Les paroles de feu de Mgr Strickland sur la messe et sur son devoir d’évêque au “Rome Life Forum”

Strickland messe devoir évêque
 

Au Rome Life Forum organisé cette semaine dans la Ville éternelle par LifeSiteNews et plusieurs autres associations et media attachés à la messe traditionnelle et à la défense de la morale traditionnelle, Mgr Joseph Strickland à tenu des propos enflammés sur la crise que traverse l’Eglise et sur son devoir d’évêque dans la confusion actuelle. L’évêque de Tyler, Texas, est menacé de déposition, lui l’évêque fidèle dont ni les églises, ni les séminaires ne sont vides mais se remplissent au contraire ; lui qui rappelle, à temps et à contre-temps, les vérités qui déplaisent au monde, ce que Rome semble lui reprocher…

Mgr Strickland a célébré pour la première fois la messe traditionnelle en 2020. L’expérience l’a bouleversé : il l’a raconté dans une allocution prononcée sans notes, « venue du cœur » ainsi qu’il l’a dit. Au cours de cette même conférence, il a confié son étonnement de se trouver si seul, et a proclamé son incapacité à se ranger parmi ceux qui se taisent face aux assauts contre la foi, y compris au sein de l’Eglise… « Je ne puis Le renier ! », a-t-il lancé, parlant du Christ, et surtout du Christ eucharistique.

Vous trouverez ci-dessous ma traduction intégrale de ses propos, dont j’ai conservé largement le caractère informel.

 

Un évêque parle de son devoir et de la messe traditionnelle

Il faut y ajouter une importante précision : Mgr Strickland y cite longuement une lettre qu’il a reçue d’un ami ; celui-ci parle de l’« usurpateur de la chaire de Pierre » et utilise quelques autres expressions du même acabit au sujet du pape. Interrogé à plusieurs reprises à leur sujet, aussi bien en privé que lors d’une session de questions du public, Mgr Strickland a précisé qu’il n’adoptait nullement une position sédévacantiste et qu’il avait compris que son interlocuteur parlait d’« abus de pouvoir » de la part du pape François. Mgr Strickland a précisé qu’il adhérait en tous points à ce que dit Mgr Athanasius Schneider au sujet du pape François : il proclame l’aimer et prier pour lui.

Pour mieux comprendre depuis quelle perspective s’exprime Mgr Schneider, il faut encore savoir ceci : tous les jours, il passe une heure et demi en adoration devant le Saint-Sacrement exposé. Accroché à l’essentiel. – J.S.

 

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La conférence de Mgr Joseph Strickland au Rome Life Forum

 

Je ne suis qu’un fils de l’est du Texas. Le voyage a été plutôt intéressant pour moi. Quelques pépins ici et là. Et de temps en temps, je me demande ce que je fais. Et je connais la réponse, en fait.

Je parle au nom de notre Seigneur et Sauveur, Jésus-Christ, et au nom de l’Eglise qu’Il a fondée et que j’aime tant. Et je sais que c’est la raison pour laquelle nous sommes tous ici. Les portes de l’enfer ne prévaudront pas. Nous devons nous fortifier les uns les autres en nous appuyant sur ce que nous savons, mais nous devons aussi être vigoureux et forts dans cette vérité.

Avant de me lancer dans les grandes lignes, j’ai reçu une lettre d’un ami très cher, un croyant très profond, qui aime notre Seigneur Jésus-Christ, un vrai disciple, un amoureux de l’Eglise, un amoureux de la fonction pétrinienne et de tous les aspects de notre foi catholique selon l’ordre que le Christ a imprimé à l’Eglise catholique. Cet ami très cher m’a envoyé un message profondément exigeant et je le partage parce qu’il ne s’adresse pas seulement à moi, mais à chacun d’entre nous.

Il dit des choses fortes, mais je tiens à vous assurer que cet ami a un profond amour pour le Christ, pour son Eglise, pour le pape François. Vous n’entendrez peut-être pas cela au travers de ces paroles provocantes, mais elles sont prononcées par amour. Et je pense qu’en écoutant Mgr Schneider, tout récemment – ce merveilleux évêque est un héros – il a dit qu’en tant qu’évêques, nous devons considérer le pape François comme un frère aîné. Il a besoin de nos prières. Et pour nous tous, en tant que membres du troupeau de l’Eglise – et comme le dit si joliment saint Augustin, les évêques font partie du troupeau, mais ils sont aussi appelés à être les chefs du troupeau – comme vous le savez, l’équilibre est difficile à trouver.

