De gros flocons de neige lundi sur les pins de Sophia-Antipolis près d’Antibes, des températures fortement négatives à Montpellier (-7°C) à 8 km de la Méditerranée avec neige ce mercredi matin sur les étangs, une chute du thermomètre à – 16°C mardi soir au-dessus de Lyon, la Seine au plus haut le mois dernier à Paris (avec une dramaturgie imposée à tout le pays), des congères cette semaine dans le Kent, au sud de l’Angleterre… toute l’Europe est saisie par un hiver froid, comparable à celui de 1956, dit-on. Les gros médias se déchaînent, appuyés par la météo, ravis de pouvoir parler d’autre chose que des sujets qui fâchent, de pouvoir inquiéter et distraire le bon peuple avec, outre-Manche, cette invocation surréaliste à la « Bête venue de l’Est » (the Beast from the East)… comprendre le froid sibérien. Les faits sont dramatisés, les populations sont infantilisées, accentuant un peu plus la prétention de l’autorité publique à jouer au deus ex machina. L’« urgence neige » commence avant même les premiers flocons
Sous prétexte « d’urgence neige », des trains supprimés outre-Manche avant les averses
Certes, il ne s’agit pas d’un hiver clément, d’un hiver « réchauffiste » même si le Figaro nous assène ce mercredi 28 février que les températures dans l’Arctique seraient « 30°C supérieures à la moyenne » (30°C !) sur la foi d’une scientifique de l’Institut de Potsdam pour la recherche sur le changement climatique. Il fallait bien une petite dose pour compenser. Pour autant, cet épisode européen est « relativement bénin », commente outre-Manche Philip Johnston dans le Daily Telegraph, ce qui n’a pas empêché certaines sociétés de chemin de fer outre-Manche de supprimer des trains avant même que la « Bête venue de l’Est » n’ait atteint les côtes d’Albion, sous prétexte d’une « urgence neigeuse ». De leur côté, les gros médias martèlent en boucle la survenue « d’épisodes neigeux ».
Le terme d’urgence neigeuse a été comme d’autres importé d’Amérique où le climat est bien plus marqué qu’en Europe occidentale – le courant du Labrador est moins sympathique que le Gulf Stream. Quand l’urgence neigeuse a été déclarée juste après Noël dernier dans la ville d’Erie en Pennsylvanie, il était tombé plus d’un mètre cinquante de neige. Ces jours-ci le sud de l’Angleterre en a reçu 15 centimètres. « Gênant, commente Johnston, mais en rien apocalyptique. » Il poursuit : « J’ai grandi dans le Kent et j’y ai connu plusieurs méchants hivers, mais je ne me souviens d’aucune fermeture d’école et on ne m’a renvoyé chez moi qu’une seule fois. Il fallait marcher dans le blizzard parce qu’il n’y avait pas de bus. Il fallait faire avec. » Or aujourd’hui, dans la même région d’Angleterre, « des centaines d’écoles sont fermées, causant d’énormes problèmes pour les parents salariés qui doivent échafauder des solutions de dernière minute ». Le service public est devenu singulièrement frileux.
En 1962-1963, un hiver de grand froid avait saisi l’Angleterre pendant deux mois
En 1962-1963, un grand froid similaire avait saisi l’Angleterre pendant plus de deux mois. Des congères de six mètres de hauteur s’étaient formées dans le Sud-Ouest et au Pays de Galles. Les villages étaient isolés et les lignes électriques coupées. Les réservoirs d’eau potable avaient gelé et des bouteilles avaient dû être distribuées aux particuliers. Les gens allaient eux-mêmes quérir du charbon dans les stocks des fournisseurs et dans des maisons sans chauffage central, on se couvrait pour avoir chaud. Côté sud, à l’hiver 1984, sur la côte ligure de l’Italie, la neige avait recouvert les voies de communications mais les trains roulaient quand même. En Provence voisine, la SNCF avait dépêché des locomotives diesel pour tracter des trains de nuit privés d’électricité. On savait se débrouiller sans avoir à en faire état à la télévision. La radio ne diffusait aucune mise en garde solennelle enjoignant les gens de ne pas s’aventurer à l’extérieur, et l’idée de « travailler depuis chez soi » était évidemment impensable sans internet et à l’époque de l’industrie lourde. Les écoles faisaient tout pour rester ouvertes plutôt que de choisir la solution de facilité de fermer.
Les populations infantilisées par les autorités car supposées incapables d’agir par elles-mêmes
En Europe, les autorités se permettent ainsi d’imposer aujourd’hui des consignes aux citoyens qui ont peu de rapports avec la réalité, se posant un peu plus en grands ordonnatrices du réel. Supposées incapables d’agir par elles-mêmes, les populations sont toujours plus infantilisées. Le système encourage une sorte « de contre-résilience ».
Au même chapitre, cette manière importée d’Amérique, où elles sont infiniment plus violentes, de nommer les tempêtes. Outre-Manche, la météorologie nationale a pris cette habitude depuis cinq ans, adoptée progressivement par la France. Un bon coup de vent automnal se voit gratifier du statut de tempête de catégorie 5 et dotée d’un prénom inquiétant. Elle se voit invariablement accompagnée de reportages en boucle sur les télévisions d’information en continu. Des reporters habillés en esquimaux bavardent devant une flaque ou une voiture au fossé pour mettre en garde et pleurer sur le bois cassé. Et, plutôt que d’appliquer froidement les mesures de prévention que la sécurité civile connaît par cœur depuis deux siècles, médias et politiques en profitent pour affirmer leur incomparable bienfaisance. Une pluie de recommandations submerge les populations, boire de l’eau quand il fait chaud, se couvrir quand il fait froid, porter des semelles qui accrochent quand ça gèle, etc…
Après la « Bête venue de l’Est », attendons-nous donc – le printemps n’est plus si loin – à la « Peste venue de l’Ouest » et ses grandes tempêtes atlantiques. Les TV en continu nous enjoindrons alors d’ouvrir nos parapluies et de ne pas stationner sous les arbres. Le grand cirque continuera.