Avant d’étudier ce qu’écrivent sur le CO2 et ses effets les trois grands scientifiques qui ont versé leur rapport au procès en appel Shell contre MilieuDefensie et alii, dont le jugement sera rendu le 12 novembre, il reste à régler un point : leur témoignage, juridiquement recevable, est-il utile en la cause, du point de vue scientifique ? Autrement dit, quelle autorité a-t-il ? Doit-il être discuté au fond, contradictoirement, ou est-ce une opinion parmi d’autres ? C’est un point capital du débat sur le climat, où un public désorienté se trouve dans tous les cas sommé de se remettre à une autorité. Le rapport d’experts refuse à raison celle du GIEC et du prétendu consensus scientifique, opposant méthode scientifique et totalitarisme politique. Mais beaucoup d’écologistes et certains scientifiques mettent en cause la compétence, et l’impartialité, des auteurs du rapport. Qu’en penser ?
Trois sommités de la physique et de la méthode scientifique
Les trois auteurs du rapport d’experts sont William Happer, Steven E. Koonin et Richard Lindzen. Tous trois sont des hommes âgés. Le plus jeune, Koonin, est né en 1951. Tous trois sont bardés de diplômes, de distinctions, de prix, d’honneurs et de hautes fonctions. Lindzen est professeur émérite de sciences de l’atmosphère au MIT. Auteur de nombreuses découvertes, c’est un spécialiste du climat dès l’origine, puisque sa thèse de doctorat à Harvard portait sur l’interaction de la photochimie, du rayonnement et de la dynamique dans la stratosphère. Koonin, professeur à l’université de New York et Senior Fellow à l’Institut Hoover, a été sous-secrétaire aux sciences au ministère américain de l’Energie de mai 2009, après sa confirmation par le Sénat, jusqu’en novembre 2011. Happer, né en Inde de parents britanniques immigrés ensuite aux Etats-Unis, est un physicien de premier plan, auteur de nombreuses découvertes et de 200 articles dans des revues scientifiques « peer reviewed ». Il a été un an (2018 -2019) directeur du conseil national de sécurité des technologies émergentes. Il préside le conseil d’administration de la CO2 Coalition, « organisme à but non lucratif visant à éduquer leaders d’opinion et décideurs politiques et le public sur la contribution vitale du dioxyde de carbone à nos vies et à notre économie ».
La tactique du politique pour discréditer le scientifique
La première tactique utilisée pour discréditer le témoignage de ces experts est de suggérer un conflit d’intérêts possible qui jetterait un doute sur leur impartialité. Il a été relevé ainsi que Koonin avait travaillé 5 ans pour British Petroleum en tant que « scientifique en chef ». Quant à Happer, sa fiche wikipedia en anglais note qu’il « est en désaccord avec le consensus scientifique sur le changement de climat », et raconte comment, en 2015, Greepeace avait tenté de le piéger en se faisant passer pour un client lui demandant de rédiger un rapport sur les effets bénéfiques des émissions de CO2. Il répondit qu’il ferait le travail « pour l’amour de l’art », quitte à eux de donner quelque chose à la CO2 coalition. Une fois l’opération révélée, Happer a raconté comment il avait voulu aider son « client » à donner de la publicité à des vues qu’il exprime depuis longtemps : « Je n’ai jamais touché un centime pour enseigner au public que plus de CO2 est bon pour la planète. » Cette tactique se résume à : ils ont travaillé pour l’industrie pétrolière ou au ministère de l’Energie, ou pour réhabiliter le CO2, donc ils ne sont pas impartiaux. C’est comme si l’on disait, untel a travaillé pour le ministère de l’Environnement ou pour une ONG écolo, donc il n’est pas impartial. Les associations à but non lucratif, qu’elles soient « climatosceptiques » ou « climatocroyantes », travaillent toujours à convaincre leur public. Cela ne dit rien a priori sur la valeur de leurs travaux.
Le vrai débat : qui est climatologue ? Qui a le droit de parler du climat ?
L’autre tactique de dénigrement porte sur la climatologie, sa définition. Qu’est-ce qu’un climatologue, qui l’est ? Qui a voix au chapitre, en quelque sorte ? John F. Clauser, colauréat du prix Nobel de Physique en 2022 a dit en juillet 2023 : « Le discours populaire sur le changement climatique reflète une dangereuse corruption de la science qui menace l’économie mondiale et le bien-être de milliards de personnes. Une science climatique erronée s’est métastasée en une pseudo-science journalistique de grande envergure. » Une semaine plus tard, le FMI annulait la conférence qu’il devait y donner. De même, quand Ivar Giaver, lui aussi prix Nobel de physique (73) et ancien conseiller scientifique de Barack Obama, avait déclaré en conférence de presse devant d’autres collègues prix Nobel que présenter le réchauffement en « menace existentielle » était « ridicule », et accusé la NASA de « trafiquer » les données des températures mondiales, c’était tombé dans un océan de silence. Sans susciter ni controverse, ni procès : un grand rien.
