On sort de la lecture des communiqués de presse du ministère de l’Education nationale, des textes publiés par le Haut Conseil de l’Education (HCE) et des projets des nouveaux programmes du collège mis en ligne par le Conseil supérieur des programmes (CSP) avec une sensation d’indigestion. Les diverses annonces faites par le ministre Najat Vallaud-Belkacem présentant la nouvelle (et énième) réforme du collège sont un modèle d’idéologie noyée sous un jargon que la réforme prétend précisément abandonner. C’est raté, et bien des associations de professeurs attachés à transmettre une véritable instruction, une véritable formation ont raison de se dresser contre un projet à la fois irréalisable dans son ambition et dénué de structure dans sa conception.
Réforme Najat Vallaud-Belkacem : créer le citoyen de demain au collège
Le premier point fort qui se dégage des annonces ministérielles sur la réforme des collège est la très nette volonté de créer le citoyen de demain par le truchement de l’école qui est censée lui apporter civilité, savoir-vivre, curiosité intellectuelle, culture « diversifiée » dénuée des « stéréotypes », capacités langagières et scientifiques, expression correcte en toutes circonstances… Cela tient en quelques mots : « Précédée, pour la plupart des élèves, par une scolarisation en maternelle qui a permis de poser de premières bases en matière d’apprentissage et de vivre ensemble, la scolarité obligatoire poursuit un double objectif de formation et de socialisation. »
Imaginez : l’élève de demain, soumis aux nouveaux programmes de français (pardon, de langues, cela comprend à la fois le français, les langues étrangères et régionales, le langage artistique, l’expression corporelle et la langue mathématique scientifique) sera un communiquant modèle, aussi capable d’écouter autrui que de mener une discussion contradictoire en défendant son point de vue et en recherchant le consensus parce qu’il aura « fait preuve de diplomatie ».
Enseigner le français par le jargon
Ainsi le résume le Conseil supérieur des programmes, à propos de l’enseignement du français :
« L’élève parle, communique, argumente à l’oral de façon claire et organisée ; il adapte son niveau de langue et son discours à la situation, il écoute et prend en compte ses interlocuteurs. Il trouve de l’intérêt à lire. Il adapte sa lecture et la module en fonction de la nature et de la difficulté du texte. Pour construire ou vérifier le sens de ce qu’il lit, il cherche et extrait avec pertinence et de façon critique des informations issues de différentes sources. Il découvre le plaisir de lire. L’élève s’exprime à l’écrit pour raconter, décrire, expliquer ou argumenter de façon claire et organisée, dans un français orthographiquement et syntaxiquement correct. Lorsque c’est nécessaire, il reprend ses écrits pour rechercher la formulation qui convient le mieux et préciser ses intentions et sa pensée. Il s’engage sans appréhension dans l’écriture. Il connaît les régularités qui organisent la langue française et utilise à bon escient les règles grammaticales et orthographiques. Il emploie à l’écrit comme à l’oral un vocabulaire juste et précis. »
Un élève modèle… Et aucun moyen pour y parvenir. Car les gamins qui font leur entrée en sixième sont incapables pour la plupart d’une compréhension fine des textes. 15% d’entre eux sont en totale perdition, selon un rapport publié en 2007 par le HCE, et 25 % de plus ont des problèmes de déchiffrage, de compréhension, de grandes lacunes de vocabulaire et de grammaire. Et si les 60% restants ont un niveau « acceptable » ou « satisfaisant », seuls 10% ont une « compréhension fine » d’un texte, et « même les meilleurs d’entre eux ont des faiblesses ».
Par quel miracle le collège pourra-t-il remédier à cet échec patent – et qui s’aggrave, puisque la France continue de dégringoler dans les tests comparatifs internationaux – que l’école primaire installe, organise et entretient en raison des choix pédagogiques délibérés des autorités compétentes ?
Les idéologues de la pédagogie ont présidé à la réforme du collège
Celles-ci, il faut bien le comprendre, n’évoluent pas. Ce ne sont pas les professeurs chevronnés et efficaces qui inventent les nouveaux programmes, mais toujours les mêmes spécialistes en « sciences de l’éducation », solidement installés au ministère de l’Education, et qui poursuivent leurs objectifs avec une parfaite cohérence sous des gouvernements de droite comme de gauche. Il est vrai que sous ces derniers, ils ont les mains encore plus libres, comme le montre leur dernière « production » qui pèsera lourdement sur tous les jeunes qui passent entre les mains du collège public ou sous contrat.
