La preuve que la légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté ne suffit pas pour apaiser le désir de mort de ses partisans nous est une nouvelle fois fournie par les Pays-Bas. Un collectif qui réclame un droit au suicide assisté dont la mise en œuvre ne soit plus réservée au seul médecin, ni aux cas de souffrance insurmontable, comme l’exige la loi en vigueur, a déposé lundi un recours en appel contre l’Etat devant la justice néerlandaise, après avoir vu sa demande rejetée en première instance en 2022. L’objectif est de faire reconnaître le droit à l’autodétermination des Néerlandais quant à leur propre vie, qu’ils soient très vieux ou très malades… ou non, et leur droit d’être aidés par un tiers pour obtenir les moyens de mettre fin à leurs jours en retournant les conditions strictes, même si elles ont évolué dans un sens plus libéral, de la loi sur l’euthanasie et le suicide assisté en vigueur depuis 2001. Cette autodétermination est défendue par les militants pro-mort en tant que « droit de l’homme ».
Que ces conditions légales en vigueur aient évolué pour rendre la piqûre létale plus accessible aux Pays-Bas se traduit déjà par des chiffres d’euthanasie en constante augmentation. Des personnes – y compris des jeunes – souffrant de maladies psychiatriques, des couples et des personnes en voie de devenir démentes, ou des personnes ayant laissé des directives anticipées dans l’incapacité d’exprimer elles-mêmes leur désir d’euthanasie au moment de son exécution, sont aujourd’hui considérées comme remplissant les critères de la loi. En 2024, près de 10.000 personnes (dans un pays de quelque 18 millions d’habitants) ont ainsi été euthanasiées, une augmentation de 10 % par rapport à l’année précédente.
CLW en procès contre l’Etat néerlandais
S’il est extrêmement rare qu’une euthanasie accordée par un médecin ayant accompli les démarches et vérifications exigées par la loi, notamment quant au degré de souffrances des intéressés et de l’absence de toute perspective d’amélioration et la consultation d’un confrère, soit poursuivie en justice, en revanche plusieurs affaires de « tiers aidants » ont donné lieu à des procès. Et même si les peines prononcées sont légères et assorties du sursis, le principe d’interdiction est bien là, et limite évidemment le nombre de cas effectifs. Fondée en 2017, l’association CLW avait d’ailleurs commencé ouvertement son action en facilitant la fourniture d’un « moyen X », une substance létale employée en laboratoire, aux personnes désirant se suicider, et se prétend en résistance. Cette action sur le terrain ne lui a pas suffi, d’où sa tentative judiciaire en cours.
Pour la Coopérative Dernières Volontés (Coöperatie Laatste Wil, CLW), qui mène cette affaire devant les tribunaux en compagnie de 29 demandeurs individuels, il devrait suffire de vouloir mourir après avoir considéré les tenants et aboutissants d’une telle demande, pour que « l’aide à mourir » doive leur être donnée. CLW compte près de 30.000 membres, des sexagénaires et des septuagénaires, pour la plupart, qui refusent de devoir mourir dans des circonstances pénibles, ou qui ont décidé de ne pas passer les dernières années de leur vie en centre de soins. Ils assurent avoir le soutien de plus de trois quarts des Néerlandais sur la foi d’un sondage réalisé en 2023, en réponse auquel une majorité des interrogés affirmaient vouloir « régir eux-mêmes leur vie » – et donc leur mort.
Essentiellement, il s’agit donc bel et bien d’une révolte contre le fait qu’en tant qu’êtres créés, notre vie ne nous appartient pas. C’est même la révolte ultime : revendiquer le droit de se défaire volontairement du don de la vie.
Le suicide assisté pour tous ?
Les appelants ont exposé leurs arguments devant la cour d’appel de La Haye, lundi, et le jugement a été mis en délibéré au 23 décembre prochain.
CLW estime qu’il n’est pas impossible de gagner ce procès, étant donné qu’en première instance, le jugement avait reconnu le principe du droit d’autodétermination des personnes, même s’il n’avait pas donné raison au collectif au motif que l’Etat doit également protéger la vie des citoyens. L’association souligne cependant dans la presse que le fait de perdre le procès en cours ne lui apparaîtrait pas comme une défaite. L’important, dit-elle, est d’attirer l’attention du public sur la question et d’obtenir que les choses changent grâce à cela. Idéalement, elle souhaiterait une loi qui, tout en assurant que soient vérifiés la capacité mentale des intéressés et le sérieux de leurs demandes, déplace l’appréciation sur les souffrances subies des soignants aux patients, ceux-ci devant pouvoir se faire aider comme ils l’entendent.
Comment ? Le « moyen X » devrait demeurer dans la panoplie, selon CLW, même s’il ne promet pas forcément une « mort détendue » ; mais l’association milite également pour la légalité de la capsule « Sarco » de l’euthanasiomane Philip Nitschke et selon l’un de ses militants, Frans Copini, il faudrait même arriver à mettre en place une « maison de la mort » : « Idéalement, nous aimerions ouvrir une “maison des dernières volontés” où nous proposerions un menu où on pourrait choisir sa mort. Le Sarco figurerait évidemment au menu. Nous imaginons une salle que nous pourrions aménager selon les souhaits de la personne qui veut mourir. Peut-être les gens écouteraient-ils du hard rock ou porteraient-ils des lunettes VR pour regarder gambader des chevreuils. Ça me semble une belle façon de partir. »
D’autres démarches pour lever les restrictions sur l’euthanasie
Un autre projet visant à faciliter l’accès à l’euthanasie est actuellement en cours. Une proposition a été déposée par le parti D66, en vue d’instaurer un droit à mourir pour toute personne de plus de 75 ans qui se dit « fatiguée de vivre ».
CLW ne s’en satisfait pas : « Si cette loi sur la “vie accomplie” est adoptée, des accompagnateurs spécialisés dans l’accompagnement en fin de vie seront formés et ils seront chargés de vérifier, au cours de plusieurs entretiens, que la décision est “volontaire, mûrement réfléchie et durable”. La décision finale sera prise “conjointement” avec l’accompagnateur. Ainsi, même dans le cadre de cette loi, l’autonomie ne reviendrait pas entièrement à la personne qui souhaite mourir. »