 

« L’art de produire des lâches »

Cet ami parle par amour envers le pape François, pour l’Eglise, et je crois que tous, nous devons faire de même, mais en affrontant les défis que vous entendrez. Cette lettre commence donc simplement ainsi :

« François est passé maître dans l’art de produire des lâches. En prêchant le dialogue, l’ouverture et l’esprit d’accueil, et en mettant toujours en avant sa propre autorité, il fait croire que celui qui s’oppose à lui et à ce qu’il propose est un ennemi de l’Eglise. Or, ce n’est pas le sang des lâches qui est la semence de l’Eglise, c’est le sang des martyrs. Et Rome a été littéralement consacrée par le sang des chrétiens. Comme l’écrivait Tertullien : “Nous devenons plus nombreux, chaque fois que vous nous moissonnez : le sang des chrétiens est une semence.” »

Encore une fois, mon ami s’adressait à moi, mais je crois qu’il parle à chacun d’entre nous :

« Vous ne pouvez pas, en fait, vous ne devez pas aller à Rome et jouer gentiment. La Reine des martyrs vous a appelé et vous n’avez pas le droit de partager la vérité en morceaux. Après tout, ne nous a-t-on pas dit que la vérité nous rendrait libres ? Le Synode a rassemblé des lâches à Rome, ceux qui non seulement refusent de mourir pour Notre Seigneur et son Eglise, mais qui en réalité exigent la modification de ses vérités éternelles. Si vous jouez gentiment avec eux, vous vous moquez des martyrs. Et bien que le fait de jouer gentiment puisse vous permettre de ne pas être renvoyé, je cite à nouveau Tertullien. On se plaint généralement en disant : “Je n’ai pas d’autre moyen de gagner ma vie.” La réponse brutale à une telle objection pourrait être celle-ci : “Avez-vous besoin de vivre ?” Je vous le demande, Monseigneur, devez-vous vivre ? En fait, devez-vous vivre alors que vous avez été appelé à mourir ?

« Il est facile d’affirmer que le Synode n’a pas causé de dommages réels. Mais il a fait des dégâts incalculables en essayant de dévaloriser ce que le Christ a proclamé comme justifiant le don de sa vie, et pour lequel Il a effectivement versé son précieux sang. Permettriez-vous maintenant à celui-là qui a écarté le vrai pape et qui a tenté de s’asseoir sur une chaise qui n’est pas la sienne, de définir ce que l’Eglise doit être ? (…)

« Le Christ a proclamé le caractère sacré de la vie. Elle ne peut être que sanctifiée, parce qu’Il l’a créée. Et il est mort pour elle. Et pourtant, cet usurpateur de la chaire de Pierre a compté la vie pour rien, car il a mis des âmes en danger en proclamant qu’elles sont justifiées devant Dieu, telles qu’elles sont, sans avoir besoin de se repentir. Il a accueilli ceux qui glorifient l’avortement et n’a pas proposé de correction, comptant ainsi pour rien la vie de tous les bébés qui ont péri de cette manière. Ignace d’Antioche a écrit : “Il est scandaleux de prononcer le nom de Jésus-Christ et de vivre dans le judaïsme.” En d’autres termes, il est scandaleux de prononcer le nom de Jésus-Christ et de vivre ensuite comme s’Il n’était pas venu. Ignace a également écrit : “J’ai de grandes pensées en Dieu, mais je m’impose à moi-même une mesure, pour ne pas me perdre par ma vanterie. Moi-même, bien que prisonnier, et en état de concevoir les choses du ciel, de connaître les hiérarchies des anges, les armées des principautés, les choses visibles et invisibles, je ne suis pas encore pour autant un vrai disciple.”

« Alors, Monseigneur, qu’est-ce qui fait de vous un disciple ? Soyez averti d’une chose. Jouer gentiment avec ceux qui attaquent la vérité ne fait pas de l’homme un disciple. Oui, l’Eglise accueille les pécheurs, mais elle les accueille dans la vérité, qui est Jésus-Christ. Et s’ils ne vivent pas dans la vérité, elle les appelle à la repentance. Comment pouvons-nous déclarer que nous les aimons alors que nous laissons périr des âmes en leur assurant qu’il n’est pas nécessaire de se convertir ? Jouez gentiment pendant que le diable conduit les âmes en enfer. Jouez gentiment pendant que François proclame que la voix du diable est la voix du Saint-Esprit. Les rues de Rome débordent aujourd’hui de lâches. Où est celui qui dira, avec Ignace d’Antioche : “Maintenant que je commence à être un disciple. Feu et croix, troupeaux de bêtes, lacérations, écartèlements, dislocation des os… tombent sur moi, pourvu seulement que je trouve Jésus-Christ” ? »

