Amazonie : « La forêt est un être vivant conscient »

Amazonie forêt vivant conscient
 

L’association à but non lucratif NACLA (North American Congress on Latin America) a mis en ligne lundi un article-fleuve sur la défense de la jungle amazonienne en Equateur, menacée selon les auteurs par le « capitalisme » et l’exploitation pétrolière autorisée par le gouvernement dans une zone réservée aux indigènes Sarayaku. Il détaille les luttes judiciaires de ce groupe qui ont pris un tour nouveau signalé dans le titre : « La jungle est un être vivant conscient. »

NACLA est une association créée en 1966 en vue de critiquer « l’impérialisme américain » et se veut une source importante de recherches et d’informations au sujet de l’Amérique latine et des Caraïbes, avec la publication notamment d’un trimestriel, Report on the Americas, où l’on retrouve les thèmes habituels du gauchisme, du libérationnisme et de l’écologisme indigéniste. Il est intéressant de noter que parmi les deux donateurs ayant financé l’association à « plus de 5.000 dollars » (la somme réellement versée n’est pas précisée) figure le Rockefeller Brothers Fund. Intéressant…

« Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » C’est bien de l’immanentisme dont il est question, d’un concept qui débouche tout naturellement sur le panthéisme et l’idéologie de la Terre-mère. La communauté Sarayaku l’a adopté pour faire reconnaître ses droits sur ces territoires, droits déjà affirmés dans un premier temps par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (CIDH) en 2011 mais qui n’ont pas été respectés, selon ces autochtones.

Leur nouveau recours devant la Cour constitutionnelle de l’Equateur a reçu l’intitulé de Kawsak Sacha ou « Forêt vivante », et elle vise à créer « une nouvelle catégorie juridique qui reconnaît les forêts comme des êtres vivants et des sujets de droits », selon l’article de NACLA.

 

La forêt d’Amazonie, lieu du « bien vivre » indigène, tout un concept !

Plus précisément, « Kawsak Sacha propose que les forêts vivantes soient des zones exemptes d’extraction minière et pétrolière où les habitants peuvent réaliser leurs “projets de vie” conformément au principe kichwa du sumak kawsay (le « bien vivre », qui prône la « communion » avec tous les êtres). L’initiative Kawsak Sacha est unique au monde et offre un cadre juridique innovant et porteur d’espoir pour garantir les droits des peuples autochtones et des êtres non humains avec lesquels ils coexistent. »

Carlos Andrés Baquero Díaz a interrogé à ce sujet pour NACLA Patricia Gualinga, conseillère politique et juridique du « peuple autochtone Kichwa de Sarayaku ». Elle a participé à la COP23 et – chose essentielle à savoir – à la suite du synode sur l’Amazonie, elle a été nommée vice-présidente de la Conférence ecclésiale de l’Amazonie (CEAMA) qui assure la « promotion de la synodalité entre les Eglises de la région et qui aide à montrer le visage amazonien de l’Eglise ». Sa création résulte d’une initiative conjointe de la Conférence des évêques d’Amérique latine (CELAM) et du Synode des évêques pour la région pan-amazonienne.

 

L’enjeu des « peuples autochtones »

Mais avant de considérer le contenu de cet entretien, quelques précisions s’imposent. La « mobilisation » concertée des peuples autochtones ne s’est pas faite toute seule, on s’en doute. Elle a pris un tour spectaculaire lors de la Conférence de Rio sur le climat en 1992, CNUED – on sortait juste de la Perestroïka qui s’était déployée de 1985 à 1991, l’URSS venait de « tomber » et Mikhaïl Gorbatchev s’apprêtait dans la foulée de Rio à fonder la Green Cross International en 1993, dont il peaufinait ouvertement les contours depuis 1990. Le communisme évoluait vers son nouvel avatar…

A Rio, donc, les peuples indigènes arrivèrent en masse et très organisés (par qui ?) : « Les peuples autochtones du monde se sont préparés à la CNUED de manière aussi complète et approfondie que n’importe quel Etat du monde. Ils ont organisé leurs propres conférences préparatoires et ont également participé à des conférences parrainées par les Nations unies, afin d’établir une position à la CNUED sur un pied d’égalité avec n’importe quelle nation du monde », peut-on lire sur le site culturalsurvival.org.

