La science, religion séculière du monde moderne, en prend un coup avec la publication aux Etats-Unis d’une étude de Richard Harris, journaliste spécialisé de la radio publique américaine NPR, intitulée Rigor Mortis (Basic Books) et sous-titrée « Comment la recherche bâclée prône des traitements nuls, trompe l’espoir et dilapide des milliards ». A la clé de ce désastre médical, la « crise de la reproductibilité des résultats », diagnostique Harris, sur fond d’avidité avec la chasse aux subventions publiques. Pour qu’une découverte soit authentifiée, elle doit être reproduite. Or seulement la moitié des découvertes médicales annoncées à grand fracas dans les medias sont certifiées par des protocoles fiables et les deux-tiers des publications dernier cri, parmi lesquelles les découvertes de nouveaux gènes liés à l’obésité ou à la maladie mentale par exemple, sont infirmées par la suite.
La recherche médicale peut menacer la santé : Richard Harris donne l’exemple du cancer du sein
On est loin des marges d’erreur propres à la recherche scientifique et ces approximations finissent par entraver les véritables progrès en ce qu’elles consomment quantité d’énergie et d’argent : 28 milliards de dollars par an aux Etats-Unis, payés par les contribuables, selon Richard Harris.
Exemples. Depuis des années, la recherche sur le cancer du sein s’est basée sur des cellules malignes mal identifiées. De ce fait, des milliers d’articles publiés par des revues de référence étudiaient une mauvaise forme de ce type de cancer. « Il est impossible de mesurer à quel point ces travaux bâclés sur les mauvaises cellules ont fait régresser la recherche sur le cancer du sein », dénonce Richard Harris.
Une autre équipe a claironné avoir mis au point un test sanguin capable de détecter le cancer des ovaires, permettant ainsi une prévention par diagnostic précoce. Les médias s’en sont emparés sans vérifier, faisant leur unes et leurs ouvertures de journaux télévisés. Après plus ample informé, on découvrit que ce qui avait permis de valider ce test, c’était tout simplement que les chercheurs avaient deux lots sur deux journées différentes, toutes les femmes ayant un cancer des ovaires le premier jour, les autres le second. Plutôt que de mesurer les différentiels liés au cancer, le test avait en fait mesuré les différences d’un jour à l’autre dans l’appareil d’analyse.
John Ioannidis, défenseur du principe de reproductibilité, pointe les faux liens entre gènes et obésité ou dépression
S’opposant à cette science des paillettes, John Ioannidis, professeur à Stanford, grand promoteur du principe de reproductibilité et auteur d’un article intitulé « Pourquoi la plupart des résultats de la recherche publique sont faux », a ainsi établi que sur les milliers de publications établissant des rapports entre certains gènes et une foule d’affections, depuis l’obésité jusqu’à la dépression, seulement 1,2 % d’entre elles fournissaient des résultats scientifiquement fondés. Quarante-neuf études ont été citées plus d’un millier de fois alors que sept d’entre elles ont été catégoriquement démenties par des recherches ultérieures. L’une d’elles affirmait que les estrogènes et la progestérone étaient bénéfiques aux femmes ayant subi une hystérectomie « alors qu’en réalité leur administration combinée augmentait les risques de maladies cardiaques et de cancer du sein ».
Les raisons de ces ratés ? Pour Richard Harris, les résultats sont faussés et la reproductibilité est compromise tant par des biais inconscients – la façon dont les chercheurs analysent leurs résultats à travers les lunettes roses de leurs thèses préconçues – que par des questions pratiques, telles que la taille du gobelet ou la litière qu’ils offrent à leurs souris de laboratoire. Ce sont les raisons purement scientifiques.
La subjectivité de la recherche médicale se double de la recherche de l’étude révolutionnaire
Et puis, il existe des raisons trivialement budgétaires. Aux Etats-Unis, dans les années 1990, les budgets publics consacrés à la recherche ont été augmentés, avant que le Congrès ne décide de geler toute évolution sur la décennie suivante. Ceci a induit une compétition malsaine entre chercheurs. A ce jour, seulement 17 % des demandes de subvention sont satisfaites contre un 33 % il y a trente ans. Si l’on ajoute à cela le marché du travail extrêmement difficile pour les nouveaux diplômés (21 % seulement accèdent à un emploi stable), on voit pourquoi la tentation est grande de publier des résultats sensationnels bousculant les données antérieures, lesquels pourtant ont de fortes chances d’être invalidés à terme. « Il faut publier des résultats époustouflants pour obtenir une promotion ou un poste », dénonce Harris.
Aux Etats-Unis, deux organismes de vigilance surveillent le secteur de la recherche médicale et pharmacologique : Retractation Watch, qui examine les publications en temps réel, et Cochrane Group, réseau indépendant de chercheurs qui prône une médecine basée sur des preuves et comprend une antenne française. Quant au public, il peut jouer un rôle éminent, dit Harris : « En modérant notre enthousiasme, les scientifiques seront moins tentés de se précipiter le tête la première dans des théories fumeuses ».