Comme je l’ai dit, ce sont des mots difficiles et ce qui m’a vraiment frappé, et s’il y a une chose que j’ai apprise et que je continue d’apprendre, c’est qu’il faut que je débarrasse ma vie, mon vocabulaire, du mot coïncidence. Nous devons voir agir la main providentielle de Dieu dans nos vies (…) lorsque nous voyons des choses significatives ; nous devons nous tourner vers la Providence avec les yeux de la foi.

Qu’y a-t-il donc de providentiel dans tout cela ?

Comme vous pouvez l’imaginer, lorsque j’ai reçu cette lettre, j’ai été un peu décontenancé, et cela s’explique en partie par le fait que mon ami a cité Ignace d’Antioche, car c’est le premier saint qui m’était venu à l’esprit. Bien sûr, nous avons célébré Ignace d’Antioche assez récemment dans le calendrier du Nouvel Ordo ; c’est le premier saint que je veux utiliser comme modèle de ce voyage d’Emmaüs dont je voulais vous parler et dont je vous parle enfin.

Je soumets ce matin à votre réflexion, alors que nous sommes réunis dans un esprit de foi, le fait que l’histoire d’Emmaüs dans l’évangile de Luc est notre histoire. Nous sommes tous ce disciple anonyme sur la route d’Emmaüs. Et c’est essentiellement ce sur quoi je veux réfléchir avec vous ce matin. J’espère que vous conviendrez que la lettre de cet ami que je viens de partager avec vous nous rappelle, à chacun d’entre nous ici, hommes et femmes, clercs, laïcs, nous tous, cette partie de notre marche. C’est une étape très difficile de notre marche vers Emmaüs, dans la foi.

 

Mgr Strickland : « C’est pour cela que nous sommes nés »

Mais comme je l’ai déjà dit, j’espère pouvoir continuer de nous rappeler, à moi-même et à chacun d’être joyeux, d’être conscients que nous vivons pour ce en vue de quoi nous sommes faits. Je veux également souligner ce que disait Jeanne d’Arc. C’est pour cela que nous sommes nés. Que chaque personne présente dans cette salle l’intègre. Parce que je le crois vraiment ; et croyez-moi, je pense que beaucoup d’entre nous se disent : « Aurais-je pu naître à une autre époque ? »

Mais, vous savez, l’ironie, ou encore une fois, la Providence, c’est que je suis ici en train de célébrer un anniversaire plutôt marquant avec tous ces nouveaux amis : pour la plupart d’entre vous, je ne vous avais jamais rencontrés avant hier – hormis John Henry et certains membres de son équipe que j’ai eu la chance de connaître auparavant – mais c’est providentiel. Je n’avais pas l’intention de dire que c’était mon anniversaire, mais bien sûr, vous le savez, on n’a pas besoin de faire beaucoup de recherches pour connaître la date d’anniversaire de tel ou tel. Mais je nous encourage tous à considérer cela comme providentiel.

 

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C’est pour cela que nous sommes nés. Quel que soit notre anniversaire – beaucoup d’entre vous sont plus jeunes que moi – nous sommes nés pour cela. Croyez que vous avez un rôle, un rôle important, et embrassez-le, tout comme les saints. Ce sont des personnes merveilleuses sur lesquelles nous nous efforçons de modeler notre vie. En évoquant l’histoire d’Emmaüs, j’ai pensé que le meilleur moyen de nous y plonger tous était de lire ces quelques versets de l’Evangile de Luc.

« Et voici que ce même jour, deux d’entre eux allaient dans un bourg, nommé Emmaüs, éloigné de Jérusalem de soixante stades. »

C’est une marche de sept miles (onze kilomètres). C’est un vrai voyage. Je ne sais pas quand j’ai marché sept miles pour la dernière fois, 10.000 pas ne me semblent déjà pas si mal, mais là il s’agit d’une marche de sept miles de Jérusalem à Emmaüs.

