Mardi, fin d’après-midi : première session de l’Assemblée nationale consacrée à l’examen de la proposition de loi Claeys-Leonetti « créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie ». Il y en aura deux au total. Le sujet est expédié. Histoire de mieux faire croire au « consensus » qui de fait, et malgré les apparences, est en train de s’imposer. Les premières discussions auront été révélatrices d’une volonté d’escamoter la dimension proprement euthanasique du texte qui prolonge et aggrave la loi Leonetti de 2005. Celle-ci – on l’a vu avec l’affaire Vincent Lambert – a déjà ouvert la porte à l’euthanasie en autorisant la mise à mort par arrêt de l’alimentation et de l’hydratation. La loi révisée enfonce le clou : c’est la clef de lecture principale et à l’heure d’écrire, personne ne l’a mise en évidence.
Le premier à s’exprimer clairement fut Manuel Valls. Le Premier ministre est intervenu lors des questions au gouvernement pour expliquer que la nouvelle loi ne sera qu’une étape. « La législation sur la fin de vie ne saurait faire l’objet de décisions brusques. Il faut laisser du temps à la réflexion, au débat et à la décision. La loi de 2005, dont l’adoption a réuni tous les groupes parlementaires, constituait déjà une belle avancée. (…) C’est sans aucun doute une étape. (…) Aujourd’hui, pourtant, le Parlement légifère, et il est important qu’il puisse le faire. Nous savons toutefois que la société, la médecine et la science évoluent. (…) Je ne doute pas qu’il y aura forcément d’autres discussions sur ces questions dans les années qui viennent. »
Proposition Claeys-Leonetti : une étape vers l’euthanasie
Voilà qui est net. On sert aux Français ce qu’on les estime capables d’avaler à un moment donné. Mais on se réserve le droit d’« évoluer ». Valls a tenu à rappeler qu’il avait lui-même présenté il y a quelques années une loi qui allait plus loin…
Etape, mais étape cruciale. Il s’agit en effet, sans parler d’euthanasie ou de suicide assisté, de permettre aux patients en phase terminale – ou non – de leur « affection » d’éviter non une souffrance insupportable mais « toute souffrance ».
Voici ce que dit précisément la proposition de loi :
« Art. L.1110-5-2. – À la demande du patient d’éviter toute souffrance et de ne pas prolonger inutilement sa vie, un traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès associé à l’arrêt de l’ensemble des traitements de maintien en vie est mis en œuvre dans les cas suivants :
« – lorsque le patient atteint d’une affection grave et incurable dont le pronostic vital est engagé à court terme présente une souffrance réfractaire au traitement ;
« – lorsque la décision du patient, atteint d’une affection grave et incurable, d’arrêter un traitement, engage son pronostic vital à court terme.
« Lorsque le patient ne peut pas exprimer sa volonté et dans le cadre du refus de l’obstination déraisonnable visée à l’article L. 1110-5-1, dans le cas où le médecin arrête un traitement de maintien en vie, le médecin applique le traitement à visée sédative et antalgique provoquant une altération profonde et continue de la vigilance jusqu’au décès. »
Il importe d’en lire la lettre. Ce ne sont pas les seules personnes sur le point de mourir qui doivent bénéficier, à leur demande, d’un endormissement définitif – puisqu’associé à l’arrêt de la nourriture et de l’alimentation – mais tous ceux qui souffrent d’une affection « grave et incurable ». L’« affection » englobe la maladie, mais encore toute dégradation du corps : un handicap par exemple.
La France saisie d’une loi extrémiste sur la fin de vie
Ainsi les malades gravement atteints, mais non en phase terminale, et les handicapés peuvent-ils exiger d’être endormis : en fait, anesthésiés comme l’a reconnu Jean Leonetti lors d’une audition. Et cette volonté du patient est « contraignante » pour le médecin. Elle peut même s’exprimer à l’avance pour le cas où le patient ne serait plus en mesure de dire sa volonté, par les « directives anticipées ». Comateux, ou dément, il pourrait par avance demander qu’on cesse de le nourrir et qu’on l’endorme…
De tout cela, il n’a jusqu’ici pas été question. On a parlé des soins palliatifs, du « droit » de ne pas souffrir, de la « bonne mort » qu’il faut rechercher ou qui au contraire, n’existe pas selon certains, mais évidemment dans le sens parfaitement laïque. La bonne mort capable d’ouvrir les portes du ciel, il n’en a pas été question.
Curieusement, ce sont les partisans d’une légalisation pleine et entière de l’euthanasie ou du suicide assisté qui ont été les plus explicites sur la nature réelle de la proposition. On sait combien leur mobilisation est trompeuse puisqu’en réalité c’est bien à un droit de choisir le moment de sa mort que tend le texte, camouflé derrière l’incertitude sur le jour et l’heure. Mais ils sont finalement moins retors que Leonetti (pour l’UMP) et Claeys (pour le PS).
Ecoutons Roger-Gérard Schwartzenberg :
« En premier lieu, il y a là une distinction assez artificielle, voire artificieuse sinon fallacieuse, car l’effet recherché est le même dans les deux cas : amener le malade au décès en utilisant non des substances létales, mais des produits sédatifs à très forte dose. Comme le concède le professeur Sicard dans son rapport de 2012, “la frontière entre l’euthanasie volontaire et la sédation profonde peut sembler poreuse”. La distinction est évidemment très fragile, voire factice, et s’apparente à une subtile casuistique car il s’agit dans les deux cas de préparer la même issue : le décès du patient.
« En second lieu, la sédation en phase terminale s’accompagne de l’arrêt des traitements ou des soins tels que l’alimentation et l’hydratation artificielles, ce qui est susceptible d’entraîner, selon de nombreux médecins, des effets très pénibles : faim, soif, insuffisance respiratoire, phlébite, spasmes, infections et escarres. La situation peut se prolonger, la mort intervenant, selon le professeur Sicard, entre deux et huit jours, entre une et deux semaines selon d’autres. Par conséquent, la sédation en phase terminale n’évite pas à coup sûr une fin de vie douloureuse, une agonie parfois lente et longue. Les auteurs du texte écrivent à l’article 1er que “toute personne a droit à une fin de vie digne et apaisée”, or la démarche qu’ils proposent ne garantit nullement un tel résultat. “Agonie”, comme on sait, vient du grec agonia qui signifie lutte, angoisse. Faut-il nécessairement partir dans la détresse et la douleur ? L’agonie ne doit pas être une étape obligée de la mort. »
« Subtile casuistique » ? L’expression est juste.
Une première lecture consensuelle malgré tout
Véronique Massonneau (EELV), elle-même auteur d’une proposition de loi de légalisation de l’euthanasie, rejetée fin janvier, note pour sa part :
« De l’autre côté, il s’agit de proposer aux médecins une clause de conscience et d’instaurer une procédure de contrôle pour chaque recours à une aide à mourir, sédation terminale comprise. De tels garde-fous ne sont pas prévus par ce texte. »
C’est bien cela : avec la loi Leonetti-Claeys, c’est en réalité une forme extrémiste de légalisation de l’euthanasie qui s’installe, où le malade peut exiger du médecin des actes qui provoqueront sa mort. Bernard Accoyer l’a souligné. Tout comme Bernard Debré. Mais ce dernier, ayant souligné que la loi était à ce propos « péremptoire et dangereuse », a indiqué qu’il la votera quand même.
Parce qu’au fond les politiques sont sommés d’être « consensuellement » d’accord.