Mais voilà ce qu’ils promettent : « L’élève mobilise des compétences et des outils pour organiser son travail. Il se projette dans le temps, anticipe, planifie ses tâches. Il gère les étapes d’un devoir, mémorise de façon rationnelle ce qui doit l’être et organise son travail en fonction des véritables enjeux d’un apprentissage. Il comprend le sens et la finalité d’une consigne, il sait qu’un même mot peut avoir des sens différents selon les disciplines. »
A l’heure où une grande part des professeurs des collèges et des lycées se plaignant de faire de la discipline pendant la moitié du temps passé au contact des élèves, le tableau est idyllique. On peut sans risquer de se tromper annoncer qu’il le restera.
Adonné à l’étude, capable de pensée critique, voilà l’élève construit par le collège
Curieux de tout, sachant utiliser toutes les sources d’informations, excellent danseur, gymnaste, mélomane éclectique, le collégien du XXIe siècle selon Najat Vallaud-Balkacem (et Vincent Peillon, ne croyons pas que sa « patte » soit absente) a dépassé grâce au collège les inégalités de naissance et on l’imaginerait presque à la manière de l’« honnête homme » du XVIIe siècle si les programmes proposés imposaient un minimum de culture commune. Mais cette culture est celle du « développement durable » et de la « diversité », et non celle de l’accès à notre héritage culturel, d’autant que tout y est mis sur le même plan.
Le programme de français réussit l’exploit de ne nommer aucune œuvre : à la manière de l’enseignement de l’histoire, qui se fera toujours par grands thèmes :
« Au cycle 4 [de la 5e à la 3e, NDLR], le travail en Français, dans ses différentes composantes (oral, écriture, lecture, étude de la langue), est structuré par quatre thèmes : “Se chercher, se construire” ; “Vivre en société, participer à la société” ; “Regarder le monde, inventer des mondes” ; “Agir sur le monde”. Chacun de ces thèmes fait l’objet d’un questionnement spécifique par année. Ces questionnements obligatoires sont complétés par des questionnements complémentaires au choix de l’enseignant. (…)
« Chaque année, les questionnements sont abordés dans l’ordre choisi par l’enseignant. En outre, chaque questionnement peut faire l’objet de plusieurs séquences, à des moments différents de l’année, selon une problématisation ou des priorités différentes (accent mis sur les activités d’écriture, ou sur le travail du langage oral, ou encore sur la lecture). Inversement, une même séquence peut croiser deux questionnements. Quelques repères non exhaustifs, formulés en termes de genres et types d’œuvres et de textes (littéraires et non littéraires) et de domaines artistiques autres que les arts du langage, sont donnés à titre indicatif pour chaque questionnement. »
L’enseignement du français pourra passer par les grands classiques, en somme. Mais tout aussi bien par la BD, les articles de presse et les sitcoms…
L’étude de la grammaire ? Construction d’une « posture réflexive »
Pour ce qui est de la grammaire – et selon une vieille habitude désormais, dans le monde des pédagogies décervelantes –, pas question d’y consacrer des temps spécifiques. Voici ce qui, dans les nouveaux programmes du collège, s’en approche le plus :
« Étudier la langue pour construire une posture réflexive en prenant la langue comme objet d’analyse. La mémorisation de règles hors contexte est inefficace, l’objectif est bien de faire réfléchir les élèves sur les normes, la pertinence et l’acceptabilité de telle ou telle production en lien avec les activités de lecture et d’écriture. L’étude de la langue construit et entretient ainsi une vigilance grammaticale et orthographique. »
Cela passera notamment par des « entraînements à identifier des probabilités graphiques », ce qui laisse songeur.