« Et ils s’entretenaient de toutes ces choses qui s’étaient passées. Or il arriva, pendant qu’ils parlaient et conféraient ensemble, que Jésus lui-même s’approcha, et marchait avec eux. Mais une force empêchait leurs yeux de le reconnaître. Et il leur dit : Quelles sont ces paroles que vous échangez en marchant, et pourquoi êtes-vous tristes ? Prenant la parole, l’un d’eux, nommé Cléophas, Lui dit : Etes-vous seul étranger dans Jérusalem, et ne savez-vous pas ce qui s’y est passé ces jours-ci ? Quoi ? leur dit-il. Et ils répondirent : Touchant Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en œuvres et en paroles, devant Dieu et devant tout le peuple ; et comment les princes des prêtres et nos chefs l’ont livré pour être condamné à mort, et l’ont crucifié. Or nous espérions que c’était lui qui rachèterait Israël ; et maintenant, après tout cela, c’est aujourd’hui le troisième jour que ces choses se sont passées. »

Encore une fois, providentiellement, je note ceci : « Celui qui rachèterait Israël. » En ce moment nous prions pour Israël, et pour tous les enfants de Dieu qui souffrent.

« Il est vrai que quelques femmes, qui sont des nôtres, nous ont effrayés. Etant allées avant le jour au sépulcre, et n’ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire que des anges leur ont apparu et ont affirmé qu’il est vivant. Quelques-uns des nôtres sont aussi allés au sépulcre, et ont trouvé les choses comme les femmes avaient dit ; mais lui, ils ne l’ont pas trouvé. Alors il leur dit : O insensés, dont le cœur est lent à croire tout ce qu’ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrît ces choses, et qu’il entrât ainsi dans sa gloire ? Et commençant par Moïse et par tous les prophètes, il leur expliquait, dans toutes les Ecritures, ce qui le concernait. Lorsqu’ils furent près du bourg où ils allaient, il fit semblant d’aller plus loin. Mais ils le pressèrent, en disant : Demeurez avec nous, car le soir arrive, et le jour est déjà sur son déclin. Et il entra avec eux. Et il arriva, pendant qu’il était à table avec eux, qu’il prit du pain, et le bénit, et le rompit, et il le leur présentait. Alors leurs yeux s’ouvrirent, et ils le reconnurent ; et il disparut de devant eux. Et ils se dirent l’un à l’autre : Est-ce que notre cœur n’était pas brûlant en nous, lorsqu’il nous parlait sur le chemin, et qu’il nous expliquait les Ecritures ? »

 

Le devoir d’un évêque et la conversion

Chers frères et sœurs, je crois sincèrement que la réflexion sur l’histoire de la marche vers Emmaüs nous donne à tous l’occasion de penser à notre propre voyage. Beaucoup d’entre vous ont fait un long voyage pour être ici pendant ces deux jours et, au-delà, nous partageons tous un voyage de vie. Ce matin, j’ai parlé à quelqu’un qui, comme moi, est né catholique et qui m’a dit qu’il était devenu vraiment catholique il y a environ cinq ans, et je peux en dire autant.

J’ai raconté mon histoire récemment lors d’autres conférences ; je la raconte brièvement pour en dire l’essentiel. J’ai toujours été un catholique fidèle, je croyais en la présence réelle, j’allais me confesser parce que j’en avais besoin. Les fondamentaux ont toujours été en place. Mais lorsque j’ai été nommé évêque et ordonné en novembre 2012, il s’est passé quelque chose, bien sûr ; quelque chose m’est vraiment arrivé. Mes frères et sœurs – j’ai grandi dans une famille de six enfants – vous diront : « Notre petit frère, Joe… (et pour une sœur, son grand frère) quelque chose est arrivé à Joe, il a changé. » Probablement c’est arrivé à beaucoup d’entre nous ici, que nous soyons nés catholiques ou convertis. Et nous avons la chance d’avoir des convertis en ce moment. Parce que vous les convertis, vous avez embrassé ce que j’ai par bonheur reçu comme un droit de naissance de parents qui m’aimaient. Mais pour me décrire davantage (et je ne pense pas avoir entendu quiconque utiliser ce terme, mais je l’utilise) : je suis ce que j’appelle un « deepvert » : un « approfondi ». Je ne suis pas un recommençant, je ne suis pas un converti, mais je suis allé plus loin. Et comme que je l’ai dit récemment, Marie m’a attrapé par le chapelet et m’a tiré vers le Sacré-Cœur de son Fils.

