Sarkozy, Juppé, Marine Le Pen : trois présidents candidats, un système

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Deux anciens présidents de l’UMP, dont l’un a repris les commandes, Sarkozy et Juppé, et la présidente du FN, Marine Le Pen, se livrent à un ballet politique complexe dont l’enjeu est l’Elysée. Les trois candidats se placent différemment par rapport au système et sont considérés différemment par celui-ci.
 
Réinformation.tv n’a pas beaucoup parlé jusqu’à présent des élections partisanes de ce week-end parce qu’elles n’étaient pas en elles-mêmes d’un intérêt palpitant. Chacun savait quels noms sortiraient des urnes, Sarkozy et Le Pen, et c’est en partie pour cela que ni Juppé ni Fillon n’avaient tenté leur chance à l’UMP. Après cela, les grandes manœuvres ont commencé. Nicolas Sarkozy a proposé de constituer une sorte de conseil de surveillance de l’UMP formé des vieux sages, ou des vieux singes, du parti, en l’espèce des anciens premiers ministres. La manœuvre n’était pas compliquée, il s’agissait de noyer les deux principaux adversaires déclarés de l’ancien président de la république à la primaire de 2016, Fillon et Juppé, dans la masse des Villepin, Balladur et Raffarin. Celui-ci, fidèle à son personnage, n’a répondu ni oui ni non, tandis que Fillon et Juppé se tiraient prestement des flûtes.
 

Les malheurs de l’UMP font le bonheur de Marine Le Pen

 
Le dernier en ironisant sur le « comité naphtaline » sans compétence précise où on lui proposait une place. Le mot n’est pas si mauvais, mais on doit rappeler à Alain Juppé que c’est lui-même qui a réclamé la constitution d’un tel comité naphtaline lorsque après le putsch contre Jean-François Coppé, il a fallu assurer l’intérim : il a fait alors don de sa personne à l’UMP pour épauler Luc Châtel avec ses compères Fillon et Raffarin. Il n’est pas sûr que la raillerie ait plu à Dominique de Villepin, qui voyait dans cette réunion de premiers ministres une occasion inespérée de sortir de l’ombre. Et l’homme est vindicatif. Il n’est pas sûr non plus que le refus de prendre des responsabilités manifesté par Fillon et Juppé soit considéré avec faveur par les militants, d’autant qu’à la différence d’un Bruno Lemaire ou d’un Mariton ils se réservent pour la primaire sans avoir accepté de mettre les mains dans le cambouis de l’élection à la présidence de l’UMP.
 
Ce qui est sûr maintenant, c’est que Nicolas Sarkozy fera flèche de tout bois pour diviser et réduire ses adversaires, en s’appuyant sur le parti, et notamment sur son principal adversaire Bruno Lemaire, qui doit être impatient, dans la perspective de 2022, de liquider les poids lourds qui peuvent lui faire de l’ombre. Sans se mouiller dans un « ticket » avec Sarkozy, il lui suffit pour l’instant, fort de ses trente pour cent, de laisser se développer la situation et de compter les points. Quant à Marine Le Pen, après son élection de maréchal, et celle de sa nièce Marion Maréchal, elle se frotte les mains en considérant les nombreuses divisions de ses adversaires, à « droite » comme à « gauche ». Tout lui profitera, pourvu qu’elle ne commette pas de bêtise et qu’un scandale n’affecte pas son parti. Il est clair cependant qu’elle préfèrerait avoir en face d’elle au deuxième tour François Hollande, parce qu’elle pourrait éventuellement le battre et devenir ainsi la première présidente après tant de présidents. Mais c’est sans doute un rêve inaccessible, non qu’elle ne puisse pas le battre, mais on ne voit pas aujourd’hui comment il pourrait accéder au deuxième tour.
 

Alain Juppé, le meilleur des candidats

 
Le deuxième meilleur choix serait pour elle Alain Juppé. Pour deux raisons : car il incarne sans ambiguïté la collusion UMPS qu’elle ne cesse de dénoncer. C’est le candidat-type du système européo-mondialiste. Un deuxième tour Juppé – Le Pen serait donc la confirmation éclatante des analyses du FN. En outre, l’effacement de Sarkozy et de tout autre candidat de droite pour le second tour ferait de Marine Le Pen, même battue nettement au second tour, le chef incontesté de l’opposition, tant au système qu’à sa version de gauche. Une position politique éminente, qui permettrait à celle qui l’occuperait de rafler la mise en cas de crise. Affronter Nicolas Sarkozy au deuxième tour lui serait moins profitable, car la situation ne serait pas si nettement clarifiée, à cause des incursions démagogiques de l’ancien chef de l’Etat sur le terrain du populisme, ce que l’on a appelé la « ligne Buisson ».
 
Quoi qu’il en soit, le premier souci de Marine Le Pen sera de maintenir l’unité du parti entre la tendance Maréchal (traditionnelle) et la tendance Philippot (gaulliste républicaine), tout en donnant une ligne politique à peu près lisible aux électeurs. Tout cela prépare des affrontements sourds ou éclatants dans tous les partis. Pour reprendre l’expression de Sarkozy, ils vont tous « jouer collectif », tout le monde contre tout le monde.
 
