L’histoire relève du on-dit, mais il n’est pas si impossible de l’imaginer exacte : un jour en 2019, alors que Donald Trump recevait à la Maison Blanche celui qui était alors président du Pakistan, Imran Khan, ce dernier se serait plaint au président américain de la volée de questions agressives que lui avaient posées les journalistes amassés devant le Bureau ovale. Memphis Barker, correspondant américain du Telegraph de Londres, raconte qu’une « source bien informée » lui avait rapporté la réponse de Trump. L’esprit y serait, sinon les mots exacts, et elle aurait fusé comme si elle avait déjà servi : « Ecoutez, vous vous débrouillez très mal. Chaque jour, je me réveille et je tweete le truc le plus fou qui me vient à l’esprit. La presse se jette dessus, et après je peux aller faire ce que je veux vraiment faire ailleurs. » Barker se demande si l’affaire de la prise de Gaza par les Etats-Unis n’est pas une annonce de ce style. Un poisson pilote, en somme.
De fait, quand Trump a promis de déplacer les Palestiniens de Gaza, d’y raser les ruines laissées par les attaques israéliennes, et d’en faire la « Riviera du Proche-Orient », les médias du monde entier se sont dressés pour dire leur indignation. L’idée de Trump a été prise au sérieux. Les pays arabes voisins – l’Egypte, la Jordanie, l’Arabie saoudite, le Qatar – ont multiplié les protestations : ils ne veulent en aucun cas accueillir des dizaines de milliers de réfugiés palestiniens. Pas même, semble-t-il, là où les travailleurs immigrés chrétiens sont les bienvenus pour occuper des emplois de service et de domesticité…
Le projet de Trump pour Gaza montre que personne ne veut des Palestiniens
En ce jeudi, Trump a insisté que le projet est sérieux : la bande de Gaza serait remise aux Etats-Unis par Israël à la fin des combats. Fureur du porte-parole du Hamas : « Nous n’avons besoin d’aucun pays pour gérer Gaza et nous refusons de remplacer une occupation par une autre. Gaza appartient à son peuple, ils ne partiront pas. » Emmanuel Macron et le président égyptien al-Sissi ont mis en garde contre tout « déplacement forcé de la population palestinienne » depuis Gaza ou la Cisjordanie.
Qui vivra verra.
Mais Memphis Barker observe dans les actions de Trump une mise en œuvre méticuleuse des conseils de son ex-conseiller, Steve Bannon. En 2019, rapporte le journaliste, celui-ci a déclaré à un animateur de podcast : « Le parti de l’opposition, ce sont les médias. Et les médias – parce qu’ils sont stupides et paresseux – ne peuvent se concentrer que sur une chose à la fois. Il nous suffit de faire une chose : inonder la zone. Chaque jour, nous les assommons avec trois choses. Ils “mordront” pour l’une d’entre elles, après quoi nous n’avons plus qu’à faire tout ce que nous voulons faire. Bang, bang, bang. »
Qu’est-ce qui a changé depuis la première présidence de Trump ? Le personnel qui l’entoure. Entre 2017 et 2020, il avait fait appel à des gens expérimentés, établis ; pas forcément prêts à le suivre sur ses coups les plus délirants, affirme Barker. « Aujourd’hui, il n’y a plus que des cracheurs de feu », assure-t-il : l’équipe présidentielle met tout en œuvre pour que le tuyau d’informations émanant de la Maison Blanche ne soit jamais à sec.
Gaza, « Riviera du Proche-Orient » ou poisson pilote ?
Que ses spéculations soient vraies ou fausses, l’activisme de la nouvelle administration Trump ne fait aucun doute : les décrets pleuvent, depuis le gel des aides internationales américaines de USAID aux mesures visant à sortir les hommes des prisons pour femmes et des sports féminins ; de l’annonce de droits de douane sur les produits mexicains et canadiens à la rétractation des mêmes contre des promesses somme toute modestes de surveillance des frontières…
Le tsunami est tel que les médias ne savent plus où donner de la tête : « Comment retenir un président qui n’arrête pas de bouger ? La réponse est simple : certaines des mesures prises par M. Trump tomberont devant les tribunaux (la tentative de mettre fin au droit du sol a déjà été suspendue), mais ils travaillent lentement et l’arriéré s’accroît d’heure en heure. »
Trump s’attaque au Fonds vert pour le climat, initiative onusienne
Aux dernières nouvelles, l’administration Trump vient d’annuler 4 milliards de dollars de promesses de dons au plus gros « fonds climatique » du monde d’un trait de plume : le Green Climate Fund, initiative onusienne. A ce jour, aucun autre pays n’est jamais revenu sur une promesse de subvention à ce dispositif central pour le transfert de fonds des pays riches aux pays-pauvres-menacés-par-le-réchauffement : le GCF a déjà approuvé des projets d’« adaptation au changement climatique » à hauteur de 16 milliards de dollars pour les pays en développement. Une aubaine… Le Fonds espérait mettre la main sur au moins 50 milliards de dollars d’ici à 2030 ; il va devoir revoir ses espérances à la baisse. Et son poids sur l’économie mondiale…
Vers la fin du Département de l’Education
Dans le même temps, l’administration Trump travaille à vider le ministère fédéral de l’Education de sa substance, alors que vient de tomber cette nouvelle : il n’y a plus une seule matière scolaire dans laquelle plus de la moitié des élèves formés par l’école publique atteignent des performances « suffisantes ».
Pour abolir le fameux Département de l’Education (créé en 1979 par Jimmy Carter), il faudra l’accord du Congrès américain. En attendant, Trump veut agir, et vite : par exemple en annulant et en cessant de subventionner toute activité des agences du ministère qui ne soit pas clairement de sa compétence statutaire, et en transférant certains pouvoirs vers d’autres Départements d’Etat. Objectif : rendre le pouvoir aux Etats en la matière, chasser toutes les mesures répondant aux exigences de l’idéologie du genre, « désengager le gouvernement fédéral de l’éducation ». C’est un premier pas, nécessaire, vers le libre choix de l’école et la restauration des droits des parents.
Et tout cela pendant que le monde et les médias ont les yeux rivés sur Gaza…
Que ce projet fou se concrétise ou non, il aura permis à d’autres de progresser hors des feux de la rampe.