C’est la raison pour laquelle ce gamin d’Atlanta, Texas – attention, c’est au Texas, ce n’est pas Atlanta, Georgia – est ici à Rome pour vous parler à tous : c’est à cause de Marie et de son Fils. Nous savons tous que Marie ne pense qu’à son Fils, comme beaucoup de mères merveilleuses ; elle ne parle que de son Fils et nous renvoie à lui : repentez-vous et croyez en lui. Et j’ai cru. Mais je pense que la Vierge Marie a ajouté : Joey, nous avons besoin que tu te mettes au travail, que tu sois un berger. Et j’ai fait de mon mieux pour y répondre, avec la grâce de Dieu. Et comme John Henry l’a dit, le mérite de ce que j’ai fait revient à Marie, qui m’a tiré par le chapelet, m’a amené devant son Fils et placé dans son Sacré-Cœur eucharistique. Et depuis lors, ce qui me soutient, c’est ce temps passé avec Lui. Et je suis sûr que c’est le cas pour beaucoup d’entre nous ici. Je vous encourage à continuer à intensifier cela, parce qu’Il est vraiment là quand nous l’adorons dans l’Eucharistie, et qu’Il est la force. Il est ma source d’énergie. Et c’est pour cela que l’histoire d’une messe est si belle : c’est parce qu’il s’agit d’une histoire eucharistique. Je nous encourage donc tous à avoir confiance en notre foi, à être joyeux et forts, et à continuer à être de plus en plus forts, dans la présence du Seigneur.

 

La messe traditionnelle et le don des larmes

Vous avez pu voir ce matin, alors que je me tenais ici face à cette direction, que je célébrais seulement ma neuvième messe traditionnelle en latin, peut-être, car cela se voit : je suis encore en train d’apprendre. Depuis que j’ai commencé à me familiariser avec la messe en latin, tous les prêtres qui la connaissent bien m’ont dit : « C’est différent pour les évêques. » Je ne l’ai jamais connue en tant que prêtre, alors qu’est-ce qui va me sembler différent ? Mais comme je l’ai dit à quelqu’un, et c’est encore arrivé ce matin, le mystère de cette liturgie… Il y a eu encore un de ces moments… La toute première fois que j’ai célébré la messe en latin lors de la Fête-Dieu, le jeudi traditionnel du Corpus Christi en 2020, je pouvais à peine – et pourtant il suffit de chuchoter – mais je pouvais à peine dire les mots de la consécration, que je n’avais jamais dits auparavant en latin, car, en m’exerçant, je ne voulais pas simuler quoi que ce soit. Je n’ai donc prononcé ces mots que lorsque j’ai célébré la messe, et j’arrivais à peine à les sortir tellement c’était émouvant. Ce matin, cela ne s’est pas produit au même moment, mais j’étais à la limite de verser une nouvelle fois des larmes. J’ai parlé à l’un des prêtres ici présents qui est beaucoup plus versé dans ce domaine que moi, et il m’a dit qu’en fait, dans l’ancienne messe latine traditionnelle, il y avait une messe votive pour le don des larmes. Si vous ne pouvez pas être ému aux larmes en tant que prêtre qui se tient devant l’autel de Jésus-Christ et qui prend le pain et le vin pour qu’ils deviennent son corps, son sang, son âme et sa divinité, c’est que vous n’êtes pas vivant.

Comme je le dis aux prêtres avec lesquels je travaille dans mon diocèse, nous devons raviver cette stupeur, cette révérence et cet émerveillement devant ce que nous faisons, car « la familiarité engendre le mépris »… Pas du mépris, espérons-le, mais il est si facile, et c’est vrai pour nous tous, il est si facile de tomber dans la routine ; même avec la glorieuse messe en latin, on peut tomber dans la routine et s’engourdir en quelque sorte devant la merveille de chaque messe.

Et pour moi, c’est là que l’histoire d’Emmaüs est si belle. Nos cœurs sont brûlants, comme ils devraient l’être, à chaque fois. Humainement, c’est difficile à maintenir. Nous tombons naturellement dans la routine. Evidemment, je n’en suis pas encore là avec la messe en latin. C’est loin d’être une routine pour moi. C’est peut-être pour cela qu’elle provoque si facilement l’émotion. J’espère qu’avant mes 95 ans, si j’y parviens, j’y serai davantage habitué, mais j’espère que cela ne deviendra jamais une routine. Le sacrifice routinier du Fils éternel de Dieu qui meurt pour nous ? La routine ne devrait figurer nulle part dans ce vocabulaire. Et franchement, l’une des choses les plus frustrantes qui émanent du Vatican et qui sont soutenues au moins par le pape François : c’est l’assaut contre le sacré.