Dans cette situation, chacun aura noté l’attitude des médias, Figaro compris. Juppé a la cote. On parle de Juppémania. Les sondages en font l’homme le plus populaire de France en remplacement de Yannick Noah, comme en leur temps Jacques Delors, Simone Veil, Michel Rocard, Edouard Balladur, Raymond Barre. Le vieux périodique de la gauche branchée, Les Inrockuptibles, s’indigne quand les adhérents de l’UMP sifflent le maire de Bordeaux, et a fait paraître une interview fleuve de lui, notant avec bienveillance qu’il attire « à droite et au centre la sympathie d’un électorat qui ne veut pas le retour de Nicolas Sarkozy » tandis qu’une partie de la gauche « voit en lui un recours contre le duel annoncé Le Pen/Sarkozy. » Non content de réitérer dans cette interview son opposition à l’abrogation de la Loi Taubira sur le « mariage » gay, Juppé s’y est prononcé pour l’adoption des enfants par les paires homosexuelles. En somme il est allé se faire adouber par la gauche grâce un corpus de « convictions » acceptables par elle, conforme aux normes idéologiques fixées par les institutions internationales et les conférences de consensus de l’ONU.
 

Sarkozy, vraie sanction, faux paria du système

 
Peu importe alors qu’en matière économique, il se déclare un peu plus libéral, ou que, dans le style de gouvernement, il prétende rétablir un peu d’autorité : en matière « sociétale », il est estampillé autorisé, et comme d’un autre côté, il s’est toujours opposé au Front national notamment sur l’immigration, le système voit en lui, en l’absence d’un impétrant à gauche, le meilleur de ses candidats. La réaction unanime des médias et des sondages ne trompe pas, les louanges à peines déguisées que lui tressent les « politologues » officiels non plus. Tous rappellent sa pondération et sa grande expérience des affaires, sa réussite à Bordeaux, sans rappeler que son passage à Matignon en a fait le premier ministre le plus catastrophique de la cinquième république : aucune réforme sérieuse, la France bloquée par des semaines de grève générale, le tout terminé par une dissolution qui devait amener Jospin au pouvoir dans un panier. Plus nul tu meurs, mais ça n’a pas d’importance : l’important est qu’il est parfaitement conforme à l’idéologie dominante.
 
A la Juppémania s’oppose le Sarkobashing, puisqu’il est entendu que le débat politique se tient en anglais. Sarkozy est donc devenu la tête de turc des médias. Tout ce qu’il fait est mal, il est agité, sa proposition de comité des premiers ministres est un échec, il a été mal élu avec deux tiers des voix au premier tour, etc. Il y a deux raisons à cela. La première tient à la distribution théâtrale des rôles dans la comédie politique. Peu importe que Sarkozy ait, comme Giscard en son temps, gouverné au centre avec des ministres d’ouverture en trahissant les promesses faites pour siphonner l’électorat national : il est considéré comme un candidat à moitié extrémiste, cela se manifeste notamment par son agitation (et la « vulgarité » que lui reproche le socialiste Bruno Le Roux). Il a une composante antisystème. C’est du flan, mais cela fait partie du personnage construit notamment avec le « Kärcher » et la ligne Buisson.
 

Trois présidents pour l’Elysée

 
La seconde raison est plus grave. Le consensus moral, intellectuel et politique qui impose dans le monde et en particulier en Europe les réformes sociétales exige que celles-ci soient tenues pour irréversibles. On l’a vu en Espagne, ou une loi de restriction de l’avortement, promise par Mariano Rajoy, jouissant d’un fort soutien populaire et d’une majorité à l’assemblée, a due être abandonnée, provoquant la démission du ministre de la justice qui l’avait préparée : la maçonnerie, tous ses réseaux et alliés, ont donné à plein et l’ont emporté. Et c’est pour cela qu’en acceptant devant Sens commun « d’abroger » la loi Taubira, Sarkozy a commis, d’un certain point de vue, un impair insigne. Non que sa déclaration ait eu la moindre portée politique, puisqu’il était prêt à en récrire une autre loi reprenant une grande part des dispositions de l’ancienne. Non même que personne ait vraiment cru qu’il mettrait sa promesse à exécution, car chacun connaît la versatilité de ce démagogue. Mais, même sans y croire, même sans que cela pût avoir le moindre effet, il avait proclamé le principe de la réversibilité d’une loi sociétale. Briser ainsi devant la télévision le tabou méritait une sévère sanction. Le voici rétrogradé par le système derrière Juppé dans la liste des candidats.
 
Bien sûr, si le maire de Bordeaux échoue, il fera office de deuxième choix très valable. Parce qu’il se tiendra à carreau cette fois, et parce qu’il jouira aux yeux de certains Français toujours naïfs d’une image de brimé du système.
 
Maintenant, si la voie Juppé et la voie Sarkozy sont bouchées, il restera toujours la voie Le Pen. Celle qui trompera le mieux le peuple. Marine Le Pen a déjà annoncé qu’elle ne reviendrait pas sur la loi Veil. Elle accepte donc la loi Veil. Et même Marion Maréchal s’est abstenue sur l’hommage que lui a rendu l’assemblée nationale. En revanche, elle compte revenir sur la loi Taubira. Très bien. Mais pour proposer quoi d’autre ? Quoi de mieux qu’un Sarkozy ou qu’un Juppé ? La question n’est pas clairement tranchée. Personne à « droite » ne veut de la GPA et de la PMA, qui, même à gauche, provoquent des oppositions grandissantes. Mais quid les unions homosexuelles elles-mêmes ? La pratique des maires FN, les conseils de Florian Philippot ne laissent prévoir rien de bon, rien de clair en tout cas. Aujourd’hui, le système paraît avoir trois candidats pour la prochaine présidentielle, trois présidents potentiels. Plus François Hollande, mais lui, ses chances sont aujourd’hui trop faibles pour qu’il soit utile d’en faire l’analyse.