Et le plan de l’ONU, l’Agenda 21 qui résulta de la conférence de Rio leur donna une très large place, affirmant par exemple reconnaître la « tradition holistique de connaissance scientifique de leurs terres, de leurs ressources naturelles et de leur environnement ». « Le texte fait également référence aux facteurs économiques, sociaux et historiques qui ont empêché les peuples autochtones de “participer pleinement aux pratiques de développement durable sur leurs terres” et préconise qu’ils “jouissent pleinement des droits de l’homme et des libertés fondamentales sans entrave ni discrimination” », précise cette même source.

Ce n’est pas pour autant que les peuples autochtones vont obtenir ce qui leur est promis, comme on en verra d’ailleurs l’exemple dans les propos de Patricia Gualinga. En revanche, ils sont bel et bien utilisés, manipulés pour que les « religions traditionnelles » (ou plus précisément le paganisme) soient intégrées dans le combat pour l’écologie, devenant une sorte de passage obligé pour atteindre les objectifs de la protection de la planète (ou Terre-mère). On aboutit ainsi à la promotion de plus en plus ouverte d’une religion païenne, panthéiste par le truchement d’une écologie « prétexte » qui veut y entraîner toutes les spiritualités – et même la foi catholique, si c’était possible, comme on l’a vu de manière plus nette au moment du synode sur l’Amazonie.

 

L’entretien de Patricia Gualinga, révélateur du paganisme profond de la « religion » écologique

 

Patricia Gualinga
 

Revenons à Patricia Gualinga et à son rôle en première ligne dans cette nouvelle affaire judiciaire engagée par sa communauté et elle la présente en utilisant la terminologie désormais habituelle de l’écologie et du développement durable : « Ce sont des peuples indigènes qui ont pris soin de cette vaste forêt amazonienne, qui est tellement menacée, mais qui est vitale pour l’humanité. Et ces peuples indigènes ont leurs propres propositions à partir de leur propre “cosmovision” et de leurs propres points de vue sur la façon de se comporter avec la nature. Sarayaku l’a appelé Kawsak Sacha ou forêt vivante. »

 

Un « être vivant et conscient », et forcément une personne sujet de droit

Rejetant les efforts de conservation écologique plus classiques, Mme Gualinga explique : « Kawsak Sacha recherche une nouvelle catégorie reconnaissant que la nature, la forêt, la jungle, est un être vivant conscient et donc un sujet de droits comme chacun d’entre nous. Et que cette catégorie soit reconnue dans le cadre de normes plus larges, et sous la responsabilité des peuples indigènes. »

Plus encore, il s’agit de « reconnaître par ce biais tous les êtres protecteurs et régénérateurs des écosystèmes qui se trouvent dans la nature. »

Ce militantisme vise à mobiliser d’autres peuples indigènes :

« Ils ont tous cette vision profonde et holistique de la connexion avec la nature. Le peuple Sarayaku a porté cette façon de voir les forêts amazoniennes dans différents espaces, dans des forums internationaux, dans des forums des Nations unies, dans des congrès mondiaux de l’UICN [Union internationale pour la conservation de la nature]. »

C’est un militantisme qui rencontre un vrai succès, souligne Patricia Gualinga : « Dans les espaces internationaux, nous avons constaté un grand enthousiasme. Par exemple, lors du 50e anniversaire de la déclaration des Nations unies sur l’environnement à Stockholm, l’expression “forêt vivante” a été utilisée d’entrée lors de cet événement international. Le mot résonne. »

Elle suggère que les Etats ont certes discuté de la question des jungles et de la forêt amazonienne, mais sans tenir compte des peuples autochtones à qui l’on laisse simplement un espace pour s’exprimer, mais sans conséquence.

« Les peuples indigènes sont marginalisés depuis des centaines d’années. La reconnaissance de la forêt vivante est une juste rétribution parce que nous continuons à prendre soin des forêts. Il ne faut pas qu’il y ait des pressions pour que d’autres peuples, un peu plus faibles, succombent à la tentation de l’extraction, par exemple. »

Cela va de pair avec la revendication d’une autonomie territoriale et de gestion, notamment pour la question du CO2, la conscientisation des autres peuples et la reconnaissance du rôle des femmes, selon elle.

