invasion par la Russie bolchévique, au début la Seconde guerre mondiale en toute complicité avec l’Allemagne nazie, puis pendant toute la période du communisme, rend impensable de conserver les monuments dits de « gratitude » à l’Armée Rouge qui parsèment le pays. Avec l’accord du parti Droit et justice (PiS) au pouvoir, elle va accélérer le démantèlement déjà entrepris, a annoncé Pawel Ukielski, président adjoint de l’Institut polonais de la mémoire nationale (IPN).
229 « monuments de gratitude » seront démantelés et rassemblés dans un parc créé à l’emplacement d’une ancienne base militaire soviétique à Borne Sulinowo, à 440 km au nord-ouest de Varsovie, la région où ils sont présents en plus grand nombre. Ouvert au public, le parc dont l’inauguration pourrait avoir lieu dès septembre 2017, proposerait une présentation pédagogique pour expliquer aux visiteurs « quelle signification et quel rôle avait ses monuments pendant la dictature communiste ».
Les monuments de gratitude à l’égard de l’Armée Rouge, ou la reconnaissance pour l’oppresseur
Le démantèlement des monuments se fera dans la discrétion, ont indiqué les autorités, et elles ne toucheront en aucun cas des monuments érigés dans les cimetières. « Les tombes des soldats soviétiques tombés pendant la guerre continueront d’être protégées par l’État polonais avec le plus grand respect » indiqué l’historien de l’IPN.
C’est bien la fonction politique et idéologique des monuments de « gratitude » qui est visée : ils visaient à contraindre à la « reconnaissance » des opprimés à l’égard de leurs oppresseurs.
La Pologne prend ainsi le risque d’une brouille importante avec la Russie. Jusqu’à présent, Moscou a protesté vigoureusement chaque fois qu’un souvenir officiel de la présence soviétique en Pologne était démantelé : ce fut le cas lors de la déposition l’an dernier d’une plaque commémorative à la mémoire du général russe Ivan Tcherniakhovski, dans la ville polonaise où il était tombé face à l’armée allemande en 1945.
Moscou en colère contre la Pologne en raison du démantèlement des monuments soviétiques
Une porte-parole de l’ambassade de Russie à Varsovie, Ekaterina Glazova, a déjà exprimé l’indignation de son pays en affirmant que la Pologne est obligée de protéger tout mémorial de guerre au titre d’un accord bilatéral signé en 1994.
A quoi la Pologne répond que cet accord russo-polonais ne porte que sur les cimetières : raison pour laquelle, a déclaré le directeur du département de l’éducation de l’IPN, Andrzej Zawistowski, n’a pas jugé utile de consulter son voisin et ancien occupant. Il est vrai que le rappel de l’histoire d’oppression de la Pologne à des aspects gênants pour la Russie, puisque l’invasion simultanée de la Pologne par la Russie soviétique et l’Allemagne nazie s’est faite au terme d’un accord entre Hitler et Staline, et que les Polonais ne l’ont pas oublié…
La Russie d’aujourd’hui fait tout pour préserver ce qui est une sorte de mythe fondateur : le rôle de l’Union soviétique dans la défaite du nazisme, glorifié par le sacrifice de 20 millions de morts qui font de ce pays la plus importante victime en termes numériques de la Seconde Guerre mondiale. Elle n’est décidément pas prête à rompre avec ce passé-là.