La Russie vise l’Europe de l’Est : la leçon du Forum sur la multipolarité lors du 2e congrès du MIR

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Pour savoir de manière détaillée ce qui s’est passé lors du Forum sur la multipolarité, la presse occidentale n’est pas d’un très grand secours. La presse arabophone offre plus de ressources : c’est ainsi que le média AlSafaNews, basé au Liban, publiait le 5 mars dernier un article de Jamal Wakim sous le titre : « La Russie riposterait-elle à l’agression occidentale en Europe de l’Est et dans les Balkans ? » C’est une réflexion sur la stratégie géopolitique russe, présentée comme une riposte à l’action de l’Occident telle qu’elle a été présentée lors de ce Forum organisé à l’occasion du 2e congrès du Mouvement international russophile à Moscou début mars, que nous avons évoqué ici.

Le Pr Jamal Wakim est professeur d’histoire et de politique à l’Université Libanaise, la seule université publique du Liban ; il enseigne dans le cadre du programme de Master russe-libanais de la faculté des lettres et collabore avec plusieurs journaux.

 

Alexandre Douguine, star du Forum sur la multipolarité

La présentation de l’invasion de l’Ukraine comme la réponse à une série de manœuvres des Etats-Unis pour en faire une « plateforme d’intervention contre la Russie » que Wakim reprend à son compte n’a rien de nouveau. Mais l’évolution future du conflit passe à ses yeux par un déplacement vers l’Ouest : « Avec les avancées russes sur le territoire ukrainien, la tendance semble s’inverser, annonçant un possible déplacement stratégique de Moscou vers l’Europe de l’Est et les Balkans. Tirant parti de ses liens historiques avec la Serbie et de la présence de communautés russes disséminées dans plusieurs nations d’Europe de l’Est, la Russie pourrait manœuvrer ces atouts pour neutraliser les pays concernés dans leur bras de fer avec l’Occident, largement mené par les Etats-Unis. »

Il note qu’à l’occasion d’une réception organisée à Moscou pour les participants du Forum, « des voix se sont élevées pour proclamer “Vive le Hezbollah” », et que la délégation serbe a proclamé « une alliance contre l’Occident et le sionisme ». Non sans souligner que « la Serbie ne cédera pas à la pression occidentale et s’inspire des succès russes en Ukraine pour envisager une reconquête de ce qu’elle estime avoir perdu au cours des dernières décennies », sans indiquer si ces propos avaient été explicitement tenus par l’intervenant serbe ou s’il s’agit de sa propre analyse.

Mais c’est vers le philosophe gnostique autoproclamé Alexandre Douguine, au premier plan de ces journées qui ont reçu le soutien de Poutine et bénéficié de la présence du ministre des Affaires étrangères russe Sergueï Lavrov, que Wakim se tourne pour qualifier la situation actuelle : « Celui-ci a qualifié les événements en Palestine de véritable guerre d’extermination menée par l’Occident, inscrivant ainsi le conflit palestinien dans un schéma plus large de confrontation entre les Etats-Unis, porte-étendard de l’Occident, et les forces eurasiennes. »

 

La Russie veut « déplacer le conflit vers l’Europe de l’Est »

De tout cela, Wakim tire la conclusion que la Russie entend déplacer le conflit vers l’Europe de l’Est pour déstabiliser l’Union européenne, comme il l’explique plus longuement, passant totalement sous silence le souvenir qu’ont les pays de l’Est de la domination soviétique, et qui justifie qu’ils se soient tournés vers l’Ouest après la chute de l’URSS :

« La Russie renforce sa présence en Europe de l’Est après avoir résisté à l’attaque de l’Occident menée par les Etats-Unis en Ukraine. Elle cherche à consolider ses gains en Ukraine, notamment à Avdiivka, en étendant son contrôle sur des territoires russophones autrefois attribués à l’Ukraine par les communistes. La Russie envisage également de déplacer le conflit vers l’Europe de l’Est pour déstabiliser l’Union européenne et regagner son influence dans cette région, jugée cruciale pour la défense de son territoire. Cette démarche intervient après la menace de l’OTAN de couper la route terrestre traversant la Biélorussie, la Pologne et aboutissant à l’enclave russe de Kaliningrad, située sur la mer Baltique. De nombreuses minorités russes vivant en Estonie, en Lettonie et en Lituanie se tournent vers Moscou pour protection. »

Cette réflexion n’engage que son auteur, dira-t-on. Mais elle semble bien exprimer les idées qui ont été partagées lors du Forum sur la multipolarité, tant et si bien que l’article de Jamal Wakim a été repris in extenso sur le site Geopolitika.ru, ce site d’information et de réflexion qui donne une large place à Douguine et dont la déclaration de mission affirme :

« Le temps et l’espace sont des constructions sociologiques entièrement dépendantes de la société. En passant d’une société à une autre, nous changeons non seulement de langue, de religion, les coutumes, mais aussi notre compréhension des choses les plus fondamentales : Dieu, l’homme, le temps, l’espace. Le respect de l’identité de chaque peuple, de chaque civilisation et de chaque culture est à la base du modèle multipolaire, activement défendu par les analystes, politologues, sociologues et ethnologues réunis autour de notre portail. »

 

La propagande russe via le Forum sur la multipolarité

Geopolitika fait partie d’une nébuleuse de sites de propagande russe qui reprennent de nombreux articles de Douguine et assimilés, en faveur du mouvement eurasien notamment, qui va de Tsargrad.tv à katehon.com, sous l’empire de l’oligarque Konstantin Malofeev qui a beaucoup œuvré pour rapprocher les mouvements pro-vie et pro-famille en Occident de la Russie.

 

Jeanne Smits