L’idéologie égalitaire dans la réforme du collège
Mais comment mieux donner le ton général de cette réforme qu’en se tournant vers le nouveau programme d’éducation physique et sportive (EPS) au collège ? Je vous laisse savourer :
Et à propos de l’athlétisme : « Se repérer dans l’espace athlétique et accepter les déséquilibres provoqués. S’organiser pour construire une continuité spatio-temporelle d’actions. Optimiser les trajectoires, les forces exercées et les vitesses produites, anticiper les actions à venir pour agrandir l’espace et raccourcir le temps. »
Agrandir l’espace et raccourcir le temps ? Bigre. Bientôt des milliers de petits Einstein en shorts ! Les mêmes qui seront sensibilisés à la natation en « milieu aquatique standardisé » (traduisez : en piscine) où ils apprendront à accepter le regard de l’autre sur leur corps…
Transformer l’homme en réformant le collège
Ce ne sont là que des exemples ponctuels puisés dans un flot de considérations grandiloquentes dont la masse prouve bien qu’il s’agit, à travers l’Education nationale, de changer l’homme en le transformant en citoyen standard, formaté. Le ton est donné : il ne s’agit plus de dire aux enseignants ce qu’ils doivent enseigner, mais de décrire l’élève à sa sortie du collège, à la fin de la scolarité obligatoire, muni du « socle des compétences » défini par l’Etat. Au terme d’« années collège » où, promis, il ne s’« ennuiera » plus (70% des élèves les vivent aujourd’hui ainsi selon des études citées par Najat Vallaud-Belkacem) mais où, grâce à une organisation différente du temps et une prise en compte plus adaptée des différences et des difficultés propres à chacun on aboutira enfin à la vraie réalisation du rêve du « collège unique ».
Peut-être est-ce pour rassurer que le Conseil supérieur des programmes assure que l’école ne se substituera pas aux parents. Mais tout cela n’est pas si rassurant, et c’est le volant le plus évidemment idéologique de la réforme :
« L’Ecole a une responsabilité particulière dans la formation de l’élève en tant que personne et futur citoyen. Dans une démarche de coéducation, elle ne se substitue pas aux familles, mais elle a pour tâche de transmettre aux jeunes les valeurs fondamentales et les principes inscrits dans la Constitution de notre pays. Elle permet à l’élève d’acquérir la capacité à juger par lui-même, en même temps que le sentiment d’appartenance à la société. Ce faisant, elle permet à l’élève de développer dans les situations concrètes de la vie scolaire son aptitude à vivre de manière autonome, à participer activement à l’amélioration de la vie commune et à préparer son engagement en tant que citoyen. »
Il n’est pas explicitement question d’amener l’élève à contester le modèle familial et son environnement traditionnel, mais en lisant entre les lignes c’est bien ce que le CSP veut dire. Il faut citer ici l’annonce de la manière dont cela sera fait :
« Ce domaine fait appel :
– à l’apprentissage et à l’expérience des principes qui garantissent la liberté de tous, comme la liberté de conscience et d’expression, la tolérance réciproque, l’égalité, notamment entre les hommes et les femmes, le refus des discriminations, l’affirmation de la capacité à juger et agir par soi-même ;
–à des connaissances et à la compréhension du sens du droit et de la loi, des règles qui permettent la participation à la vie collective et démocratique et de la notion d’intérêt général ;
– à la connaissance, la compréhension mais aussi la mise en pratique du principe de laïcité, qui permet le déploiement du civisme et l’implication de chacun dans la vie sociale, dans le respect de la liberté de conscience. »
Laïcité, antiracisme : pas de pensée critique à leur égard !
On est ici en plein discours laïciste et antiraciste, sorti directement des loges : tous ces concepts, à peine développés dans les nouveaux programmes du collège, renvoient à un ensemble idéologue parfaitement connu. Cela a beau être dit sous le mode incantatoire, l’idée est bien de façonner le parfait citoyen républicain :
« L’élève apprend à résoudre les conflits sans agressivité, à éviter le recours à la violence grâce à sa maîtrise de moyens d’expression, de communication et d’argumentation. Il respecte les opinions et la liberté d’autrui, identifie et rejette toute forme d’intimidation ou d’emprise. Apprenant à mettre à distance préjugés et stéréotypes, il est capable d’apprécier les personnes qui sont différentes de lui et de vivre avec elles. Il est capable aussi de faire preuve d’empathie et de bienveillance. »
Pour ce qui est de l’emprise de la religion laïciste, maçonnique, c’est évidemment une autre histoire. Quant à l’« empathie » et la « bienveillance », fruits de l’éducation par l’Ecole de la République, elles signent mieux qu’aucun autre objectif de la réforme le caractère totalitaire du projet. Car c’est là une responsabilité propre de l’éducation qui incombe en propre aux parents, et non aux enseignants rémunérés par l’Etat et dirigés par lui.
Najat Vallaud-Belkacem préside à une réforme du collège dans la droite ligne de Vincent Peillon
Pour qu’il n’y ait vraiment aucun doute, le CSP ajoute à propos du produit fini livré à la fin de la scolarité obligatoire par l’Education nationale :