L’astuce du totalitarisme : un clergé d’hyperspécialistes
Wikipedia, qui se veut, et est en effet, un bon thermomètre de l’opinion dominante, consacre deux lignes en fin d’article au « climatoscepticisme » de Clauser et note sans commentaire qu’« en raison de ses vues concernant le changement climatique, le Fonds monétaire international annule une conférence qu’il devait prononcer ». Voilà. Comme si c’était tout naturel, le totalitarisme politique se trouve justifié sans phrase lorsqu’il exclut une parole scientifique du débat. Quant à Giaever, sur le sujet, Wikipedia note qu’il n’a jamais mené de recherches sérieuses sur le climat et renvoie au site Skeptical Science dont l’article commence ainsi : « Nous voyons souvent des scientifiques venus de domaines étrangers au climat qui se croient suffisamment experts pour comprendre la science du climat. » Voilà résumé l’argument des partisans du consensus des spécialistes : seul un hyperspécialiste peut saisir et évaluer l’argumentation d’un autre hyperspécialiste.
Un informaticien fait l’affaire s’il va dans le sens du totalitarisme
Or, outre que la chose aurait surpris Pompidou, Boileau et Descartes, adeptes de la pensée claire, elle se trouve doublement infirmée par les faits. D’une part, les grands noms de la galaxie climatique ne sont pas tous des spécialistes. Ainsi Paul Crutzen, prix Nobel de chimie 1995 pour avoir mis à jour l’action in vitro des CFC sur l’ozone, célébré pour le grand fake de la menace sur l’ozone, était informaticien de formation. D’autre part, l’habitude de la science à haut niveau qu’ont notamment les prix Nobel de physique et les professeurs de grandes universités, et la pratique au même niveau de la méthode scientifique, permet d’apprécier la valeur des travaux de vulgarisation en climatologie. Le mythe de l’hyperspécialisation nécessaire n’est ici qu’un artifice rhétorique pour garder le monopole de la parole. C’est pourquoi Wikipédia ne prend pas la peine de citer ni de réfuter les déclarations de Giaever et de Clauser, elles sont en quelque sorte hors champ.
Une seule méthode : l’autorité, encore l’autorité, toujours l’autorité
Wikipédia en anglais met un peu plus de formes. Pour Happer, il cite une de ses phrases et la fait suivre de ce paragraphe : « Michael Oppenheimer, cofondateur de Climate Action Network, a dit que les déclarations d’Happer sont “simplement fausses” et que “la tendance des preuves mises à jour et l’opinion majoritaire des experts vont dans le sens d’une forte influence de l’homme sur la hausse globale des températures”. Climate Science Watch a publié une réfutation point par point de l’un des articles de Happer. » Si Wikipédia en anglais avait voulu donner raison à l’avertissement de méthode donné par le rapport d’experts dans le procès Shell, il ne s’y serait pas pris autrement. A l’opinion de Happer est opposée celle d’Oppenheimer et de Climate Science Watch, sans aucune discussion de la validité des arguments, des faits observés, ni de la méthode employée pour les interpréter ! Autrement dit, on est en plein débat d’autorité, sans la moindre analyse scientifique.
Ce grand scientifique a tort, plusieurs journaux le disent
Koonin a bénéficié en apparence d’un petit traitement de faveur. Wikipedia rappelle qu’il a lancé en 2017 dans le Wall Street Journal l’idée d’une étude contradictoire sur le climat au niveau fédéral américain, avec une « équipe bleue » et une « équipe rouge » qui compareraient résultats et analyses. Puis on ajoute que rien n’en est sorti – sans en donner la raison. On cite ensuite son livre paru en 2021 Unsettled: What Climate Science Tells Us, What It Doesn’t, and Why It Matters, traduit en français l’année suivante sous le titre Climat, la part d’incertitude. Mais son contenu n’est pas abordé. Il est seulement affirmé que le physicien Raymond Pierrehubert estime que son article dans le Wall Street journal est « une litanie d’arguments discrédités » avec « des pépites de vérités », sans préciser quels sont ces arguments ni comment ils ont été réfutés. Quant au livre, « les critiques l’accusent d’avoir choisi des données, de brouiller les pistes entourant la science du changement climatique et de n’avoir aucune expérience en climatologie » : encore une fois, aucun débat, aucune analyse, un argument d’autorité fondé sur le nombre, vaguement : « les » critiques.
