Lundi, le ministre syrien des Affaires étrangères était au Kremlin : Poutine y a confirmé à Bachar el-Assad son entier soutien et appelé toutes les nations du Moyen-Orient à unir leurs forces pour lutter contre les militants de l’État Islamique (EI). Et pas question pour lui que le président syrien démissionne. La Russie semble vouloir prendre les rênes d’une solution « pacifique » et surtout d’une nouvelle coalition, en particulier régionale. Reste à savoir quels échos lui donneront ce Moyen-Orient aux intérêts fort divergents en la matière et les États-Unis, maîtres d’œuvre des bouleversements initiaux en Syrie…
Une nouvelle coalition internationale en Syrie ?
On avait cru déceler un flottement le mois dernier, dans cette alliance russo-syrienne, lorsque le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, s’était rapproché des États-Unis sur la perspective d’une solution « uniquement » politique – sous-entendu un changement de régime. Cette nouvelle déclaration l’élimine : la Russie réaffirme le soutien dont elle a toujours fait preuve depuis le début du conflit syrien en mars 2011, s’opposant à chaque projet de sanctions par son veto au Conseil de sécurité des Nations unies. Elle a y a d’autant plus d’intérêt que l’État Islamique a enrôlé près de 2.000 ressortissants russes de son Caucase et qu’elle craint par-dessus tout la ceinture verte islamique.
« Nous sommes convaincus qu’au final, le peuple syrien sera victorieux. Et notre politique, qui vise à soutenir la Syrie, les dirigeants syriens et le peuple syrien, reste inchangée » : « la Russie continuera à aider la Syrie politiquement, économiquement et militairement » a déclaré Poutine.
Nouveauté : il a exhorté tout le Moyen-Orient à aider la Syrie contre ces factions islamistes qui sont parvenues jusqu’à Damas. Quelles que soient leurs relations avec la Syrie, il faut que toutes les nations de la région « unissent leurs efforts ensemble »… Une nouvelle coalition internationale, en somme, pour combattre le terrorisme… Est-ce à dire que l’existante ne remplissait pas ces fonctions ?!
D’ailleurs, le dirigeant syrien a été largement dubitatif. « Je sais que Poutine est un homme qui fait des miracles, mais une alliance avec l’Arabie saoudite, la Turquie, le Qatar ou les États-Unis nécessite un grand miracle (…). Comment ces pays qui ont encouragé et financé le terrorisme peuvent-ils devenir des alliés contre le terrorisme ? »
Réunion concomitante de la Ligue Arabe, en réponse aux attentats de l’État Islamique (EI)
Coïncidence, la Ligue Arabe s’est réunie ce même lundi, motivée par les derniers attentats meurtriers au Koweït (27 morts) et en Tunisie (39 morts), afin d’étudier entre autres la possibilité du renforcement de la coopération des gouvernements arabes pour lutter plus efficacement contre les groupes terroristes extrémistes. Des groupes que certains, parmi ses membres, instrumentalisent, financent et aident à circuler via leurs frontières, détournant pudiquement le regard… Est-il dans leur intérêt de faire évoluer cette politique passive ? Jusqu’où « soutenir » – ce n’est jamais dit – cet EI persévérant ?
La Turquie, elle, voit d’un très mauvais œil le succès des milices kurdes, soutenues par la coalition occidentale, contre les djihadistes de l’EI, sur sa frontière sud avec la Syrie. Le président Recep Tayyip Erdogan y a consacré, hier, (aussi!) une importante réunion de sécurité, pour répéter que son pays « ne permettra jamais l’établissement d’un nouvel État » dans le nord de la Syrie, une région autonome kurde de Syrie qui pourrait donner des idées aux quelque 15 millions de Kurdes turcs que le régime a eu du mal à faire tenir sous sa coupe tout le siècle passé… Si l’EI ne peut les contrôler, elle-même est prête à le faire.
La Syrie se dit toute disposée à coopérer avec les bonnes volontés du Conseil de sécurité qui voudraient parvenir à un règlement politique sous une direction syrienne – sans ingérence étrangère. Néanmoins, elle sait l’état d’esprit de ses voisins et surtout l’intention de la Coalition occidentale. Le délégué permanent de la Syrie auprès de l’ONU a fait savoir que le gouvernement syrien avait présenté au Conseil de sécurité des documents et des informations confirmant l’implication de la Turquie, du Qatar et de l’Arabie Saoudite dans le trafic d’armes et la facilitation de l’entrée des terroristes en Syrie : il n’y a pas eu de réaction…
La Russie, soutien de la Syrie, succéderait aux États-Unis dans le processus de résolution syrien ?
La ligne de Washington n’a pas changé, pour le moment. Selon un représentant russe, les États-Unis auraient réalisé « qu’il n’y avait actuellement aucune alternative au président syrien Bachar al-Assad ». Ils continuent pourtant de débloquer des millions de dollars pour former des militaires dans l’opposition syrienne, prêts à se battre contre les djihadistes de l’EI, mais aussi contre le gouvernement. (Malgré qu’ils aient du mal à trouver – c’est le porte-parole du département américain de la Défense, le colonel Steve Warren, qui le dit – un nombre suffisant de volontaires libérés de l’influence exercée par les islamistes… !)
Les États-Unis s’étaient engagés, début juin à Paris, lors de la réunion des 22 États membres de la Coalition internationale contre l’EI, à libérer l’axe de communication entre Damas et l’Iran. Il n’en est encore rien.
Maintenant, l’engagement réaffirmé de la Russie va-t-il signifier un changement de cap dans la guerre civile syrienne ? Les victorieux devront-ils être toujours, selon la France et les États-Unis, les « opposants modérés », c’est-à-dire ceux désignés comme tels par la caution morale (et surtout politique) de la Coalition ? Sur le terrain, l’armée syrienne se bat, reprend des quartiers, mais les attaques suicides se multiplient, la bataille d’Alep sera décisive. Forte de ses récents accords nucléaires et commerciaux au Moyen-Orient, il se peut que la Russie fasse légèrement tourner le sens du vent.