Russie : de l’or pour financer sa guerre et son budget, une politique sanglante

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Meurtres, torture : les mercenaires de Poutine en Afrique sont accusés d’y régner par la terreur dans leur tâche, essentielle aujourd’hui pour maintenir la Russie à flot, de récupérer de l’or. Beaucoup d’or… L’ancien groupe Wagner, rebaptisé Africa Corps (ou Afrika Korps, le cyrillique ne permet pas de préciser) après la chute de son chef Prigojine, ont pris le contrôle des mines en République centrafricaine, où ils se sont forgé une réputation de cruauté et de violence. Ces mercenaires ont été accusés d’avoir tué afin d’étendre leur emprise sur le commerce et d’y protéger leurs intérêts.

Le Telegraph de Londres affirme ainsi qu’il y a deux mois, les Russes auraient abattu 10 prospecteurs locaux près de la mine de Ndassima, dans le centre du pays. Quinze jours plus tard, ils ont capturé dix autres prospecteurs et les ont enfermés pendant plusieurs jours dans des conteneurs métalliques exposés au soleil. Au moins un des captifs en est mort, selon les médias locaux. Ils perpétuent ainsi les modes d’action de Wagner qui avait fait main basse sur la mine en 2021, dont les gisements sont aujourd’hui évalués à un milliard de dollars dans le cadre d’une augmentation des cours sans précédent.

 

La Russie mise sur l’or depuis vingt ans

L’or est une valeur refuge, on le sait bien : confrontée à une inflation galopante, aux sanctions occidentales et au financement de sa machine de guerre en Ukraine, la Russie a tout intérêt à s’appuyer sur des valeurs « stables » comme l’or, ainsi qu’elle l’a fait depuis près de deux décennies, avec le bonus d’une cote qui a explosé depuis le printemps 2024. Au début de l’an 2000, l’once se négociait à moins de 275 euros. En février 2024, elle tournait autour de 1.850 euros au terme d’une augmentation constante, devenue depuis lors spectaculaire : ce 4 décembre 2025, l’once d’or vaut près de 3.600 euros sur le marché.

Les mercenaires de Poutine profitent – autant qu’ils la facilitent – de la présence croissante de la Russie en Afrique, assistée par un discours « anti-colonialiste » contre l’Occident calqué sur celui du temps de la décolonisation.

Au Burkina Faso, la société russe Nordgold s’est vu octroyer une licence lucrative pour exploiter le gisement de Niou dans la province de Kourweogo au début de l’année, en plus des deux sites d’extraction d’or qu’elle exploite déjà dans le pays. De l’autre côté de la frontière, au Mali, la junte militaire soutenue par le Kremlin a commencé à construire cet été une raffinerie d’or avec le groupe Yadran, un conglomérat russe. L’installation aura une capacité de 200 tonnes et devrait devenir un centre de traitement pour toute la région.

 

Financer la guerre et le budget face à l’inflation et aux sanctions

L’or, note le Telegraph, offre de gros avantages dans ce cadre : « L’or est facile à transporter et à faire passer en contrebande sans être soumis au contrôle et aux traces écrites des réseaux financiers normaux. Il est facile à fondre, facile à dissimuler et facile à blanchir sur les marchés noirs bien établis. » Rien de tel pour contourner les sanctions occidentales – et notamment celles frappant depuis quelques mois les compagnies pétrolières à la demande de Trump – quand on a besoin d’accéder à des devises étrangères.

Ainsi, groupe anti-corruption Transparency International Russia estime-t-il qu’au moins 2,5 milliards de dollars d’or ont été exportés d’Afrique vers la Russie depuis le début de l’année 2022, possiblement en transitant pour une large part par les Emirats Arabes Unis, deuxième plus grande plaque tournante mondiale pour les transactions sur l’or. Mais il n’est pas sûr que tout l’or extrait en Afrique transite vers la Russie : il peut être négocié ailleurs.

John Kennedy, expert à l’institut de recherche RAND Europe qui a étudié l’utilisation de ce métal par la Russie, commente : « L’or n’a jamais été aussi crucial pour la Russie. Depuis longtemps, elle accumule de l’or et, depuis l’invasion, elle l’utilise. » De fait, entre 2006 et 2020, la Russie a ajouté plus d’or à ses réserves que tout autre pays. Au moment de l’invasion de l’Ukraine, la réserve russe avait atteint la cinquième place au classement mondial.

 

L’or de l’Afrique dicte la politique étrangère de la Russie

L’implication de la Russie en Afrique est d’autant plus remarquable qu’elle possède ses propres gisements d’or qui produisent désormais plus de 300 tonnes par an : cela ne lui suffit pas et semble dicter au moins pour partie sa politique étrangère. Elle négocie avec ses partenaires du continent noir des accords stratégiques offrant une aide en matière de sécurité en échange de l’accès aux mines.

Selon RAND Europe, la Russie utilisait, l’an dernier de « l’or physique dans les paiements entre Etats, et que les entreprises russes étaient impliquées dans des échanges d’or contre des marchandises, d’or contre des armes et d’or contre de l’argent ». Un autre groupe de recherche, le Centre for Advanced Defence Studies, a rapporté plus tôt cette année que la Russie avait payé l’Iran en lingots d’or en échange de son aide pour la construction d’une nouvelle industrie de drones militaires. Le rapport affirme qu’au moins 104 millions de dollars (78,6 millions de livres sterling) de lingots d’or ont été livrés dans le cadre d’un contrat avec Sahara Thunder, une société basée à Téhéran. La Russie aurait également utilisé de l’or pour payer des armes à la Corée du Nord. Tant l’Iran que la Corée du Nord démentent avoir vendu des armes à la Russie.

La Russie elle-même, par la voix de Yuri Chikhanchin, le directeur de l’autorité de surveillance financière russe, a reconnu en juillet que les entreprises russes utilisaient à la fois l’or et les cryptomonnaies pour effectuer des paiements internationaux ; selon une société de renseignements financiers, certaines banques russes semblaient contourner l’interdiction d’expédier des dollars et des euros à Moscou en négociant de l’or aux Emirats arabes unis et en Turquie. La banque centrale russe elle-même a annoncé le mois dernier avoir commencé pour la première fois à vendre de l’or physique provenant de ses réserves dans le cadre des opérations du ministère des Finances visant à financer le budget de l’Etat.

Bref, on peut dire que la Russie a eu le nez creux en misant sur l’or, élément indispensable dans sa guerre contre l’Ukraine qui allait forcément déclencher des sanctions. A-t-elle prévu l’énorme appréciation qu’a connue ce métal de plus en plus précieux ? En tout cas, elle le sert…

 

Anne Dolhein