Vous avez scientifiquement tort parce que nous sommes politiquement majoritaires
Si la partie consacrée au « climatoscepticisme » de Richard Lindzen est beaucoup plus longue, embrouillée et embarrassée, c’est que c’est un spécialiste du climat. Wikipédia doit signaler qu’il a commencé dès 1991 à mettre en garde le Sénat américain, signé en 1992 l’appel d’Heidelberg publié avant le sommet de Rio contre l’alarmisme irrationnel, exhorté Bush Jr à ne pas ratifier le protocole de Kyoto, demandé en 2017 à Trump à se retirer de la Convention des Nations Unies sur le changement de climat. Pour le dénigrer, Wikipédia use des deux tactiques conjointes. « 22 professeurs du MIT alors en poste ou à la retraite ont rapidement publié une lettre ouverte adressée à Trump disant que la pétition de Lindzen ne représente pas leurs points de vue ni ceux de la grande majorité des autres climatologues. » Ils étaient 22, ils doivent avoir 22 fois plus raison. Et : « The Guardian révèle en juin 2016 que Richard Lindzen a bénéficié de financements de la Peabody Energy, entreprise importante du secteur du charbon, qui a financé plusieurs groupes contestant le consensus climatique. » Etant donné que la quasi-totalité des recherches non climato-sceptiques est financé par des organismes privés ou d’Etat dont l’intention est de « prouver » l’origine humaine du réchauffement, en quoi est-ce scandaleux que d’autres fassent la même chose dans l’autre sens ?
Le totalitarisme refuse le débat avec l’un des plus grands climatologues
On voit que les partisans du réchauffement d’origine humaine refusent avec une constance sans défaut tout débat, toute comparaison contradictoire des faits et des arguments. Ils craignent particulièrement Richard Lindzen parce que c’est l’un des plus grands climatologues vivants. On lit en effet dans le curriculum vitae joint au rapport d’experts deux paragraphes instructifs. L’un pour les amateurs d’autorité : « J’ai reçu un prix de l’American Meteorological Society et de l’American Geophysical Union. Je suis membre de l’American Meteorological Society, de l’American Geophysical Union et de l’American Association for the Advancement of Science, ainsi que de la National Academy of Sciences et de l’American Academy of Arts and Sciences. J’ai été directeur du Centre des sciences de la Terre et des planètes à Harvard et j’ai fait partie de nombreux groupes d’experts du Conseil national de la recherche. J’ai également été l’un des principaux auteurs du troisième rapport d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) des Nations unies, pour lequel le GIEC a partagé le prix Nobel de la paix avec Al Gore. »
Richard Lindzen veut seulement discuter et comparer
L’autre est plutôt destiné aux amateurs d’information : « J’ai développé notre compréhension actuelle de l’oscillation quasi-biennale de la stratosphère tropicale, l’explication actuelle de la dominance des marées solaires semi diurnes et diurnes à différents niveaux de l’atmosphère, le rôle des ondes de gravité déferlantes en tant que source majeure de friction dans l’atmosphère, et le rôle de cette friction dans l’inversion du gradient de température méridien à la tropopause (où l’équateur est la latitude la plus froide) et à la mésopause (où la température est minimale au pôle l’été et maximale au pôle l’hiver). J’ai également développé la description basique de la façon dont la température de surface sous les tropiques contrôle la distribution de la convection des cumulus, et j’ai dirigé le groupe qui a découvert l’effet iris, où les cirrus de haute altitude se contractent en réponse à des températures de surface plus chaudes. J’ai publié environ 250 articles et ouvrages. » Quant à moi, j’avoue ne pas être sûre de tout comprendre, mais je suis convaincue en revanche, car c’est le fond du problème, si l’on ne veut pas tomber plus avant dans un totalitarisme politique à prétexte scientifique, qu’il est nécessaire aujourd’hui d’ouvrir un débat contradictoire où des scientifiques de ce niveau puissent opposer faits et méthode d’analyse à la Vulgate dont le GIEC est le principal diffuseur. J’ai été un peu longue parce que c’est un débat capital. Le procès Shell, dont on attend le jugement le 12 novembre, peut être d’une utilité historique, car les arguments donnés par le rapport sur les effets du CO2, eux, sont mis à la portée du public, pour que vous et moi la saisissions.