Le Seigneur, c’est Lui. C’est pour cela que je me retrouve dans le pétrin, parce que je ne peux pas Le renier. Je me fiche de savoir qui me dit : « Vous devez. » Je ne le puis.

Si vous me connaissez un tant soit peu, vous savez que je peux me montrer stupide. Nous en sommes tous capables. Peut-être moi plus souvent que vous tous. Mais, oui, je peux être imprudent. Mais je pense que l’imprudence qui prévaut – et la lettre de mon ami y fait en quelque sorte allusion – l’imprudence qui prévaut dans notre Eglise aujourd’hui n’est pas le fait de parler de manière inappropriée, comme il peut m’arriver de le faire. Je préfère cela au fait de ne pas parler lorsque c’est nécessaire. Absolument nécessaire.

Ainsi, l’histoire d’Emmaüs, pour moi, rend l’ensemble cohérent. (…)

L’histoire d’Emmaüs, je l’ai mise en évidence dans ces éléments : nous marchons avec le Seigneur ressuscité, et pour nous, comme pour les deux disciples qui marchaient sur ce chemin originel, il est souvent difficile de Le reconnaître. C’est donc le premier point. Comme je l’ai dit, cela devient une routine pour un prêtre qui célèbre à l’autel, ou pour vous et l’assemblée. Je l’ai déjà dit, (…) l’une des bénédictions propres au sacerdoce, c’est de célébrer la messe. Bien sûr. Mais je le fais d’une manière qui m’aide à prier. Je sais que tous ceux d’entre vous qui n’êtes pas prêtres dépendent du prêtre, de sa manière de célébrer la messe afin de vous aider à prier. Et je sais que vous avez des prêtres différents ; certains vous aident plus que d’autres. Mais ce dont nous devons nous garder, c’est de nous autoriser à ne même pas essayer de reconnaître le Seigneur.

Au cours de notre voyage à Emmaüs, oui, il est parfois difficile de le reconnaître. Nous nous laissons distraire. Nous le faisons tous. Nous pensons à autres chose, même dans les moments clefs de la messe, de cette marche. On pourrait dire que le chemin d’Emmaüs, c’est la messe. Mais pour moi, il est lié à tous les aspects de notre cheminement de disciple. Ainsi, le premier élément de l’histoire d’Emmaüs est, pour moi, qu’il est difficile de Le reconnaître. Les disciples marchent avec le Seigneur ressuscité, ils ne savent pas à qui ils parlent, mais leur cœur est brûlant.

Un autre élément de l’histoire qui me semble significatif pour nous tous est le suivant : nous ne marchons pas seuls, mais souvent nous ne savons pas grand-chose de ceux avec qui nous marchons. Nous savons simplement que nous sommes des compagnons de route : pour moi, c’est ce qui est mis en évidence dans l’histoire elle-même. Je pense que c’est un beau cadeau qu’il s’agisse d’un disciple anonyme. D’après ce que j’ai compris, certains spécialistes des écritures ont la théorie, peut-être correcte, qu’il s’agit de Luc lui-même. Peut-être… C’est une idée intéressante, mais je pense qu’il y a quelque chose de beau à propos de certains éléments du texte, à savoir que nous ne marchons pas seuls… Nous marchons en tant que disciples. Encore une fois, l’idée est que le Seigneur est là, même si nous ne le reconnaissons pas. Mais je pense que c’est important, parce que lorsque je parle aux gens et que les gens me contactent, je constate que de nombreux catholiques se sentent seuls, isolés, et se demandent s’ils sont les seuls à croire vraiment.

 

« Suis-je le seul évêque à y croire vraiment ? »

Franchement, je dois l’avouer : suis-je le seul évêque à y croire vraiment ? Mais où sont-ils ? Et je suis sûr que vous ressentez la même chose à propos de vos frères et sœurs dans les bancs des églises. Vous vous demandez s’il s’agit de zombies. Que se passe-t-il ? Nous ne jugeons pas, mais nous devons raviver cette ferveur, cette flamme dans nos cœurs et nous aider les uns les autres. Nous faisons le voyage ensemble. C’est l’un des principaux éléments de l’histoire d’Emmaüs. Ce n’est pas un disciple qui marche seul. Ils avaient si souvent été envoyés deux par deux. Ils sont toujours deux par deux. Cela nous rappelle que nous avons besoin les uns des autres.

