L’abbé Clément Barré, qui a accompagné de jeunes Français aux JMJ de Lisbonne, est content d’être revenu à la maison, révèle-t-il sur X (ex-Twitter). Il publiait mardi après-midi ce tweet révélateur : « Ce soir je vais présider la messe pour la 1ère fois depuis 15 jours… c’est fou à quel point cela a pu me manquer. Comme prêtre c’est sans doute un des trucs les plus difficile des #JMJ2023. Heureusement, nous n’avons pas manqué d’occasion de confesser. » Pauvre abbé Barré. Nolens volens, son message dit à quel point la nouvelle liturgie plonge le clergé dans la confusion. Car, ainsi que l’explique en commentaire ce prêtre sans aucun doute animé de bonnes intentions et de l’amour de Jésus-Hostie – sans quoi il n’aurait pas souffert à Lisbonne – il a « célébré la messe chaque jour aux JMJ (heureusement) ». Célébré, ou plus exactement : participé à la concélébration.
Son message laisse d’ailleurs deviner, en creux, pourquoi la liturgie latine traditionnelle écarte presque toujours cette dernière.
En répondant à la remarque : « Quelle différence pour vous, dans votre vécu, entre présider et célébrer ? », l’abbé Barré affirme : « C’est un peu difficile à expliquer, d’autant que ce n’est pas vraiment rationnel. Disons que la concélébration induit une forme de distance. On ne touche pas l’hostie, on ne l’élève pas, on ne s’adresse pas à l’assemblée… »
Aux JMJ, la concélébration a privé d’innombrables prêtres de la célébration
Ou pour dire cela en d’autres termes : en concélébrant, il n’a pas eu l’impression de vraiment célébrer la messe. Il n’a pas, de ses mains ointes, immolé la Victime parfaite, il n’a pas élevé le Précieux Sang vers le Père en un sacrifice parfait. Il n’a pas renouvelé de manière non sanglante, in persona Christi, le sacrifice de la Croix, avec ses mérites infinis.
La remarque semble au demeurant tout à fait rationnelle.
L’abbé semble avoir été quelque peu effaré de sa propre complainte, puisqu’il a tweeté, une heure plus tard : « En soi je n’ai aucun souci avec la concélébration mais parfois cela donne un peu l’impression de célébrer par procuration. Comme s’il manquait quelque chose à l’exercice de notre sacerdoce. » Et d’expliquer, un peu plus tard, avec insistance, que célébrer ou présider « ne veut pas dire la même chose » : « Le concélébrant célèbre aussi mais seul le président préside. » C’est à ce moment qu’il a écrit : « J’ai célébré la messe chaque jour au JMJ. »
Alors, célébrer, ou présider ? Dans l’esprit de cet abbé – comme dans l’« esprit du Concile » (ou plus récemment dans Desiderio Desideravi, par lequel le pape François veut affirmer que tous doivent enfin choisir le nouveau rite), celui qui préside la messe est le prêtre qui tient l’hostie, puis le calice, et les élève devant le peuple. D’ailleurs, il « préside » non seulement les concélébrants, qui se content de murmurer les paroles de la consécration à l’unisson, et de désigner, de loin, les saintes Espèces de la main, mais aussi l’assemblée. Le « Peuple de Dieu » que précède le prêtre mais présenté comme indispensable au rite, si bien que la messe « privée », du prêtre seul avec son servant, est considérée comme dépassée, voire imparfaite.
Présider la messe, c’est justement ne pas la célébrer
C’est le signe et l’expression d’une ecclésiologie nouvelle, d’une conception modifiée de la messe où, dans l’ancien rite, tous se tournent vers l’autel tandis que le prêtre, le sacrificateur, accomplit seul et solennellement l’acte propitiatoire par excellence, en élevant le Corps et le Sang du Christ vers son Père et non pas vers l’assemblée.
D’une certaine façon, l’abbé Barré a ressenti que quelque chose n’allait pas, puisque tout au long des JMJ, il n’a pas eu la possibilité de dire la messe lui-même. Sentiment d’insatisfaction qui en dit long : « Comme s’il manquait quelque chose » à son sacerdoce qui est fait pour l’infini !
Dans la liturgie latine traditionnelle, on connaît certes des messes « présidées ». Mais précisément, celui qui préside, alors, ne célèbre pas : c’est l’évêque ayant autorité qui assiste, depuis son siège, à la messe célébrée par un évêque d’un autre lieu ou un prêtre, un célébrant qui lui est inférieur. Le président, par définition, ne consacre pas, ne sacrifie pas. Mieux : au moment de la consécration, le président vient se placer à genoux derrière le célébrant, dans une attitude d’humilité et d’adoration, tourné vers le Seigneur pour s’incliner au moment de l’élévation.
Et normalement, ce président aura célébré par ailleurs, ce jour-là, individuellement et personnellement, « sa » messe.
Le nouveau rite a bouleversé les mots, révolutionné le message. Et parfois cela affleure dans la conscience de ceux qui savent devoir vivre de ce grand mystère.