Le scandale du sang contaminé rebondit de l’autre côté de la Manche. En Grande-Bretagne, des patients se sont vu transfuser du sang mortellement empoisonné pendant au moins cinq années après que les autorités de santé eurent pris conscience du danger, révèlent des documents publiés par The Mail de Londres. Des compte-rendus de réunions tenues en 1980 et 1981, dévoilés ces jours-ci, montrent que les dirigeants ont sciemment mis en danger les patients alors que le scandale est à l’origine de la mort de quelque deux mille personnes. Ces scientifiques étaient tellement sûrs que le sang transfusé était dangereux qu’ils avaient prévu d’utiliser les victimes comme cobayes dans le cadre de l’élaboration d’un test pour l’hépatite, révèle le document qui devrait servir d’élément de preuve pour un vaste action au civil devant la Haute Cour de Londres mardi 4 juillet, menée par quelque trois cents familles qui poursuivent l’Etat britannique.
En 1980, on savait déjà que 50 patients étaient contaminés chaque année mais on a continué
Les minutes de la réunion en question démontrent qu’au moins 50 patients par an, à cette époque, étaient infectés par l’hépatite et que pour autant la fourniture de sang potentiellement contaminé n’a été interrompue qu’en 1986. Le scandale du sang contaminé, qui en France a déstabilisé le gouvernement à la même période – années 1970, 1980 –, concernait principalement les produits dérivés administrés aux patients hémophiles, principalement le facteur VIII qui était extrait du sang des donateurs. Outre-Manche le NHS, le système public de la santé, manquait à cette époque de facteur VIII et en importait des Etats-Unis, où le sang était souvent obtenu contre rétribution auprès de groupes à risques : drogués, prostituées et prisonniers. Au Royaume-Uni, on chiffre le nombre de personnes contaminées de ce fait par l’hépatite à 7.500, nombre d’entre elles ayant aussi été infectées par le VIH. Plus de deux mille en sont décédées et les autres ont survécu difficilement avec de lourds problèmes de santé.
Hépatite et sida : le cri d’alarme du Dr Howard Thomas fin 1980 à Glasgow
Le scandale avait éclaté une première fois au milieu des années 1980, quand on s’inquiéta des conséquences de l’épidémie de sida aux Etats-Unis et de ses conséquences sur les transfusions sanguines. Mais les documents, qui ont été révélés par le fils d’une de ces victimes, démontrent que les scientifiques étaient conscients du problème bien en amont. Au congrès international d’hématologie tenu à Glasgow en septembre 1980, des experts annonçaient déjà que des problèmes allaient surgir au cours de la décennie. Le Dr Howard Thomas, hépatologue, avait déclaré qu’en « estimant la proportion de patients infectés ou présentant des analyses fonctionnelles hépatiques anormales à environ 60 à 80 %, le problème (serait) considérable ».
Le Dr John Craske, spécialiste renommé en virologie, s’inquiétait particulièrement de cette « hépatite non-A non-B », qui sera désignée et décrite par la suite sous le nom d’hépatite C : « Il existe un risque élevé de voir l’utilisation de concentrations de facteur VIII ou IX transmettre aux patients une hépatite non-A non-B, et une probabilité de 20 à 30 % de les voir développer une hépatite chronique ».
Le scandale du sang contaminé en Grande-Bretagne démarre dès 1981, avec la transfusion d’hémophiles considérés comme des cobayes
Neuf mois plus tard, en juin 1981, le comité gouvernemental britannique de recherche sur la transfusion se réunissait à Londres, présidé par le Dr Diana Walford, une dirigeante du département de la santé et des services sociaux (DHSS). Là encore, les scientifiques avaient sonné l’alarme. Les dirigeants se virent exposer des cas d’hépatite décelés chez des patients traités avec des coagulants. « Entre 40 et 50 cas ont été identifiés chaque année, sur un total de 2.000 patients traités avec le facteur VIII ou IX concentré ou cryoprécipité », rapporte le compte-rendu de la réunion. Et ces dirigeants étaient tellement convaincus que l’administration de ces produits transmettrait l’hépatite C, qu’ils proposèrent d’en profiter pour utiliser les patients concernés afin de mettre au point son test de dépistage. Le compte-rendu est explicite : « Le DHSS s’intéressait au lancement d’une étude prospective sur les patients soumis à des traitements impliquant des concentrés (sanguins) afin de fournir une collection documentée de sérums et autres spécimens aux fins de développement d’une sérologie de l’hépatite non-A non-B ».
Le Dr Walford, 73 ans cette année, qui par la suite obtint le poste de directeur adjoint de la santé du gouvernement, sollicitée par le Mail à son domicile de 1,8 million d’euros à Londres, a refusé de discuter du compte-rendu : « Je ne me laisserai pas entraîner à parler de cela ». Déjà par deux fois, en 2010 et 2011, elle avait refusé de fournir des preuves aux enquêteurs de Scotland Yard, estimant que « l’éloignement dans le temps ne lui permettait plus de collaborer à l’enquête ». Les victimes, elles, n’ont rien oublié.