Encore un élément. Il s’agit vraiment d’un pèlerinage, d’une distance à parcourir. Marcher jusqu’à Emmaüs prend du temps. Onze kilomètres. Certains d’entre vous ont peut-être fait le Camino. Onze kilomètres… Ce n’est qu’un bon début, mais c’est un vrai voyage. Au Texas, probablement pour la plupart d’entre nous, où que nous vivions, nous vivons dans une société très mobile, mais nous nous déplaçons dans des véhicules. Au Texas, je ris toujours parce qu’à Tyler, une ville d’un peu plus de 100.000 habitants, ce n’est pas une grande ville, mais même là, si quelqu’un marche, on suppose qu’il a besoin qu’on l’embarque. « Vous marchez ? Oh, votre voiture est en panne. » Ou bien : « Puis-je vous aider ? » On n’imagine pas que vous puissiez marcher par choix. Au Texas, les distances à parcourir sont longues. On prend la voiture, peut-être un vélo ou une moto, mais on ne marche jamais intentionnellement.

Mais il y a quelque chose d’important dans la marche, dans le voyage, dans le fait de prendre le temps. C’est pourquoi je suis sûr que beaucoup d’entre nous sommes attirés par l’idée d’un pèlerinage comme le Camino, mais c’est vraiment la marche d’Emmaüs qui est le voyage de toute une vie. Je peux considérer mon enfance à Atlanta, au Texas, ma première communion, ma confirmation, tout cela au même endroit.

Je ne suis pas allé bien loin – enfin, si, en ce moment ; pour ce qui est de la vie, je n’ai pas progressé de cent miles par rapport à l’endroit d’où je suis parti. Ce n’est pas aller très loin dans la vie, mais au cours de ce voyage vers Emmaüs que nous faisons tous, nous devons embrasser ce voyage comme un engagement.

Autre élément de l’histoire d’Emmaüs : nous avons une destination précise. Nous ne nous promenons pas sans but. Je pense que c’est important pour notre époque, en particulier. Je pense que beaucoup de gens dans l’Eglise, et certainement le plus grand nombre de ceux ne sont pas dans l’Eglise – qui dans notre diocèse et à Tyler a grandi au point que nous sommes près de 10 pour cent de catholiques, après une forte croissance de la communauté catholique – la plupart des gens n’ont aucune idée de ce qu’est l’Eucharistie et se contentent de dire que c’est un symbole, comme trop de catholiques, hélas.

Donc, nous ne nous contentons pas de nous promener sans but. Nous avons une destination, et c’est la vie éternelle avec Dieu. J’ai étudié le droit canonique, et j’aime à le citer. Dans le code de droit canonique, la toute dernière phrase affirme qu’il s’agit du salut des âmes. Il faut proclamer cela sur les toits de Rome. Il s’agit du salut des âmes. Il ne s’agit pas de nous installer confortablement sur le plan horizontal de nos quelques années de vie. 65 ans, c’est une goutte d’eau dans la vie de l’Eglise. Et c’est un point dont je pense que nous devons être particulièrement conscients : nous ne voyageons pas sans but. Quelle arrogance de ma part de penser que je peux tout comprendre et remodeler le monde en seulement 65 ans ! Oubliez tout ce qui veut faire du passé quelque chose de « dépassé », oubliez cette arrogance, ce décalage par rapport à la véritable signification de la vie. Nous devrions être mis au défi de faire l’inverse ; pour moi, c’est reconnaître mon héritage… Mon père était originaire de l’est du Texas, ma mère d’Australie, en passant par l’Irlande : tout cela commence à vous faire comprendre que vous venez de quelque part. D’autres personnes qui étaient sur le chemin d’Emmaüs comme nous ont eu l’arrogance de dire de notre époque moderne : « Oh, nous devons tout changer et tout façonner pour nous adapter au présent », au lieu de dire : « Faisons en sorte que notre présent soit en résonance avec ce qui a été. Afin de savoir ce qui sera. »

Deux ou trois choses encore au sujet du chemin d’Emmaüs. Nos cœurs sont brûlants. J’entends cela tout le temps, je peux le dire. Ce ne sont pas des brûlures d’estomac [heartburn], mais des brûlures d’âme. C’est savoir qu’il y a quelque chose de plus, qu’il y a quelque chose de plus profond, qu’il y a un mystère qui nous dépasse. C’est ce que vivent les disciples sur la route d’Emmaüs, et nous avons besoin d’y insuffler notre flamme.

