Ce mois de juillet a vu passer des accords aussi importants que ceux de Munich et le pacte germano-soviétique : Ursula Von der Leyen au nom de l’UE et Donald Trump au nom des EU ont signé en Ecosse un « paquet » commercial hors du commun ; Vladimir Poutine pour la Russie et son homologue du Belarus Loukachenko ont décidé que leurs citoyens respectifs étaient aussi citoyens de l’autre partie contractante. Ce dernier accord revient, par-delà l’URSS, à un (très gros) embryon de l’empire des Tsars, quand l’accord UE-EU mène, lui, au-delà de l’alliance inégale née dans la guerre froide, à une inféodation de fait de l’Union européenne aux Etats-Unis. Ainsi Trump et Poutine, qui tous deux donnent la comédie de combattre la révolution mondialiste arc-en-ciel en défendant qui le primat de la nation américaine, qui le choix d’un pluralisme international équilibré, jouent-ils en fait chacun son rôle dans la farce tragique qui promeut inexorablement la gouvernance globale révolutionnaire.
Trump, chasseur d’arc-en-ciel ou personnage de comédie ?
Il est difficile de discerner à coup sûr, dans le flux incessant de ses initiatives et déclarations, la conviction profonde ni la stratégie de Donald Trump. On a pu se féliciter ici de son désir de paix, tant en Ukraine qu’au Proche-Orient, ou s’inquiéter de ses contre-marches, brutalités et rodomontades ; saluer sa sortie de l’accord de Paris, de l’OMS et de l’UNESCO, apprécier sa politique en matière de genre et d’immigration, ou en déplorer les limites ; louer sa clairvoyance face aux Chinois ou noter que les résultats du DOGE devant la prolifération des fonctionnaires fédéraux sont bien faibles : mais on croyait avoir à peu près fermement compris son désir d’en finir avec le libre-échange non maîtrisé, au profit des économies nationales. En somme, son bilan face à l’arc-en-ciel pouvait paraître globalement positif. Mais l’accord EU-UE qu’il vient de signer avec Ursula Von der Leyen change la donne.
L’accord UE-EU vassalise l’Europe et adoube l’UE
Trump, qui affectait au début de son second mandat de ne traiter qu’avec les chefs d’Etat et de ne voir dans la présidente de la Commission de Bruxelles qu’un haut fonctionnaire irresponsable, vient de signer avec elle un accord qui engage en principe, sous réserve de ratification, l’UE et les EU. C’est donner à l’UE et à ses plénipotentiaires non élus l’autorité qui leur manquait, d’autant plus forte qu’elle vient de quelqu’un qui s’oppose en théorie à leur usurpation. Et c’est d’autant pire que la personne morale chargée de ratifier la chose est le parlement européen : Donald Trump vient d’apporter une pierre capitale à la révolution mondialiste arc-en-ciel en posant la clef de voute de l’UE et scellant ainsi la répartition de la gouvernance globale en sous-ensembles continentaux.
Les clauses léonines des accords réveillent même Bayrou
Alors bien sûr, il l’a fait avec un sadisme à peine dissimulé, en président des EU qui accentue l’hégémonie de ceux-ci. L’accord signé avec l’UE est léonin et rappelle les traités inégaux que subit la Chine au dix-neuvième siècle. Non seulement l’Union européenne n’imposera nul obstacle aux Etats-Unis en contrepartie des droits de douane de 15 % que ceux-ci lui imposent, mais elle s’engage à leur acheter pour 750 milliards de dollars d’énergie, des armes pour l’Ukraine, et à investir 600 milliards de dollars supplémentaires. Là-dessus, notre ancien ministre des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, anone : « La protection des intérêts européens a été la seule boussole d’Ursula von der Leyen. (…) L’accord permet d’éviter une guerre commerciale dont les conséquences économiques auraient été désastreuses. » Et notre ministre délégué à l’Europe, Benjamin Haddad, se félicite que l’accord apporte « une stabilité temporaire aux acteurs économiques menacés par l’escalade douanière américaine ». En somme, il leur plaît, à eux, d’être battus. On comprend que le premier ministre François Bayrou dise du 28 juillet, date de l’accord, qu’il est un « jour sombre », et qu’il déplore la « soumission » de l’UE. Mais cela met en lumière la pauvre comédie qu’est devenue la politique de la France (et celle de l’Europe).
