Propagande russe : le “Daily Mail” s’en prend à rt.com et aux “fake news” du Kremlin

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Le Daily Mail, tabloïde conservateur, a pris au mot le Premier ministre Theresa May qui lors d’une intervention remarquée au banquet du Maire de Londres a accusé les fake news fabriqués par le Kremlin, assurant que sous l’autorité de Poutine, la Russie a transformé l’information en « arme ». « Nous savons ce que vous êtes en train de faire », a-t-elle lancé. Le journal s’est intéressé à la ligne de rt.news anglophone qui dispose d’importants bureaux à Londres : l’ensemble des services de Russia Today s’insèrent dans un dispositif financé par le Kremlin à hauteur de quelque 220 millions d’euros annuels, un budget plus que confortable qui lui permet de proposer des contenus écrits et vidéo en quatre langues. Tout cela constitue une opération de désinformation à grande échelle, dénonce le Mail.
 
Qu’en penser ? Le Daily Mail a beau être plutôt à droite, c’est un élément de cette grande presse qui est plus ou moins alignée sur la culture de mort et le mondialisme selon ses nuances, et ce qu’il écrit n’est pas non plus parole d’Evangile. Et lorsqu’il ironise sur l’allure professionnelle du site rt.com anglophone en assurant qu’il « reproduit » celle de « diffuseurs internationaux d’informations respectables tels la BBC, CNN et France 24 » on a en vie de pouffer de rire, tant ces sources participent à leur manière à la création et à la diffusion de fausses nouvelles.
 

La propagande russe, une réalité assumée par rt.com

 
Mais là où il est utile de s’arrêter un instant, et de juger sur pièces, c’est lorsque le journaliste chargé d’analyser les informations et les partis-pris de RT souligne que ce média a une politique très précise, « qui sert un maître étranger sans amour pour la Grande-Bretagne ». Incontestablement, le point de vue est russe, pro-russe, presque systématiquement pro-Poutine. Les médias occidentaux ne sont souvent pas moins partisans – pensez à leurs tirs de barrage contre Donald Trump – mais ils le camouflent mieux. Et puis on y trouve tout de même des points de vue critiques sur l’actualité de leurs pays respectifs.
 
De manière intéressante, également, le journaliste du Daily Mail, Neil Tweedie, analyse les choix de ce média russe, très semblable finalement à sa sœur jumelle Sputnik qui a repris le flambeau de l’agence d’informations d’Etat Ria Novosti.
 
« Le régime de Russia Today est constitué d’un mix curieux », observe-t-il. « Des théories du complot bizarroïdes avancées par des doux-dingues qui se font passer pour des commentateurs sérieux y voisinent avec une couverture plus subtile de l’information qui favorise la ligne russe par rapport à la Syrie, l’Ukraine et ailleurs. » On y trouve, de passage, Julian Assange, Noam Chomsky, le très marxiste chef du Labour Jeremy Corbyn (il a depuis pris ses distances) ; ou plus régulièrement l’intervieweur Larry King transfuge de CNN mais aussi, depuis peu, l’ex-Premier ministre séparatiste écossais Alex Salmond qui animera un programme de discussion sur des thèmes divers.
 

Les “fake news” du Kremlin partent dans tous les sens

 
Le Daily Mail énumère les nombreuses thèses complotistes ouvertement soutenues par RT : le 11-septembre a été piloté par le gouvernement américain, la BBC a fabriqué de toutes pièces une pseudo attaque chimique en Syrie pour discréditer Bachar el-Assad, l’avion des Malaysian Airlines a été abattu en Ukraine par un missile tiré par les Ukrainiens (des « nazis », bien entendu) et non par des séparatistes soutenus par la Russie. Ce traitement de l’information avait provoqué la démission de la journaliste Sarah Firth qui se plaignit d’avoir subi des pressions pour tordre l’information dont elle disposait pour l’aligner sur la thèse RT.
 
Vraies ou fausses, on observera que tout cela va toujours dans un même sens anti-occidental…
 
RT.com a-t-il toujours tort ? Là n’est pas la question, finalement – et ce serait d’ailleurs étonnant puisque selon les sujets abordés et les pays considérés le média adopte des points de vue à première vue antinomiques.
 