Tout récemment, dans l’Evangile – nous l’avons déjà entendu à maintes reprises – nous avons entendu Jésus dire : « Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! » Je pense qu’Il parle de cette flamme qui brûle dans nos cœurs. Le Seigneur désire ardemment que nos cœurs soient enflammés par son Sacré-Cœur d’amour.

Pour finir, dans l’histoire d’Emmaüs, ce qu’il y a de plus évident : l’Eucharistie est toujours le moment, le lieu et l’acte de reconnaissance. Embrassons-cela. Attendons-nous à cela. Approchons-nous-en dès que nous en aurons l’occasion. Moi, en tant que prêtre, nous tous en tant que prêtres qui célébrons la messe, entrons dans la liturgie, qu’elle soit merveilleuse, immaculée, glorieuse et révérencieuse ou non, entrons-y dans l’attente de rencontrer une fois de plus le Seigneur ressuscité, celui-là même qui a marché avec ces disciples sur la route d’Emmaüs.

Vous connaissez très bien ces personnes. Comme je l’ai dit, c’est ce qui m’a vraiment frappé dans la lettre que j’ai reçue d’un ami : le fait qu’il parle d’Ignace d’Antioche. Ignace d’Antioche a tenu des propos assez difficiles. C’est l’histoire d’Ignace d’Antioche et de sa route vers Emmaüs ; c’est saint Athanase, luttant contre l’arianisme.

Je suis probablement un peu excessif, mais il m’est arrivé de dire : « Athanase, je pense que je peux m’identifier à vous. » Vous avez probablement entendu la phrase : « Athanase contre le monde. » Parfois, c’est ce que nous ressentons. Sainte Catherine de Sienne, une femme de foi audacieuse qui a instruit des papes ; saint Pierre Damien, vers l’an 1000, confronté aux horribles LGBTQXYZ de son époque ; sainte Jeanne d’Arc, l’une des grandes saintes d’Emmaüs. Comme je l’ai indiqué précédemment, elle dit que nous sommes nés pour ces temps, et que nous devons l’accepter. Saint John Fisher : encore une fois, la voix d’un évêque, seul, à l’époque d’Henri VIII… Sa voix s’est affaiblie : il a perdu la tête. Quelqu’un l’a mentionné, il m’a dit : « Monseigneur, ce n’est pas grave parce que, vous savez, il n’y a pas beaucoup de décapitations. Du moins, pas en ce moment. » La façon dont on se fait décapiter au 21e siècle est un peu plus subtile. Qu’on me décapite ou non – et cela ne signifie peut-être pas vraiment que l’on sépare la tête du corps – c’est ce que saint John Fisher a vécu pour avoir simplement dit : « Non ! Non ! Je ne vous déclarerai pas chef de l’Eglise. »

 

Les évêques d’aujourd’hui doivent dire non !

Et les évêques d’aujourd’hui doivent dire non ! Nous n’allons pas prétendre que la vérité peut changer. Oui, vous pouvez réécrire un livre appelé le Catéchisme, mais cela ne changera pas la vérité. Vous aurez simplement réécrit un livre qui s’appelle le Catéchisme. Et il serait insensé de le faire.

Puis il y a sainte Thérèse de Lisieux, une belle simplicité, un cœur si proche du Christ ; saint Maximilien Kolbe, pensez à son voyage à Emmaüs. Enfin, saint Jean-Paul II. Jean-Paul le Grand, comme j’aime l’appeler. Il a fait des erreurs sur son chemin d’Emmaüs, comme nous tous. Mais parfois, dans le monde d’aujourd’hui, c’est comme si on était « annulé » parce que, eh bien, vous avez fait une erreur. Vous avez péché. Je me suis dit que si c’était le critère, nous serions tous « annulés ».

Embrassons donc joyeusement le voyage d’Emmaüs dans lequel nous sommes tous engagés et qui se poursuivra tandis que nous rentrons tous chez nous. Pensez-y, priez à son sujet, laissez vos cœurs brûler pour le Seigneur qui est réel, et présent avec nous comme Il l’a promis. Deux mots pour vous laisser dans le contexte de ce voyage d’Emmaüs : Keep walking. Continuez à marcher.

Que Dieu vous bénisse.

 

Mgr Joseph Strickland, Evêque de Tyler, Texas

 

Propos retranscrits et traduits par Jeanne Smits