Le message est clair. Il a été lancé notamment par le primat de l’Eglise syriaque orthodoxe Ignace Ephrem II Karim qui, à l’occasion d’une rencontre avec le président syrien Assad, a demandé à l’Occident d’« arrêter d’armer et soutenir les groupes terroristes qui détruisent le pays et massacrent le peuple syrien ».
Le propos paraîtra sans doute curieux aux politiques occidentaux, et notamment européens, puisque leur volonté affichée, Manuel Valls l’a encore répété dimanche en Jordanie où il rendait notamment visite au roi Abdullah, est de s’en prendre à ceux qui représentent une menace pour nos pays, à savoir Daesh – acronyme local de l’Etat islamique.
La raison de ce qui pourrait rapidement devenir un dialogue de sourds est assez simple. Pas plus Manuel Valls que ses pairs occidentaux ne veulent voir la réalité telle que, sur place, où l’on est assurément mieux placé pour l’observer, on la décline. Ils préfèrent s’en tenir tous à l’image qu’ils s’en sont forgée dans leurs cabinets, celle d’une opposition entre trois groupes : le pouvoir légal du président Assad, la rébellion modérée, et l’Etat islamique.
Les Eglises syriennes demandent à l’Occident d’arrêter d’armer les terroristes
La plupart des Occidentaux entendent soutenir la rébellion modérée contre les deux autres, à savoir contre l’Etat islamique et, de façon plus nuancée mais néanmoins réelle, contre Bachar el-Assad, dont ils ne veulent plus reconnaître le pouvoir, officiellement parce qu’il ne serait pas assez démocrate (et tant pis si l’idée est difficile à transmettre telle quelle en Syrie) ; en réalité, Assad a le gros défaut d’être soutenu par la Russie, et en retour de reconnaître l’influence de Moscou dans la région, ce qui n’a guère l’heur de plaire à Washington.
Dans cette optique, évidemment, l’idée d’une rébellion modérée tient d’autant moins que la plupart des groupes armés et payés par les Occidentaux ont disparu, la plupart du temps pour passer, avec armes et bagages, aux côtés de l’Etat islamique. Ce qui signifie que nous sommes peut-être en train de bombarder en Syrie des gens que nous avons nous-mêmes armés, dans l’espoir, très diplomatique mais irréaliste, d’aider à une transition politique modérée.
C’est pour répondre à ce fantasme qui se retourne contre les Syriens contraints, pour certains, de fuir leur pays devant la menace, que le patriarche syriaque souligne que la seule façon de régler la crise actuelle, la plus efficace pour revenir à la paix, serait de soutenir le gouvernement local, au lieu de le traiter lui-même comme un terroriste.
S’entendre avec le président Assad ?
« Les institutions d’Etat doivent être renforcées et stabilisées. Au lieu de cela, nous constatons leur démembrement forcé, ourdi depuis l’extérieur », souligne Ignace Ephrem II Karim. Et il précise, en mettant les points sur les i : « Nous reconnaissons les leaders légitimes et prions pour eux comme le Nouveau Testament nous l’a appris. »
C’est dans cette optique aussi que le patriarche, comme ses pairs d’autres Eglises, invite les chrétiens à demeurer sur leur terre.
C’est d’ailleurs ce que leur demande aussi Assad. « Je sais que vous souffrez, mais s’il vous plaît ne partez pas, la Syrie a été votre foyer pendant des siècles, bien avant l’arrivée de l’islam », déclare-t-il. Avant d’ajouter que leur présence sera nécessaire quand le temps viendra de reconstruire le pays dévasté.
C’est la seule voie, poursuit le patriarche, qui réduit, pour finir, l’idée d’une rébellion modérée à néant : « Nous constatons aussi que de l’autre côté il n’y a pas d’opposition démocratique mais seulement des groupes extrémistes. » Et il ajoute que ces groupes ont fondé leurs activités sur l’idéologie, qui a été apportée dans le pays « de l’extérieur, par les prédicateurs de haine soutenus par l’Arabie saoudite, le Qatar et l’Egypte ».
La crainte d’Ignace Ephrem II Karim est donc claire : que, en se prenant au pouvoir syrien, les Occidentaux ne laissent plus demain qu’un champ de ruines.
Poutine résout le problème
Il n’est d’ailleurs pas le seul à ainsi s’exprimer. A l’occasion d’un entretien accordé la semaine dernière à la Télévision suisse romande, Mgr Jean-Clément Jeanbart, archevêque grec-melkite d’Alep, a tenu des propos similaires et salué l’engagement militaire russe dans son pays.
Tout en étant bien conscient des intérêts que recouvre cette intervention, Mgr Jeanbart souligne que cette action redonne « espoir » à ses compatriotes, et sert « la cause des chrétiens ».
« Il y a un regain de confiance. Vladimir Poutine est en train de résoudre un problème et de nous sortir d’une situation inextricable », précise-t-il.
Face à cela, il dénonce notamment « la position extrémiste » de la France, qui s’obstine à ne pas vouloir entendre le président Bachar el-Assad.
Est-il possible que les dirigeants français, à défaut de relations avec le pouvoir syrien, entendent cet appel angoissé de dignitaires religieux qui craignent pour leur pays et leurs fidèles ?