Trump rompt avec la doctrine de « reconstruction de nations » mais ne sort pas du bourbier d’Afghanistan

Trump doctrine reconstruction nations Afghanistan
 
« Nous ne reconstruisons pas de nations, nous tuons des terroristes ». Dans une allocution prononcée lundi à Fort Myer en Virginie, le président américain a effectué un retour aux fondamentaux de l’isolationnisme américain, au moins sur le principe : « Nous n’utiliserons plus de soldats américains pour construire des démocraties dans des contrées éloignées ou pour tenter de reconstruire d’autres pays à notre propre image. Cette époque est révolue. En revanche, nous allons travailler avec nos alliés et partenaires pour protéger nos intérêts communs. » Reste que l’Afghanistan, où l’Etat islamique et les talibans poursuivent leurs attaques, était lundi dans tous les esprits. Et, sur ce sujet, Donald Trump a utilisé un langage bien moins radical que celui de son ex-conseiller Steve Bannon, affirmant que les Etats-Unis continueront à coopérer avec Kaboul.
 

En Afghanistan, cinq piliers incluant la diplomatie et l’aide du Pakistan et de l’Inde

 
Les troupes américaines sont présentes en Afghanistan depuis 2001, à la suite des attaques du 11 septembre, mission en principe achevée depuis décembre 2014. Mais l’OTAN a pris le relais dès début 2015 sous la forme d’une aide aux forces du gouvernement afghan.
 
Pour Kristina Wong, analyste du site Breitbart, Donald Trump « ne fait que modifier à la marge » la doctrine américaine sur l’Afghanistan. Il laisse ainsi ouvertes de nombreuses portes en édictant cinq « piliers » : écarter tout calendrier concernant la durée de présence des troupes américaines ; utiliser tous les outils d’influence, y compris diplomatiques et économiques ; durcir le ton avec le Pakistan voisin ; pousser l’Inde à s’impliquer plus avant dans le développement économique ; enfin, multiplier les autorisations données aux forces américaines pour combattre les terroristes.
 
Donald Trump n’a pas précisé combien de personnels militaires supplémentaires seraient éventuellement envoyés en Afghanistan, tâche qu’il a confiée au secrétaire à la Défense Jim Mattis. Pour autant, il a dit que les Etats-Unis ne communiqueraient plus sur le niveau des effectifs ou les dates de retrait, laissant planer le mystère. Quelque 8.400 militaires américains sont actuellement présents en Afghanistan et le président aurait approuvé le principe d’en envoyer 4.000 de plus. « Ce sera la situation sur place, et non un quelconque calendrier arbitraire, qui guidera désormais notre stratégie », a dit Donald Trump, ajoutant que « Les ennemis de l’Amérique ne doivent en aucun cas connaître nos projets ou penser qu’ils peuvent attendre que nous partions ». « Je ne sais pas quand nous attaquerons, mais nous attaquerons », a-t-il prévenu.
 

Trump ne rompt pas vraiment avec la doctrine de la reconstruction des nations

 
Maniant la carotte après le bâton, il a toutefois lancé l’idée selon laquelle « un règlement politique pourrait inclure des éléments venu à la fois du camp taliban et du gouvernement afghan » mais a ajouté « que personne ne sait si cela pourra advenir un jour, ni quand ». Revenant alors à son corps de doctrine, il a martelé que c’était au peuple afghan « de prendre en main son avenir » et de « fonder une paix durable », répétant : « Nous n’allons pas redevenir des constructeurs de nations, nous tuons des terroristes. » Et d’ajouter, avec en toile de fond les 54 milliards de dollars que dépensent annuellement les Etats-Unis en Afghanistan : « Notre aide n’est pas un chèque en blanc. Le peuple américain entend voir se concrétiser de vraies réformes, de vrais progrès et de vrais résultats. Notre patience n’est pas sans limites. »
 
Le secrétaire d’Etat Rex Tillerson, intervenant à la suite du président, a déclaré que les Etats-Unis étaient prêts à négocier un accord de paix entre les talibans et Kaboul, accordant aux premiers une « légitimité politique » après des « négociations sans conditions préalables », mais avec une certitude : « Nous voulons démontrer clairement aux talibans qu’ils ne gagneront pas sur le terrain de la guerre ». Pourtant, les talibans se sont emparés début août de la localité stratégique de Mirzawalang, dans le nord du pays. Tillerson en a appelé aux pays voisins, en particulier au Pakistan « qui a grandement souffert du terrorisme » et à l’Inde, pour « aider à la modernisation politique et économique ». Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, saluant le discours présidentiel, a martelé que « l’Aghanistan ne redeviendra pas un sanctuaire pour terroristes ».
 

Ne pas répéter en Afghanistan, base arrière du terrorisme, l’erreur du retrait précipité d’Irak

 
Le discours de Donald Trump a pu décevoir ses partisans qui durant la campagne avaient été séduits par ses appels à faire cesser les coûteuses expéditions étrangères. Le président a d’ailleurs légitimé l’impatience des Américains après seize années de guerre afghane sans solution en vue : « Je partage la frustration du peuple américain au sujet de cette politique étrangère qui a dépensé trop de temps, trop d’énergie, trop d’argent et, par-dessus tout, trop de vies. » Mais il a enchaîné en assurant que « malgré (son) intuition initiale » qui lui commandait un retrait, il ne peut « pas répéter en Afghanistan les erreurs que nos dirigeants ont commises en Irak », où un retrait précipité avant la consolidation politique a déchaîné la désintégration du pays. « En Afghanistan comme au Pakistan, les intérêts des Etats-Unis sont clairs : nous devons enrayer la résurgence de bases arrières permettant aux terroristes de menacer l’Amérique », a-t-il dit, soulignant que dans ces deux pays vingt organisations terroristes étrangères étaient actives.
 
Reste que l’influence du conseiller Steve Bannon, limogé la semaine dernière, est bel et bien terminée, lui qui prônait une approche radicale en laissant les Afghans régler leur guerre civile. « M. Trump tombe dans le piège de ses prédécesseurs en croyant qu’une action militaire peut amener la paix en Afghanistan sans accord diplomatique général », écrit le spécialiste Rob Crilly dans le Telegraph de Londres.
 

Matthieu Lenoir