Que la politique soit un spectacle, les empereurs romains l’ont su depuis Néron, le situationniste Guy Debord s’en est fait une situation, et Dupont-Moretti en espère une nouvelle carrière, mais que ce théâtre tourne à la farce révolutionnaire est une innovation des idéologues écologistes dont le Paris d’Hidalgo et la Seine viennent de donner une illustration éclatante. On se rappelle qu’un profond et violent mouvement s’efforce de modifier les lois pour que les animaux deviennent sujets de droit. En Amérique latine, des militants maximalistes ont poussé cette révolution aux extrêmes : selon Marine Calmet , présidente de Wild Legal, une ONG dont l’objectif est d’accorder une personnalité juridique aux écosystèmes en danger « les pionniers sont en Equateur où, par referendum en 2008, les citoyens ont reconnu les droits de la nature dans la Constitution ». Cela s’étend bien sûr aux fleuves : en Colombie, l’Atrato a ses droits, et, depuis 2017, le Whanganui, en Nouvelle-Zélande, les siens.
Hidalgo met la Seine en scène au théâtre de la Concorde
Une lagune d’Andalousie, la Mar Menor, est également passée « de simple espace écologique à celui de sujet biologique, culturel et spirituel ». C’est une première en Europe, de quoi faire verdir de jalousie Anne Hidalgo qui a commandité au théâtre de la Concorde un procès fictif pour défendre les droits de la Seine. L’argument était court : la société fictive « I love chimie » a rejeté des effluents dans le fleuve et « le tribunal a été saisi d’une plainte déposée à la suite de rejets de plusieurs matières chimiques extrêmement toxiques. Le 20 août 2024, on relève une contamination de la Seine. Les communes de Paris et Rouen sont particulièrement touchées par cet épisode de pollution sans précédent, et plusieurs centaines de milliers de poissons sont morts ». La culpabilité de la société est rapidement acquise, comme dans la vraie vie.
Maires, procureurs et présidents font leur théâtre écologiste
Mais la particularité de ce tribunal de théâtre est qu’il met en scène de faux acteurs, vrais acteurs du théâtre politique. Paraissent à la barre le maire de Paris, Anne Hidalgo, celui de Rouen, Nicolas Mayer-Rossignol et celui de Source-sur-Seine, 65 habitants, en Côte-d’Or, où le fleuve prend sa source. Et, à leurs places respectives, Jean-Michel Hayat, premier président honoraire de la Cour d’appel de Paris, qui préside, et Corinne Lepage, ancien ministre de l’Environnement, avocat de la partie civile (La Seine) : « Vous feriez œuvre de justice et vous vous inscririez dans la chaîne des décisions historiques en reconnaissant à la Seine un intérêt à agir. Ce serait lui permettre de prétendre à des mesures de prévention des risques, de se défendre pour que des mesures d’adaptation indispensables soient prises pour s’adapter aux changements climatiques. » Ce dont François Molins, procureur de la République honoraire, qui représente le ministère public, constate l’impossibilité, refilant le bébé aux politiques : « Le juge ne peut créer dans notre pays une reconnaissance de la personnalité juridique de la Seine. En l’état du droit, il faut être une personne physique ou une personne morale ; un fleuve n’est ni l’un ni l’autre. Pourtant, il a indéniablement des droits qui doivent être reconnus et protégés. Je vous demande dans votre jugement de renvoyer la question à la responsabilité du législateur, en soulignant l’intérêt qu’il y aurait à la reconnaissance de la personnalité juridique de la Seine. »
Depuis Robespierre les révolutions juridiques passent par le théâtre badin
Pour éclairer la représentation nationale, Marion Chapouton, membre du Groupement de recherche sur les institutions et le droit de l’aménagement, de l’urbanisme et de l’habitat (GRIDAUH), a rédigé un rapport sur l’attribution d’une personnalité juridique de la Seine qui « constituerait une avancée vers des droits spécifiques à la nature : la protection, la conservation, la restauration en cas de dommages environnementaux, et le droit de non-régression. La solution la plus satisfaisante est de créer une personne morale, et d’instaurer un exécutif pour représenter la Seine, un organe délibératif avec différents usagers (riverains, collectivités, associations…) et un comité scientifique ». Malgré la plaidoirie de Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière du barreau de Paris, les jurés (magistrats et spectateurs mélangés) ont décidé, sérieux comme des papes, d’attribuer à la Seine un statut de personne juridique, dans un bel élan d’animisme. Les révolutions commencent volontiers dans les jeux badins de sociétés littéraires : Robespierre, natif d’Arras comme l’ami Bidasse, jouait, alors avocat, à l’élégant des Lumières chez les Rosati de sa ville natale.
La Seine sert à Hidalgo et l’écologisme à mélanger les genres
Pour conclure, Anne Hidalgo, filant jusqu’à l’absurde la confusion des spectacles judiciaire et politique, a annoncé le lancement d’une Convention citoyenne tout ce qu’il y a de plus sérieux, « pour porter vers le législateur la proposition de loi qui pourrait reconnaître les droits de la Seine ». A partir du 6 février prochain, elle réunira chaque mois jusqu’en juin 2025 des citoyens tirés au sort « pour rencontrer, réfléchir, auditionner des experts du domaine environnemental, juridique et scientifique, dialoguer avec les acteurs économiques du fleuve, associations et institutions, et imaginer la transformation de notre cadre juridique pour travailler à la protection concrète des droits du fleuve ». Tout cela avec l’argent du contribuable : c’est pour n’avoir pas voulu comprendre où il convenait de faire des économies que Michel Barnier a subi la censure.