Car ce qui est certain, c’est que bon nombre des infos et des buzz produits par ce porte-parole de la Russie choisissent toujours de favoriser ce qui crée des oppositions, des indignations, des discordes. Dans le langage marxiste, on parlerait de la dialectique… Il suffit de suivre les sites en différentes langues pour constater le soutien, plus ou moins discret, à l’extrême gauche en Espagne, à la droite nationaliste comme au mouvement populiste de gauche Cinque Stelle en Italie, aux communistes grecs et en même temps, au Front national (financé à hauteur de 8 millions d’euros par un prêt russe lors des dernières élections en France), aux émeutes ouvrières en France toujours, au Cuba communiste comme au Venezuela socialiste, aux mouvements indigénistes comme aux conservateurs familiaux à travers le monde. Et les « alter-mondialistes » bien sûr. Un joyeux fourre-tout dont le dénominateur commun n’est pas la recherche du bien et de la vérité mais l’entretien d’une agitation constante, sans sacrifier pour autant les alliés historiques de ce qui fut l’Union soviétique : la couverture des informations du Venezuela n’est pas favorable à la rue qui proteste, mais au chaviste Maduro.
 

Le “Daily Mail” a analysé certains partis-pris de rt.com – il y en a d’autres

 
Autre ligne de force : les pays occidentaux sont volontiers montrés comme des Etats corrompus, faibles, appauvris, où la répression policière est endémique. Sans vouloir affirmer que tout est rose en Occident où l’on souffre en réalité d’un socialisme profondément ancré, la critique est pour le moins exagérée.
 
On ne peut reprocher à RT.com de ne pas annoncer la couleur. Lors de sa fondation en 2005, Poutine – ancien officier du KGB dont 70 % des proches sont également originaires des services du renseignement russe, observe Neil Tweedie – avait établi la feuille de route du nouvel organe de presse : en finir avec l’hégémonie « anglo-saxonne » dans le secteur de la diffusion médiatique internationale. Cela devait passer notamment par la « décomposition » : la destruction des réputations individuelles, de la cohésion et de l’influence des nations ciblées.
 
Margarita Simonyan, rédactrice-en-chef de RT, ne s’en cache pas : « Le mot “propagande” a une connotation très négative, mais en vérité, il n’y a pas une seule chaîne de télévision internationale étrangère qui fasse autre chose que la promotion des valeurs du pays depuis lequel il émet. Quand la Russie est en guerre, nous sommes, évidemment, du côté russe. »
 
Soit. Le problème surgit lorsque, dans les pays « cibles », au prétexte que la Russie afficherait des valeurs anti-globalistes (mais tout en jouant avec les grands dans les grandes institutions internationales et en créant sa propre variante de l’Union européenne, l’Union eurasiatique qui se calque assez précisément sur elle) et soutiendrait la famille et la culture de vie – malgré des taux de divorce et d’avortement faramineux, les mouvements de droite traditionnelle se découvrent une grande affinité avec le Kremlin. Au point de voir en la Russie le sauveur du monde et des nations dans un nouveau monde « multipolaire »… où la place de l’Europe occidentale et des nations européennes serait celle de l’appendice dégénéré.
 

La propagande russe soutient à la fois les droites nationales et les extrêmes gauches révolutionnaires

 
Mais cela ne cadre pas avec le soutien parallèle et simultané à des mouvements d’extrême gauche très clairement visible dans les versions hispanophones et anglophones de rt.com… Avec une large place pour la glorification des victoires de Staline et le suivi de l’actualité du parti communiste russe et de ses revendications.
 
Peut-on déjà faire un bilan de ce travail ? Dans une certaine mesure oui. On constate parmi les opposants – combien légitimes – au globalisme actuel, un gauchissement du discours, l’acceptation de faire un bout de chemin avec des idées qui sont aux antipodes de la liberté, la disposition de défendre le socialisme vénézuelien et iranien ou la puissance des BRICS face à l’« Atlantisme » qui serait source de tous nos maux. Le gauchissement du Front national, prônant l’étatisme et certaines solutions socialistes sous le regard indifférent de grand nombre de ses soutiens historiques, participe de ce mouvement. Le mouvement de fond, en France en tout cas, aura consisté à faire basculer des opinions pour soutenir un côté plutôt que l’autre jadis admiré (souvenez-vous de Reagan…).
 
Comme s’il fallait à tout prix choisir.
 
Comme si la dialectique, la discorde, l’opposition (au moins dans une certaine mesure factice comme à l’époque de la Guerre froide où le grand capital soutenait quand même le communisme soviétique) n’étaient pas des fins en soi pour faciliter de grands changements.
 

Jeanne Smits