Depuis que Marine Le Pen a pris l’initiative de virer son père du Front National, c’est le rififi permanent dans la famille. Juste avant le congrès du parti où il s’invite, Jean-Marie écrit une lettre ouverte pour lui offrir une réconciliation nationale. Une main tendue du bout des lèvres.
On est très cash dans la famille Le Pen. Pour Jean-Marie, Marine n’a pas été à la hauteur dans le débat contre Macron et la stratégie de dédiabolisation est « vaine, illusoire et dangereuse ». Pour Marine, Jean-Marie tente « d’exister par ses provocations ». N’est-ce pas Tacite, qui, transcrivant les injures réciproques que se jetaient les deux empereurs Othon et Vitellius, ajoutait : « Et ni l’un ni l’autre n’avait tort » ?
Les Le Pen, Marine ou Jean-Marie, lassent un peu leur public
Cependant le vieux lion a peut-être senti que les derniers développements de leur feuilleton finissaient par lasser les patriotes français. Toujours est-il qu’il a écrit à sa fille, via le Journal du dimanche, une lettre ouverte où il tente de prendre de la hauteur : « Marine, La France telle que l’histoire l’a faite se trouve aujourd’hui menacée de disparaître. Ce fait sans précédant nous impose de nous élever au-dessus de nos querelles. Tu portes un nom, Le Pen, et tu diriges un parti, le FN, que le pouvoir vilipende, mais qui ont incarné l’espoir du peuple français. Ne va pas gâcher cela ».« Les progrès électoraux notables » connus par le FN sous la direction de Marine sont dus, non à la dédiabolisation, mais à « la longue pédagogie exercée par des milliers de militants pendant quarante ans » et « aux Français, de plus en plus nombreux à ouvrir les yeux » sur les dangers annoncés par Le Pen.
Une lettre ouverte contre la dédiabolisation
La conséquence coule de source, il faut changer de stratégie « pour une raison simple : la diabolisation n’est pas une sentence prononcée par un tribunal impartial, mais une arme de guerre politique utilisée par des ennemis érigés en juges. Tenter de se dédiaboliser, c’est s’en remettre à eux, à leurs critères, à leur idéologie, c’est donc capituler devant eux, sans espoir d’ailleurs d’être jamais tranquille : il faut en faire toujours plus pour leur complaire, c’est un tonneau sans fond. C’est la nation que le système proscrit. Tant que le Front National restera national, il sera diabolisé ».
En corollaire, il faut à Marine « reprendre le sillon » tracé « dans les pires traverses et par le plus mauvais temps » en revenant au programme du Front National. « Et il faut le faire avec toutes les bonnes volontés et toutes les compétences qui se sont évertuées à le tracer. L’heure est à une grande réconciliation nationale, avec tous les patriotes qui se morfondent aujourd’hui hors les murs. Je t’en conjure, ouvre les portes » !
La réconciliation nationale pour éviter le rififi
En particulier celles du congrès du FN à Lille, où il compte venir en tant que président d’honneur, et que le secrétaire général du mouvement, Steeve Briois, a promis de fermer à son nez sans crainte du rififi, malgré la décision de justice confirmant en appel la qualité de président d’honneur de Jean-Marie Le Pen, décision qu’il invite Marine à respecter, elle qui prétend « devenir un jour le premier magistrat de la république ».
Cependant les gestes de bonne volonté de Jean-Marie Le Pen ne sont jamais loin de la mauvaise humeur. A propos de la déclaration de Steeve Briois, il écrit : « Si nous descendions à ce niveau de réflexion, ce serait la bagarre de rue (…) et l’opposition nationale se déconsidèrerait sans remède ». De la constatation de bon sens à la menace implicite, il n’y a qu’un pas.
Marine saisira-t-elle la main tendue de Jean-Marie ?
In fine cependant Jean-Marie Le Pen rentre ses griffes pour faire une proposition à sa fille, en vue de la réconciliation nationale : qu’ils se rencontrent, comme ils ne l’ont plus fait depuis la crise qui les oppose, « dans les prochains jours pour fixer ensemble une position commune, où tu veux, seuls ou avec des amis ». Mais attention. Avec Le Pen, il faut qu’une porte soit ouverte ou fermée. Et tout de suite. Il termine : « C’est une main que je te tends. Je t’adjure de ne pas la rejeter ».
Il est probable cependant que, si elle répond, ce qui n’est pas assuré, Marine ne donnera pas satisfaction à son père, qu’elle accuse depuis des mois de « vouloir exister par ses provocations ». Parce que, même si elle voit l’impasse où l’a menée la stratégie qu’elle a suivie avec l’aide de Philippot et qu’elle poursuit avec d’autres collaborateurs, elle n’est pas libre de se réconcilier avec son père ni avec la droite nationale. Précisément parce qu’elle a choisi la dédiabolisation qu’il condamne. Va-t-elle alors prendre le risque du rififi en le poussant à tenter quelque chose, avec « les trois cent bikers bretons » dont il a dit un moment qu’ils pourraient l’accompagner au congrès ? Ce serait un jeu dangereux. Si j’étais Marine, je ménagerais mon père, ne serait-ce que pour éviter la « bagarre de rue ».