L’ingénieur en robotique Anthony Levandowki a fondé une religion de l’intelligence artificielle

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C’est le dernier avatar du scientisme, et pas le moins redoutable. Dans la Silicon Valley, l’intelligence artificielle (AI) n’est pas seulement la reine de ses concepteurs hallucinés, mais elle « est littéralement devenue une nouvelle religion », rapporte Joseph Brean, dans le quotidien conservateur canadien National Post. The Way of the Future (Route de l’avenir) vient d’être enregistré comme religion qui vénère l’intelligence artificielle comme une « divinité ». The Way of the Future n’a ni temple, ni fidèles, ni livre saint, ni rituel. Anthony Levandowski, l’ingénieur en robotique multimillionnaire qui l’a fondé en secret en 2015 et qui en est président, affiche un CV d’anticipateur et d’investisseur d’utopies, comme par exemple sur l’industrie des automobiles autonomes, au sujet desquelles il a d’ailleurs de gros soucis avec la justice.
 
The Way of the Future, organisation sans but lucratif basée en Californie, entend « développer et promouvoir la création d’une divinité basée sur l’intelligence artificielle et, par la compréhension et la vénération de cette divinité, de contribuer à l’épanouissement de la société », précise Wired Magazine, qui traite du lien technologie-société.
 

Les « rêves messianiques et visions apocalyptiques » du spécialiste de la robotique Levandowski

 
« Vénérer l’intelligence artificielle d’ordinateurs paraît tiré par les cheveux, même pour une religion, mais voilà qui élabore une foi dans le pouvoir de la technologie à la limite des rêves messianiques et des visions apocalyptiques », s’inquiète Joseph Brean au sujet de Levandowski. Les savoirs ont déjà été extraits du cerveau humain pour être inclus dans des intelligences artificielles telles que Siri, l’assistant personnel d’Apple. L’exploration, jadis effectuée en référence aux étoiles, est devenue un exercice soumis aux applications mobiles de GPS telles que Waze. L’omniscience divine est sécularisée dans des outils de surveillance de la vie quotidienne tels les moniteurs d’activité physique et autres objets connectés de Fitbit. « De la médecine à l’économie, la politique et aux guerres, l’intelligence artificielle commence à guider les affaires humaines comme la religion le faisait jadis, et puisque ces machines dépassent nos capacités humaines pour structurer et donner une signification à l’existence, on voit apparaître une forme de vénération », analyse Brean.
 
Alors, il importe peu finalement que Levandowski conçoive The Way of the Future comme une farce, une arnaque, un moyen d’échapper au fisc ou comme un moyen sincère d’espérer l’advenue d’une divinité… « Le temps de l’Evangile de l’intelligence artificielle est venu », se désole Brean. Les concepts anciens de révélation, de transcendance et de salut se déclinent désormais dans les idées nouvelles d’intelligence artificielle, de robotique, de post-humanisme et d’annonce de la fusion homme-machine, comme l’a bien analysé l’historien canadien David F. Noble dans La religion de la technologie. Avec à la clé la promesse d’une existence individuelle délivrée des limites mortelles qu’impose le corps humain.
 

Pour Alexandra Boutros, quand l’intelligence artificielle rencontre la religion, la mythologie est toute préparée

 
Dès aujourd’hui, les gens se projettent dans les médias sociaux dans des « avatars » de leur « moi » réel, analyse pour sa part Alexandra Boutros, professeur à l’université publique Wilfried Laurier de Waterloo (Ontario), qui étudie les croisements entre médias, technologie et identité dans les mouvements religieux. Quand l’intelligence artificielle rencontre la religion, dit-elle, la mythologie est toute préparée – mais probablement la schizophrénie aussi. Télécharger votre conscience pour obtenir un plus grand pouvoir, des potentialités illimitées et la vie éternelle correspond exactement à l’illumination chrétienne, estime notre professeur. Les croyants l’attendent dans le même mélange de peur et d’envie. Cela peut les tuer, mais cela leur donnera raison.
 
Arthur Kroker, professeur de sciences politiques à l’Université de Victoria, en Colombie-Britannique, y voit un basculement de la conception du sacré vers une nouvelle forme de dévotion poursuivant le Salut par la technologie. « Il s’agit d’une rupture fondamentale dans la conception de l’homme », estime Kroker.
 

Anthony Levandoswki, contesté pour son « monde de surveillance », est poursuivi pour vol aux dépens de Google

 
Derrière les théories fumeuses qui entourent The Way of the Future, il y a les actes très concrets et très controversés de Levandowski. Il est l’ingénieur en robotique qui a conçu le système de Google Street View et poursuit son projet de voiture autonome, tarte à la crème des élus municipaux jusqu’en France, à commencer par Lyon. Après un article biographique publié par le New Yorker en 2013, des manifestants avaient submergé son quartier de tracts dénonçant sa volonté de créer « un monde inacceptable de surveillance, de contrôle et d’automatisation ».
 
Levandowski est aussi en centre d’une plainte pour espionnage industriel massif concernant Google et Uber au sujet de la voiture automatique. Le procès est prévu le mois prochain. En cause, une allégation de vol « de plus de 14.000 documents confidentiels et titres de propriété intellectuelle » de la voiture autonome de Google, quand Levandowski démissionna de Google pour rejoindre Uber, qui venait juste d’acquérir sa société de véhicules autonomes Otto pour 700 millions de dollars. Quand Google déposa plainte contre Uber, cette dernière licencia Levandowski autant parce qu’il avait refusé de rendre les documents présumés volés… que de jurer sous serment qu’il ne les avait pas volés.
 
Levandowski, affairiste véreux mais prophète génial ? « Je suis du genre éclaireur, le type de gars qui a sauté le premier sur les pages de Normandie et qui laisse ensuite les autres renforcer la situation. » Comme l’écrit le journaliste Burkhard Bilger : « Ce qui différencie Levandowski des esprits fumeux que j’ai rencontré est ceci : ses idées délirantes semblent finir par devenir réalité ».
 

Matthieu Lenoir