C’est le Forum économique mondial qui le promet : bientôt les robots « empathiques » feront partie de nos paysages et qui mieux est, ils nous faciliteront l’existence. « Relax ! », lance le site des grands décideurs de Davos. Détendez-vous, l’heure sera bientôt arrivée où les engins mécaniques pourront prendre en mains nos soucis quotidiens tout en agissant comme des quasi humains. Ils nous aideront non seulement à devenir « augmentés », mais meilleurs.
C’est sur le site weforum.org qu’on peut lire cet article de prospective de Rana Kaliouby, PDG et cofondatrice d’Affectiva, une société qui produit des algorithmes de reconnaissance des états émotionnels. Bien sûr, c’est une forme de publicité. Et toujours bien sûr, le Forum économique mondial se désolidarise quelque peu du propos en signalant, comme au pied de chaque tribune publiée par la presse, que les opinions exprimées sont celles de l’auteur et non pas les siennes. Il n’empêche. C’est bien là que l’article est publié et ce n’est pas sur weforum.org que vous trouverez des annonces alarmistes sur le développement de l’intelligence artificielle (AI).
Les robots empathiques sauront décoder les émotions et égaliser le terrain
Rana Kaliouby s’imagine en 2030. L’AI s’est démocratisée, elle progresse, elle est capable d’apprendre et surtout, elle est « émotionnellement intelligente, consciente de nos états mentaux, sociaux et émotionnels les plus nuancés, intimement au fait de nos humeurs et de nos préférences ». C’est sans doute à Affectiva que sera revenue la fabrication d’un « chip émotionnel » embarqué sur tous nos dispositifs connectés – il y en a en tout cas partout et ces chips sont capables de percevoir nos émotions les plus fines.
« Désormais, nous interagissons avec la technologie de la même manière que nous interagissons entre nous, en nous parlant, en nous percevant et en échangeant nos émotions », annonce Kaliouby. Comme si les robots étaient devenus de bienveillants compagnons, dans un avenir radieux où le travail n’aura pas été capté par les machines, ou au contraire, « de nouvelles industries sont apparues » de telle sorte qu’il y a « plus de travail que jamais, davantage de problèmes à résoudre ».
L’intelligence artificielle qui nous comprendra – selon le site du Forum économique mondial
Parmi les exemples de ces robots empathiques, Rana Kaliouby rêve éveillée d’un dispositif permettant d’assurer l’accès égal à l’éducation et aux soins grâce à la collecte préalable des données sur les profils émotionnels de chaque utilisateur « afin de personnaliser l’expérience éducative, de suivre le bien-être mental et émotionnel de chacun, et de prévenir les crises sanitaires avant même qu’elles ne surviennent ». Bref, un flicage permanent ; une surveillance absolument sans précédent.
Les assistants personnels vous suivent à la trace. Rana Kaliouby imagine celui de sa fille, 30 ans : « Zee » l’a « connue » depuis l’adolescence, la suit partout, connaît ses humeurs et son état de fatigue mais aussi son agenda. C’est le robot qui proposera d’alléger le rythme, de repousser tel rendez-vous, lui encore qui tiendra au courant l’assistant virtuel de Rana elle-même. La sympathie faite machine. Tellement plus compréhensive que – disons – un mari.
La robotique empathique sera tellement efficace qu’elle pourra servir à des autistes pour décoder les émotions d’autrui ; tellement utile qu’elle permettra de suivre l’état émotionnel d’une équipe professionnelle et de régler les problèmes en toute connaissance de cause ; tellement précise qu’elle connaîtra les goûts, les motivations des élèves et les aideront à étudier et à apprendre. « De cette manière, l’AI pourrait être utilisée pour uniformiser les chances dans le cadre de l’éducation et aider à réduire les écarts socio-économiques à travers le monde », promet Kaliouby.
Des robots « empathiques » pour suivre la moindre saute d’humeur
Même si elle prédit un bel avenir aux spécialistes de l’éthique de l’intelligence artificielle et aux promoteurs de la justice sociale, ce qui laisse entrevoir quelques problèmes, elle veut faire croire, aux côtés des grands de ce monde, que l’intelligence artificielle émotionnelle va tout modifier, notamment dans les relations humaines elles-mêmes.
Sa vision pour 2030 est rose bonbon : « L’empathie est de retour, au centre de la manière dont nous sommes liés et communiquons les uns avec les autres. Je dirais même : ce sont les sociétés, les individus qui s’emploient à introduire une couche empathique dans leurs interactions avec autrui, plutôt que de se focaliser sur l’efficacité ou sur les gains, qui modèlent l’avenir. »
Encore des lendemains qui chantent. L’expérience prouve que cela se termine toujours mal.