Trump change ses plans d’immigration, ouvrant la citoyenneté à 1,8 million d’illégaux – mais pose ses conditions

Trump immigration citoyenneté illégaux conditions
 
Difficile de voir en cette toute nouvelle proposition de la Maison Blanche, un retournement trumpiste, bien loin des déclarations de campagne du président, ou bien la recherche d’un consensus adoptable par le Congrès, mais assurant des restrictions pour l’immigration future… Les sénateurs eux-mêmes, républicains ou démocrates tiennent un discours hétéroclite, furieux ou satisfait, et nul ne sait ce qu’il va advenir du cadre proposé aux législateurs par Washington. 1,8 million d’illégaux pourraient se voir ouvrir la voie de la citoyenneté, en plus de l’amnistie, mais Trump a posé ses conditions. Le tout est de savoir si elles seront respectées.
 

Avec sa citoyenneté, Trump ferait mieux que le DACA d’Obama…

 
Tout est parti de l’abrogation du programme DACA, opérée par Trump en septembre dernier. Ce dernier protège encore jusqu’à mars ses bénéficiaires, les « Dreamers », ces adultes arrivés illégalement enfants sur le sol américain, à qui Obama a donné le droit de travailler et d’étudier aux États-Unis. Pour la suite de leur séjour, le Congrès doit trouver une solution.
 
Or, jamais, jusque-là, Trump n’avait parlé de « citoyenneté ». C’est la raison pour laquelle les annonces faites hier par son conseiller principal Stephen Miller ont fait l’effet d’un coup de tonnerre et que toute la presse s’est jetée sur ce gros os à ronger.
 
En plus des permis de travail accordés, ce dernier a en effet évoqué un processus de naturalisation, sur une durée de 10 à 12 ans, qui profiterait non seulement aux 690 000 « Dreamers », mais aussi aux individus qui, sans en bénéficier, y seraient éligibles – ce qui ferait arriver au chiffre de 1,8 million de personnes. « Je pense que c’est une bonne chose d’avoir une incitation pour, après un certain temps, pouvoir devenir citoyen » a déclaré Trump.
 
Pour le site Breitbart, cette proposition se rapproche trop des autres tentatives d’amnisties républicaines qui ont jusque-là échoué. Mais Trump y a ajouté son grain de sel – des contreparties qui avaient été pour la plupart déjà verbalisées à l’été 2017, dans le cadre d’une proposition de réforme globale de l’immigration légale.
 

Les conditions à la naturalisation potentielle de ces deux millions d’illégaux

 
En échange de ce qui est vu un peu vu comme un « cadeau » aux Démocrates, Trump réclame d’abord que ces nouveaux immigrés devenus légaux aient un statut révocable, c’est-à-dire assujetti à un bon comportement, des conditions de travail etc…
 
Il veut aussi du Congrès un financement de 25 milliards de dollars pour la construction d’un mur frontalier avec le Mexique, l’une de ses promesses de campagne les plus controversées et pour d’autres investissements importants en matière de sécurité à la frontière nord : « Si n’y a pas de mur, il n’y a pas de DACA. »
 
Il demande, en sus, à revenir sur le regroupement familial, « la migration en chaîne », souhaitant le limiter désormais au conjoint et aux enfants mineurs – ce qui limiterait de près de 25 % les chiffres de l’immigration légale qui équivaut à environ un million de personnes par an.
 
Enfin, la Maison Blanche demande l’abrogation du système de loterie, créé en 1990, qui attribue par an 50 000 visas de la diversité aux ressortissants de pays sous-représentés aux États-Unis. Trump réclame un accès « fondé sur le mérite ».
 

Une immigration illégale et légale révolutionnée… Mais dans quel sens ?

 
Retournement ? Recherche de consensus ? Pomme empoisonnée ? Les sénateurs eux-mêmes divergent, au sein de leur propre camp, quant à la pertinence et l’objectif réel du cadre. Certains Démocrates y ont vu une victoire, d’autres une décision « encourageante ». Un sénateur républicain a salué aussi un « plan réaliste », un second, une solution « généreuse et humaine, tout en étant responsable »…
 
Du côté de l’opposition, on trouve des Démocrates convaincus d’un « programme anti-immigrés haineux », d’un chantage odieux symbole d’une politique xénophobe qui équivaut à « un changement global au système d’immigration des États-Unis »… Mais aussi des Républicains choqués voyant s’envoler les promesses de campagne, à commencer par le plus fidèle soutien médiatique de Trump, Breitbart, qui a fait sa une, mercredi soir, sous le titre « Amnesty Don ».
 
Le magazine en ligne a donné la parole à Kris Kobach, Républicain du Kansas, qui a fustigé une « très mauvaise idée ». D’abord, selon lui, il y a une « forte probabilité » qu’il y ait une fraude massive en termes d’étrangers illégaux non admissibles. Et puis, surtout, il y a le risque qu’une future administration de la Maison Blanche puisse simplement « annuler » les exigences qui prétendent maintenir le plan d’amnistie de l’administration Trump à ces 1,8 million d’étrangers illégaux éligibles : ce qui pourraient conduire à amnistier la majorité des 12 à 30 millions d’étrangers illégaux actuellement dans le pays…
 
Le sénateur du Texas, Ted Cruz, n’a pas dit autre chose : « Pour une raison que je trouve totalement inexplicable, nous voyons des Républicains galoper à la gauche d’Obama » peut-on lire dans Bloomberg.
 

Ted Cruz craint un cheval de Troie

 
Certes, l’imprévisibilité trumpiste a encore frappé, dans cette négociation qui a eu lieu, une nouvelle fois, en direct avec les Démocrates (Trump a dîné avec leurs représentants mercredi soir). Reste à savoir si les conditions présidentielles sont de vraies conditions et ce que le Congrès en fera.
 
En s’en tenant aux chiffres, si ces dernières sont retenues, on peut calculer qu’en six ans, grosso modo, ce chiffre de 1,8 millions sera compensé par tous ceux qui n’auront pu obtenir leurs fameuses « green cards », sans compter qu’avec les dispositions prises, l’immigration illégale (11,4 millions actuellement) se verra mettre parallèlement un bon coup de frein.
 
Mais c’est aussi légaliser le principe même de l’amnistie, et prendre le risque d’un cheval de Troie. D’autant que Trump a parlé d’un « accord de phase II » éventuel, au nombre de bénéficiaires encore plus large… On est loin de ses déclarations de campagne !
 
En tout cas, comme le disait l’un des sénateurs démocrates du Minnesota, il semble clair que Trump « veuille voir quelque chose de fait sur (les destinataires du DACA) par voie législative ». Quel sera le vrai gagnant à et à quel prix, qui lâchera en premier, sur un sujet aussi sensible, aussi emblématique de la campagne de 2016 ? Il sera instructif de le voir.
 

Clémentine Jallais