Le 15 avril 2019, la cathédrale Notre Dame de Paris subissait un incendie ravageur. Aux alentours de l’île de la Cité, la foule se presse… Dans le quartier latin, habituellement si bruyant, la foule déambule dans un silence impressionnant. Personne n’ose parler à haute voix. Parfois, des groupes se constituent pour prier pour que le monument puisse être sauvé, pour les pompiers…
L’émotion est grande… L’attachement à un monument familier ? Le regret de la destruction d’un joyau de l’architecture européenne ? Comme cela a été souvent souligné, ce sanctuaire a été un haut-lieu de l’histoire de France, depuis sa construction jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale. Le sinistre attaquait donc nos racines historiques françaises. Y-aurait-il d’autres raisons à ces réactions fort vives ?
Retour aux sources
Pour répondre, il convient de nous souvenir de l’intention de ceux qui ont édifié cet impressionnant vaisseau placé au cœur de la capitale. À l’origine se trouvait un très ancien « groupe épiscopal », à savoir deux églises : l’une était dédiée à la Vierge (qui existait dès le début du VIIe siècle et qui se trouvait sous le chœur de la cathédrale actuelle), l’autre, antérieure, patronnée par saint Étienne. Le poète Abbon (850-923) affirme que, si la ville a été sauvée du siège des Normands (885-886), c’est qu’elle s’illustrait « de l’honneur d’être consacrée à la Vierge ». À cette époque, au titre de cette protection spéciale, la primauté est donc passée de Saint-Étienne à l’église Notre-Dame. Vers 1101, les chanoines disent se réunir « au chapitre de Sainte Marie ».
Un projet manifestement marial
Dès son élection, Maurice de Sully (+ 1196) propose la reconstruction d’une église-cathédrale dédiée à la Vierge Marie. Son dessein apparaît nettement marial : un portail est dédié au triomphe de la Reine du Ciel dans l’Assomption. Dès le XIIe siècle, un autel dédié à Marie est adossé au pilier sud-est de la cathédrale.
Sous la balustrade s’étend la galerie des rois. Les statues d’origine, datant du premier tiers du XIIIe siècle, ont été détruites par les révolutionnaires qui y voyaient une succession de monarques français ! Elles ont été remplacées par Viollet-le-Duc et retrouvées en 1977 (exposées au Musée de Cluny). En fait, elle aligne vingt-huit statues représentant vingt-huit générations de rois de Juda, descendants de Jessé et ancêtres humains de Marie et donc du Christ. Cet ensemble souligne que Marie, vraie femme, née de la race humaine, engendre Jésus, vrai homme et vrai Dieu. Avant la Révolution, cet arbre de Jessé horizontal aboutissait déjà à la Vierge entourée de deux anges : elle était déjà comme auréolée par la rosace centrale. Au XIXe siècle, Viollet-le-Duc a fait replacer trois statues similaires, entourées désormais d’Adam et Eve. La Reine du Ciel préside dorénavant à l’histoire du genre humain, représenté par nos premiers parents.
Enfin, la fameuse sculpture du trumeau de ce portail (XIVe siècle) provient de la chapelle Saint-Aignan (sur l’île de la Cité) et est transférée à Notre-Dame, en remplacement de la Vierge du XIIIe siècle, détruite en 1793. Puis, en 1855, Viollet-le-Duc décide de la déplacer pour l’adosser au pilier sud-est du transept de la cathédrale. Elle est invoquée sous le titre de Notre-Dame de Paris. À ses pieds, Claudel s’est converti (1886).
Sous le sceptre de Marie
Cette volonté de se mettre sous la régence de la Mère de Dieu n’est pas nouvelle dans notre pays : saint Grégoire de Tours (VIe s.) évoque une fête liturgique en l’honneur de la Sainte Vierge célébrée en Gaule. Les archéologues estiment que cette fête, qui serait l’Assomption, a probablement existé en France avant même d’être célébrée à Rome !
Puis, vint le fameux épisode de Louis XIII. En 1636 le souverain consacre sa personne et son Royaume à Marie « dans le secret de son cœur », et, avec la reine Anne d’Autriche, il multiplie prières et pèlerinages pour obtenir un héritier. Dès que la reine est certaine d’être mère, Louis XIII publie, le 10 février 1638, l’édit officiel qui consacre solennellement la France à Marie, et qui deviendra une loi fondamentale enregistrée par le Parlement. Par ce vœu, Louis XIII consacre « sa personne, son État, sa couronne et ses sujets » à la Sainte Vierge Marie, qu’il prend pour « protectrice spéciale de (son) royaume », confirmant ainsi l’antique adage venu des Francs : « Regnum Galliae, regnum Mariae » : Royaume de France, royaume de Marie. Il « prescrit » les processions du 15 août. Chaque église du royaume se doit, dans la mesure où l’église elle-même n’est pas sous le patronage de la Vierge, de consacrer sa chapelle principale à la Reine des Cieux. Louis XIII promet enfin d’élever un nouveau maître-autel dans la cathédrale Notre-Dame de Paris. En 1922, le Pape Pie XI déclare Notre-Dame de l’Assomption patronne principale de la France.
Une invention du Roi ?
Ces actes de confiance envers la Mère du Christ sont fondés historiquement : en effet, elle a présidé aux destinées humaines avec une constance étonnante. Les grandes apparitions (Lourdes, Rue du Bac, Notre Dame des Victoires) sont connues. Mais Notre Dame est intervenue bien souvent de façon très discrète, et avec une fécondité indiscutable, en répondant aux nécessités les plus variées de ses enfants : la protection de la foi face aux persécutions (en particulier jusqu’au début du IVe siècle) ou aux hérésies (notamment du IVe au VIIIe siècle), la protection des nations à leur naissance ou dans leur maintien, le sort des prisonniers, le réconfort des pécheurs, la défense face aux révolutions (surtout depuis le XVIIIe siècle). Ces hauts faits sont souvent restés dans l’ombre. Cette magnifique histoire a été retracée par la revue Savoir et Servir n° 80 (124 p.).
Cette belle fresque nous permettra de mieux comprendre pourquoi, au cœur du Français, du catholique, demeurent des braises de reconnaissance envers celle qui a été leur Mère depuis des siècles. Qu’à notre légitime émotion d’il y a un an, s’associe notre reconnaissance fidèle.
Savoir et Servir n° 80, L’épopée mariale, La Sainte Vierge Reine de l’histoire
(Mouvement de la Jeunesse Catholique de France), 124 pages, 6 euros