Entre deux procès, Nicolas Sarkozy est allé se baigner aux Seychelles avec son bracelet électronique et sa chérie Carla. C’est plus qu’une image, un destin. L’ancien président de la République, qui a commencé dans la politique maire de Neuilly, en éliminant les amis corses qui l’avaient fait, Peretti et Pasqua, avant d’assassiner plus tard son papa de Corrèze Jacques Chirac, est un personnage des Bronzés, des Inconnus, mais aussi de Maurice Druon. On le verrait jouer dans l’indépassable série des Rois maudits. Contrairement à son ennemi François Hollande, qui postulait qu’un président peut être normal sous prétexte qu’il s’était hissé à l’Elysée par la seule régulation des courants internes du parti socialiste, Sarkozy n’a jamais oublié que la conquête du pouvoir, et son exercice, ont quelque chose de tragique, parfois de sanglant : on se souvient qu’à l’époque de l’affaire Clearstream, il promettait de « pendre à un croc de boucher » son concurrent et néanmoins collègue Dominique de Villepin. Il en paie aujourd’hui le prix.
Sarkozy le maudit et les premières communiantes
Nicolas Sarkozy est-il coupable des innombrables crimes et délits dont on l’accuse ? La justice estime que oui dans l’affaire des écoutes, et dans celle du financement de sa campagne électorale par la Libye de Kadhafi, qui fait aujourd’hui l’actualité, la règle est de le présumer innocent, même si l’enquête de Fabrice Arfi pour Médiapart présente des éléments bien gênants pour lui. Quant aux autres procédures en cours, la place manque pour en parler, je n’ai d’ailleurs pas de compétence particulière pour le faire, et la culpabilité pénale de l’accusé me paraît ici un détail. Au demeurant, la politique en général et celle de la cinquième République en particulier ne sont pas des jeux de premières communiantes, et l’homme, qui ne manque pas d’une certaine franchise, a toujours montré plus d’attrait pour les résultats que pour les méthodes douces.
Repris de justice et bronzés du cœur
L’observateur distingue, dans le gouvernement actuel et dans ceux qui se sont succédé ces cinquante dernières années, d’authentiques repris de justice, des personnalités empêtrées dans des procès, des acquittés au bénéfice du doute, des multi-soupçonnés avec insistance, etc. Et cela de tous les bords. Du plus caricatural, Jérôme Cahuzac, au plus mystérieux, le commanditaire de la mort de Robert Boulin, à la banlieue rouge de naguère, bourreuse d’urnes, habituée des assassinats politiques, le parti d’Urba-Graco, du sang contaminé et des Irlandais de Vincennes, n’ont nulle leçon à donner, pas plus que celui de la Garantie foncière ou de Bygmalion. Dans cette universelle culpabilité dont la folle hypocrisie de Michel Rocard et sa prétendue loi de « moralisation de la vie politique » ont prétendu nier le caractère inéluctable, se cache une vérité sur laquelle les modernes veulent s’aveugler : il n’y a pas de pouvoir innocent, et il faut que le cœur se brise ou se bronze en l’exerçant. Si César éprouve le besoin de se laver les mains, c’est qu’elles sont sales.
Le procès des rois maudits de la République
C’est là que Nicolas Sarkozy, avec son côté Abdallah de Bourgogne, fait penser aux Rois maudits. Maurice Druon nous y rappelait que la dévolution du pouvoir, en se faisant suivant le rang de primogéniture par les mâles, entraînait nécessairement de terribles intrigues familiales autour de la conception, de la naissance, puis de la vie des enfants, avec l’emprise, les chantages, les meurtres, le poignard, le poison que cela suppose. Aujourd’hui, heureusement, la démocratie a chassé ces mœurs médiévales. La dévolution des pouvoirs se fait par les élections, selon le cérémonial de nos institutions. Et voilà pourquoi il y a des dissolutions, un Conseil constitutionnel, des luttes fratricides dans les partis, et des combats sans merci pour financer les élections, soit qu’on monte de fragiles usines à gaz pour le faire, soit qu’on choisisse les valises de liquide venues d’ici ou de là… Cela me paraît banal : ce que le parquet financier, ou tel autre, met en chantier périodiquement, c’est le procès des rois maudits de la République.
Un personnage des Bronzés dans une galerie peu reluisante
J’ignore, quand cela tombe sur Sarkozy, si c’est très moral : est-il vraiment plus coupable que d’autres ? Mais je sais que cela contribue à abaisser encore un peu plus la fonction présidentielle, donc la souveraineté de la France. Vous me direz qu’il y a contribué lui-même, avec son « casse-toi pauvre c… » et en prenant le pseudo de Paul Bismuth pour régler ses petites affaires. Cela dit, il y a eu pire depuis, Macron aujourd’hui, et Hollande, ses croissants, son scooter, son casque. Et avant, Chirac et Mitterrand. Et la quatrième, Auriol, Coty. Et la troisième, Loubet, Millerand, Lebrun. Et la deuxième, avec son prince-président escroc ! A vrai dire, sous la République en France, la fonction de président n’a été exercée avec quelque apparence de dignité que par deux militaires, Mac-Mahon, protégé par sa candeur obtuse, et De Gaulle, à qui une certaine hauteur tenait lieu de grandeur.
Seul un procès politique est concevable pour Sarkozy
Mais plus grave que le manque de tenue, plus grave que les petits moyens utilisés pour remplir ses caisses, me semble le crime politique de ces gens-là. Car aucun d’eux, au fond, n’ignore le tragique du pouvoir ni la responsabilité qu’il porte, même sans l’avoir voulu. Même le compagnon paranormal de Julie Gayet, entre deux confessions mirobolantes à des journalistes, a ordonné des « opérations homo », autrement dit l’élimination par les services spéciaux d’ennemis de la France. C’est donc là-dessus qu’il faut les juger. Servent-ils la France ? Telle est la seule question politique. Les prévarications de Mazarin intéressent son confesseur, sa politique a été utile. Ce que l’on reproche aujourd’hui à Macron, c’est de trahir la nation dont il a la charge. Quant à Sarkozy, j’ignore s’il a reçu cinquante millions de Kadhafi pour sa campagne, ou vingt, ou dix, ou zéro, mais je déplore qu’il ait cru devoir éliminer militairement son bienfaiteur, ouvrant ainsi la voie au désordre en Libye et à l’invasion de l’Europe par la Méditerranée centrale. Le seul lieu où l’on doive juger un président est la Haute-Cour : allez faire admettre cela dans un débat politique digne d’une basse-cour !