La trahison tragique des dirigeants de l’UE
Si en effet le Premier ministre français juge si mauvais l’accord passé entre l’UE et l’EU, deux voies s’offrent à lui : démissionner, la plus simple, ou le combattre de toutes ses forces, plus courageuse, mais pas très compliquée non plus : il lui suffirait de rappeler que les décisions de la Commission européenne n’engagent pas la France souveraine. Mais c’est précisément ce que lui interdisent et sa carrière, et ses convictions depuis longtemps affichées d’européiste. Son gouvernement, de même que le président Macron, a loué, promu, construit, ce dont il se plaint et dont il déplore, en paroles du moins, une décision. Plus, ils ont souhaité et conduit la guerre en Ukraine, le découplage entre l’économie de l’UE et celle de la Russie qui s’établissait depuis trente ans sous la forme : échange entre matières premières et hydrocarbures russes contre investissements des grosses entreprises européennes en Russie. De ce point de vue, l’achat de 750 milliards « d’énergie » aux EU et les 600 milliards d’investissements supplémentaires aux UE n’ont rien de tragique, ils sont dans le droit fil de la logique suivie depuis cinq ans par l’UE. Ursula Von der Leyen l’a d’ailleurs expliqué : « Nous avons encore trop de GNL russe qui entre par la petite porte. » Et elle s’est félicitée : « C’est le meilleur accord que nous puissions obtenir. »
Tragique impuissance ou comédie de l’indignation ?
Parce qu’il est le plus fort, Trump a donc imposé un accord qui bénéficie aux Etats-Unis tout en étant acceptable par la partie adverse : il a agi en bon chef américain et en bon négociateur. Mais quid de l’arc-en-ciel ? Jacques Attali, gourou mondialiste de tous nos présidents depuis Mitterrand, s’est fendu d’un message sur X où il peint l’accord UE-EU en « consternante capitulation » et en « folie ». Il déplore aussi « l’obligation d’acheter des armements américains ». Là encore, il y a ambiguïté : craint-il que la puissance de Trump nuise à la révolution mondialiste, ou peste-t-il seulement contre une mauvaise répartition des bénéfices de ventes d’armes à l’intérieur de cette révolution ? Une critique secondaire du ministre chargé de l’Europe Benjamin Haddad peut incliner à choisir la première solution. Il a regretté que les EU fassent « le choix de la coercition économique et du mépris complet des règles de l’Organisation mondiale du commerce ». Déjà repéré pour sa sortie de l’OMS, de l’UNESCO et de l’accord de Paris, Trump apparaîtrait ainsi en champion des nations contre l’OMC.
L’autre accord, entre Russie et Bélarus, ressuscite l’empire
Dans cette hypothèse, il pourrait avoir négocié l’accord léonin du 28 juillet pour discréditer l’UE et susciter la révolte de ses membres, menant à terme à la destruction de l’arc-en-ciel dans la confusion. C’est séduisant mais je n’y crois guère. Car le président des EU a bel et bien adoubé l’UE par cet accord, et l’a posé en pendant continental, partenaire et vassal de l’Amérique du Nord qu’il patronne. Cela converge avec l’autre accord signé ces derniers jours, dont on parle beaucoup moins, entre la Russie et Bélarus, qui peuvent désormais interchanger leurs ressortissants. Face à Trump, suzerain de l’Euramérique, Poutine s’installe en Tsar du bloc eurasiatique centré à Moscou. La guerre d’Ukraine a dessiné la ligne de démarcation des blocs arc-en-ciel. C’est si vrai qu’un Américain réfugié en Russie pour « échapper au wokisme », sorte de réfugié idéologique comparable et symétrique aux LGBT réfugiés d’Ouganda, envisage de s’engager dans l’armée russe contre Kiev. Il s’engagerait ainsi du côté de la Russie éternelle contre l’Occident arc-en-ciel.
Russie et EU jouent leur farce tragique dans la comédie arc-en-ciel
Dans cette farce tragique, Trump et Poutine jouent chacun son rôle. Quand Poutine dénonce la décadence morale de l’Occident et tous les excès de ridicule morbide mis en scène par le mouvement LGBT, il agite des vérités premières qui lui suscitent mécaniquement des sympathies dans la droite européenne, les chrétiens et les identitaires naïfs. De même quand Trump, débarquant sur le sol anglais, assassine dans une même phrase les éoliennes et la politique d’immigration des dirigeants de l’UE, adjurant ceux-ci d’en changer avant qu’il ne soit trop tard pour l’Europe, il a parfaitement raison. Mais dans les deux cas, il ne s’agit que de propagande pour ainsi dire électorale : Poutine et Trump n’ont en tête que leurs propres intérêts. Et ils travaillent tous deux, comme au temps de Staline et Roosevelt, à travers un condominium polémique, pour le progrès d’une gouvernance globale préparée par des blocs continentaux. Un signe ne trompe pas : à propos du Proche-Orient, Trump vient de dire en substance que Macron était un bon gars mais que « ce qu’il dit n’a pas d’importance ». Bien sûr, cela peut faire sourire, mais cela dévalue un peu plus la fonction présidentielle française, et, par elle, la cause des nations contre l’arc-en-ciel.