 

Une militante de l’Amazonie, « forêt vivante et consciente », responsable d’une instance de l’Eglise catholique

Interrogée sur le rôle de l’Eglise catholique, Patricia Gualinga répond :

« Pour moi, il est intéressant de voir l’effort que l’Eglise catholique fait à travers le réseau ecclésial panamazonien et la conférence ecclésiale panamazonienne récemment créée pour comprendre les peuples indigènes, les écouter et les soutenir sur certains points très importants. Lors du synode amazonien qui s’est tenu à Rome en 2019, la protection de l’Amazonie a été incluse dans le document final. L’Eglise n’est pas liée au marché quant à la question des forêts, mais recherche plutôt la protection du territoire, en mettant l’accent sur les droits des peuples indigènes et le respect de toute la question de la consultation libre, préalable et informée. Les questions de l’eau, de l’éducation et de la santé commencent à apparaître comme des domaines de travail et sont incluses dans le document du synode. »

Et ajoute : « Je suis présente à la conférence ecclésiale pour donner un point de vue indigène et pour clarifier certains aspects qui peuvent être liés à la vision du monde des peuples indigènes. Je pense qu’il est un allié très important parce que le pape François est un porte-parole mondial et le simple fait qu’il mentionne, par exemple, la question de l’écocide, la destruction de l’Amazonie, le soin de notre maison qui est l’Amazonie ou d’autres écosystèmes vitaux, et qu’il encourage ses bases, la structure de l’Eglise, à aller dans cette direction, est fondamental. Il devrait y avoir d’autres espaces au même niveau. J’ai vu avec une grande joie les jeunes qui évoluent à ce niveau. »

Pour autant, interrogée sur sa vie dans le cadre d’un entretien organisé par l’université Assumption en 2015, elle ne s’était pas présentée comme catholique. Elle avait notamment déclaré :

« Je prie beaucoup, la prière m’a beaucoup aidée. Je demande aux êtres célestes et aux êtres de la nature de toujours me protéger et de me montrer le chemin. Que ce ne soit pas moi qui prenne la décision selon mes caprices, et cela m’a aidé. Même si c’est souvent terrible, le temps m’a donné raison. Si quelqu’un veut littéralement vous faire du mal et qu’il le fait, je ne fais rien pour le blesser en retour. Mais la nature et le temps sont les juges. Et c’est terrible de voir la punition de la nature et du temps, car rien ne reste impuni. C’est pourquoi je fais attention à ne pas faire de mauvaises choses, j’ai peur de faire des choses que je ne devrais pas faire, parce que je sais que cela me retombera dessus. Si je fais de bonnes choses, de bonnes choses en ressortent, mais si je fais de mauvaises choses, cela me retombera dessus. »

 

Patricia Gualinga dénonce le socialisme du XXIe siècle

Patricia Gualinga met aujourd’hui ses espoirs prudents en Lula, redevenu président du Brésil : elle explique dans son entretien avec NACLA avoir été déçue par le « socialisme du XXIe siècle » de Rafael Correa en Equateur, l’accusant d’être « allé de pair avec l’extractivisme » : « l’exploitation minière à grande échelle dans le Sud, sur le territoire des peuples indigènes Shuar, et l’ouverture de nouveaux gisements de pétrole ici, au centre, où nous nous trouvons ».

Pire : « Nous avions l’impression qu’il s’agissait d’un gouvernement totalitaire qui nous persécutait, nous criminalisait, nous poursuivait, nous intentait des procès. Et nous n’avons vu aucun changement dans ce que nous avions proposé en tant que peuples indigènes. Nous avons donc vécu une expérience très négative. »

Preuve, sans doute, de ce que l’écologie politique et idéologique (comme le communisme), utilise et exploite les problèmes réels ou supposés à d’autres fins que l’amélioration du sort des victimes, se bornant à se servir de leur charge dialectique…

Quoi qu’il en soit, il faut retenir ici une autre instrumentalisation de la lutte contre l’exploitation de la forêt amazonienne : la promotion de la nouvelle religion écologique qui dote la création d’une conscience propre et met l’homme au même niveau que la nature, ou plutôt en dessous, puisque qu’on a tôt fait de diviniser cette conscience universelle.

Et ce paganisme-là avance sous la protection de l’esprit amazonien dans l’Eglise…

 

Jeanne Smits