La presse britannique a été davantage intéressée que les médias francophones par le propos tenus jeudi à Madrid par le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker : sa présentation résolument pessimiste a trouvé un écho dans une nation où l’euroscepticisme s’exprime plus librement qu’en France. Il s’exprimait à Madrid où il a présenté une Union européenne au bord du déclin. Enumérant tout ce qui va mal au sein de l’UE, Jean-Claude Juncker n’en a pas moins plaidé pour davantage d’intégration européenne. On ne change pas une équipe qui perd !
Pourtant, les avertissements de Juncker sont des plus noirs. L’Union européenne est menacée d’un « déclin économique durable », a-t-il déclaré. « Sur le plan économique, nous voyons la fin des années glorieuses de l’Europe, en comparaison avec ce que font les autres. » A qui la faute ? Ce n’est pas de Juncker qu’il faut attendre un discours sur les dangers d’une construction déséquilibrée, exposée à une concurrence internationale où le libre-échangisme favorise la désindustrialisation du continent…
L’UE, une « vallée des larmes » ? Jean-Claude Juncker se trompe de références
Non, le président Juncker se lamente plutôt de voir l’Union européenne en mauvais état : le « rêve » d’un continent unifié est exposé au risque des « fissures et des fractures » des divisions nationales et des mouvements séparatistes. « Nous devons nous assurer de garder vivants les ambitions, les espoirs et les rêves de l’Europe », a-t-il lancé. Pour continuer sur la même voie ?
Les constats d’échec du président de la Commission ne sont pas de ceux qui se règlent en un tournemain. Aucun de ces échecs n’a été évité par l’UE à ce jour.
Les lamentations de Juncker ont le mérite de l’exactitude : la part de l’Union européenne dans la production mondiale tombera bientôt à 15 % du « PIB » mondial, alors que 80 % de la croissance est actuellement enregistrée en dehors de l’UE, a-t-il souligné.
L’UE souffre aussi du vieillissement de sa population ; elle abrite aujourd’hui 7 % de a population mondiale contre 20 % il y a cent ans, et le déclin continue : elle tombera à 4 % avant la fin du siècle alors que la population mondiale devrait atteindre les 10 milliards.
Le déclin démographique de l’Union européenne est irréversible : Juncker est pessimiste
« Nous sommes démographiquement affaiblis et nous le resterons », a martelé Juncker. Même avec l’afflux d’immigrés que nous constatons aujourd’hui, et sur lequel la réunion de Madrid se penchait tout particulièrement ? Sans doute. C’est dire que les Européens autochtones seront encore moins nombreux.
Cette question du déclin démographique européen est cruciale. Juncker a raison de le mettre en tête des problèmes que rencontre l’Union européenne en tant que telle – même si on comprend mal comment « plus d’Europe » pourrait remédier à cette tendance qu’il reconnaît d’ailleurs comme inéluctable. Démographie, puissance politique, croissance économique sont intimement liées. Et à ce jour, ce n’est jamais l’Union européenne qui a soutenu la démographie européenne, bien au contraire.
C’est l’UE qui, s’ingérant dans des domaines où elle n’a aucune compétence, favorise l’accès à la contraception ainsi que l’avortement légal. C’est elle qui exige l’entrée massive sur le marché du travail des femmes pour compenser le rétrécissement de la population active ; elle encore qui soutient toutes les mesures d’éclatement et de mal-être familial en finançant et en militant pour l’accueil socialisé des très jeunes enfants. L’Allemagne, moteur de l’Europe, souffre d’un vieillissement accéléré compensé par son savoir-faire technologique ; la Grèce, l’Italie, l’Espagne, le Portugal subissent de plein fouet le déclin lié à leur taux de natalité déprimés.
Continuons ensemble la marche vers le suicide : Juncker veut davantage d’intégration européenne
Quel espoir peut offrir cette Union européenne qui assiste impuissante à son propre suicide, quand elle ne le favorise pas ?
Voilà Juncker qui compare le projet européen à une vallée de larmes, « valle lacrimarum » : « Nous ne savons pas qui nous sommes, et nous ne sommes pas fiers de ce que nos prédécesseurs ont accompli de plus solide », a-t-il dit.
Mais c’est l’Europe elle-même qui a tourné délibérément le dos à ses racines chrétiennes qui lui ont donné son être et qui peuvent seules lui rendre sa sève de vie ! Cette Europe chrétienne qui sait le sens précis du « valle lacrimarum » – une supplique à la Vierge des pauvres exilés que nous sommes : des exilés qui savent que l’exil ne dispense pas du devoir d’état et de la nécessité de faire fructifier la terre selon les lois données par le Créateur…
Comment recréer de l’enthousiasme pour l’Europe ? A Madrid, c’était pour Juncker et pour son délégué Frans Timmermans la question numéro un. Juncker s’est engagé, lors d’un discours visant cette fois uniquement le Parti populaire européen (PPE), supposé « à droite », à focaliser les efforts sur « l’Europe sociale » – le droit à l’emploi – afin de gagner l’adhésion des gens « simples ».
Il faut oser, lorsque l’ouverture du marché européen à tous vents et l’empilement de réglementations tyranniques et tatillonnes ont réduit tant d’« Européens » au chômage… Mais « nous ne pouvons pas perdre les gens qui ont toujours cru en nous, les gens simples qui travaillent, qui ne sont pas moins intelligents que les élites. Ils ont toujours soutenu l’Europe et il s’agit de reconquérir leurs cœurs. »
L’Europe des gens simples contre les élites ? Là encore, il faut oser, au nom de cette Union européenne qui s’est construite contre les peuples au nom des super-élites, au mépris des scrutins populaires qui l’ont rejetée en France ou aux Pays-Bas, en faisant revoter l’Irlande quasiment le couteau sous la gorge…
Mais c’est l’histoire qu’on raconte. Celle qu’a reprise Frans Timmermans en dénonçant une crise du soutien à l’Union européenne : « Ce qui était inimaginable naguère devient imaginable aujourd’hui, à savoir la désintégration du projet européen », a-t-il déclaré alors qu’il intervenait de son côté devant le Forum des Amis de l’Europe à Bruxelles. « Les idéaux européens bénéficient encore du fort soutien de la population à travers l’Europe. Ceux qui n’apportent pas ce soutien fort, ce sont les hommes politiques européens et le monde politique européen. »
Ce n’est même pas habile.
En tout cas, les médias britanniques eurosceptiques se dont jetés avec gourmandise sur les lamentations de Juncker : ils y voient d’autant plus de raisons de persévérer.