Affolés par les trois cas d’Ebola enregistrés aux Etats-Unis à la suite de l’arrivée d’un passager infecté depuis le Libéria, des Américains commencent à réclamer des mesures coercitives comme l’interdiction des voyages aériens depuis et à destination des zones africaines de l’épidémie. Jeudi soir, 11 sénateurs et 59 membres de la chambre basse ont devancé l’appel en réclamant des restrictions imposées par voie gouvernementale. Les meilleures atteintes aux libertés individuelles sont celles que le peuple demande lui-même, fût-ce par le biais d’une peur exagérément entretenue.
Les Etats-Unis disposent déjà du cadre nécessaire à l’interdiction de certains voyages. Steve Vladeck, professeur à l’American University, souligne que les voyageurs supposés représenter une menace pour les Etats-Unis, et tous ceux consignés sur la liste « no-fly » (interdit de vol), peuvent être empêchés de prendre place à bord d’un avion qui s’y rend, sans autre forme de procès.
L’efficacité de l’interdiction en question
Si l’interdiction de voyager ne constitue qu’une version à grande échelle de cette pratique déjà existante, et si la Federal Aviation Administration est l’autorité qui logiquement en vérifierait le respect – c’est elle qui autorise, ou non, des avions à entrer dans l’espace aérien américain et à atterrir dans les aéroports américains – reste la question de son efficacité.
Car l’interdiction serait concrètement difficile à mettre en place si l’objectif est d’empêcher des personnes passées par l’Afrique occidentale à entrer sur le territoire américain. Les compagnies aériennes des Etats-Unis sont peu nombreuses à assurer des rotations vers l’Afrique occidentale : la plupart des voyageurs transitent par d’autres pays. Thomas Duncan, l’homme qui est mort d’Ebola dans un hôpital texan, est arrivé depuis Bruxelles.
Ebola en transit vers les USA
Il s’agit donc d’obtenir un partage d’information de la part des « amis et partenaires » à l’étranger, souligne Vladeck : les Etats-Unis arriveront-ils à convaincre les ministères du transport de nombreux pays à fournir toutes les données permettant de déterminer si tel ou tel n’est pas passé par une zone dangereuse ?
Autre complication : les Etats-Unis sont en droit de refuser l’entrée à n’importe quel passager non-américain, mais quid de ses propres citoyens, à qui les cours américaines reconnaissent la liberté de circulation ? Il faudrait au moins, assure le spécialiste du droit, que ces Américains aient la possibilité de prouver qu’ils ne constituent pas un danger pour la santé publique.
Des justifications douteuses au refus de l’interdiction de voyager
Pour Nick Calio, directeur du syndicat professionnel Airlines for America, il est plus important de mettre en place des procédures de dépistage permettant de mettre à l’écart des passagers potentiellement malades, que de mettre en place des interdictions générales qui « empêchent en réalité les efforts pour contenir la maladie dans les zones où elle se trouve déjà ». Tim Shenk, un porte-parole de Médecins sans Frontières, renchérit : sans les rotations régulières vers les zones affectées, il sera plus difficile de traiter les malades et d’y acheminer les ressources nécessaires.
Une interdiction générale aurait, ajoute Gabriel Mathy, professeur d’économie, des conséquences catastrophiques pour l’économie, en tant qu’indicateur d’un manque de confiance de la part des pouvoirs publics : le résultat serait une chute vertigineuse des marchés.
Du moins a-t-on le mode d’emploi pour organiser le chaos…