Ancien évêque auxiliaire du diocèse de Coire, le plus étendu de Suisse, Mgr Marian Eleganti, docteur en théologie polyglotte, n’a pas été pris dans les remous qui ont suivi Vatican II, puisqu’il est né en 1955 : il avait sept ans à l’ouverture du Concile, 10 à sa clôture et 14 lors de l’institution du Nouvel Ordo Missae par Paul VI en 1969. Il a toujours dit sa messe dans la « forme ordinaire », même si, avec l’âge, il a réappris la « forme extraordinaire » qu’il suivait enfant de chœur, et en a redécouvert, avec la beauté, l’efficacité. Dans le débat, ou le combat, sur la liturgie, il se place donc en observateur : « On reconnaît l’arbre à ses fruits », rappelle-t-il. Or il doit constater que « le printemps de l’Eglise n’a pas eu lieu ; ce qui est arrivé, c’est un déclin indescriptible de la pratique et de la connaissance de la foi ». Aussi demande-t-il « de toute urgence » une « réévaluation sincère de la réforme liturgique post-conciliaire ». En faveur notamment des jeunes qui, n’ayant connu ni l’avant Vatican II ni Vatican II, ne sont ni « progressistes » ni « traditionalistes », et qui constatent seulement, sans nostalgie, « l’impasse » où s’est fourrée l’Eglise post Vatican II, impasse toujours plus déserte malgré les agitations synodales.
L’évêque suisse était enfant de chœur avant et pendant Vatican II
Voici une traduction de l’article que l’ancien évêque auxiliaire de Coire, Marian Eleganti, a publié en anglais le 15 septembre sur le site The Remnant.
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Pas un « regard rétrospectif empreint de colère », mais une analyse critique des développements au sein de l’Eglise depuis le Concile Vatican II
Je suis né en 1955 et j’étais un enfant de chœur enthousiaste pendant mon enfance. Au début, je servais selon l’ancien rite, toujours un peu inquiet à l’idée de pouvoir me tromper dans les répons en latin, puis j’ai été reconverti à la nouvelle messe.
Enfant, j’ai été témoin de l’iconoclasme dans la vénérable église Sainte-Croix de ma ville natale. Les autels néo-gothiques sculptés ont été démolis sous mes yeux d’enfant. Il ne restait plus que l’autel face au peuple, le chœur vide, la croix dans l’arc triomphal du chœur, Marie et Jean à gauche et à droite sur des murs blancs et nus. De nouveaux vitraux expressifs, inondés par le soleil levant à l’est. Rien de plus : ce fut une mise à nu sans précédent. Nous, les enfants, trouvions tout cela normal et approprié et nous avons économisé avec assiduité pour payer le nouveau sol en pierre afin d’apporter notre contribution à la réforme ou à la rénovation de l’église.
L’euphorie du Concile a été répandue partout par les prêtres, des synodes ont été convoqués, auxquels j’ai moi-même participé adolescent. Je n’avais aucune idée de ce qui se passait.
Un printemps bientôt gris, des tensions très vite dans l’Eglise
A 20 ans, novice, j’ai vécu de près et douloureusement les tensions liturgiques entre traditionnels et progressistes. De nouvelles professions ecclésiastiques ont été introduites, comme celle d’assistant pastoral (généralement marié). Je me souviens de mes remarques critiques à ce sujet, car les tensions et les problèmes qui se profilaient lentement entre les consacrés et les non-consacrés étaient prévisibles dès le début. La chute du nombre de candidats au sacerdoce était prévisible et s’est rapidement manifestée.
Adolescent, j’ai soutenu sans réserve le Concile, et plus tard, j’ai étudié ses documents avec une confiance fervente. Néanmoins, depuis l’âge de 20 ans, j’ai remarqué certaines choses : la désacralisation du chœur, du sacerdoce et de la Sainte Eucharistie, ainsi que de la communion, et l’ambiguïté de certains passages des textes conciliaires. Je l’ai très vite constaté, moi qui n’étais qu’un jeune laïc sans formation théologique.
Même si le sacerdoce était depuis mon enfance l’option la plus forte dans mon cœur, je n’ai été ordonné prêtre qu’à l’âge de 40 ans. J’ai grandi avec le Concile, et dans les années qui l’ont suivi, j’ai pu en observer les effets depuis. Aujourd’hui, j’ai 70 ans et je suis évêque.
Pas de printemps dans l’Eglise, un alignement sur le monde
Rétrospectivement, je dois constater que le printemps de l’Eglise n’a pas eu lieu ; ce qui est arrivé, c’est un déclin indescriptible de la pratique et de la connaissance de la foi, une absence de forme et un arbitraire liturgiques largement répandues (auxquelles j’ai moi-même contribué en partie, sans m’en rendre compte).
Avec le recul, je porte un regard de plus en plus critique sur tout cela, y compris sur le Concile, dont la plupart ont déjà dépassé les textes, en invoquant toujours son esprit. Que n’a-t-on pas confondu avec le Saint-Esprit, que ne lui a-t-on pas attribué au cours des 60 dernières années ? Que n’a-t-on pas appelé « vie » alors que cela n’apportait pas la vie, mais la détruisait ?
Les soi-disant réformateurs voulaient repenser la relation de l’Eglise au monde, réorganiser la liturgie et réévaluer les positions morales. Ils continuent de le faire. Leur réforme se caractérise par la fluidité de la doctrine, de la morale et de la liturgie, l’alignement sur les normes séculières et une rupture postconciliaire impitoyable avec tout ce qui existait auparavant.
Pour eux, l’Eglise est avant tout ce qu’elle est depuis 1969 (Editio Typica Ordo Missae. Card. Benno Gut). Ce qui existait auparavant peut être négligé ou a déjà été révisé. Il n’y a pas de retour en arrière possible. Les réformateurs les plus révolutionnaires ont toujours été conscients de leurs actes révolutionnaires. Mais leur réforme postconciliaire, leurs desseins, ont échoué – sur toute la ligne. Ils n’étaient pas inspirés. L’autel face au peuple n’est pas une invention des Pères conciliaires.
Venue de l’extérieur, la réforme liturgique de Vatican II est un échec
Je célèbre moi-même, y compris en privé, la Sainte Messe selon le nouveau rite. Mais en raison de mon activité apostolique, j’ai réappris l’ancienne liturgie de mon enfance et je vois la différence, surtout dans les prières et les postures, et bien sûr dans l’orientation.
Rétrospectivement, l’intervention postconciliaire dans la forme très constante de la liturgie traditionnelle, vieille de près de deux mille ans, m’apparaît comme une reconstruction assez violente et provisoire de la Sainte Messe dans les années qui ont suivi la fin du Concile, qui a entraîné de grandes pertes qu’il convient de réparer. Cela s’est également produit pour des raisons œcuméniques.
De nombreuses forces, y compris du côté protestant, ont directement contribué à aligner la liturgie traditionnelle sur la Cène protestante et peut-être aussi sur la liturgie sabbatique juive. Cette démarche, menée de manière élitiste, perturbatrice et téméraire par la Commission liturgique romaine, a été imposée à toute l’Eglise par Paul VI, non sans provoquer de grandes fractures et déchirures dans le Corps mystique du Christ, qui subsistent encore aujourd’hui.
En Suisse comme ailleurs, le peuple erre dans une impasse déserte
Une chose est sûre pour moi : si l’on reconnaît un arbre à ses fruits, une réévaluation impitoyable et sincère de la réforme liturgique postconciliaire s’impose de toute urgence : honnête et méticuleuse sur le plan historique, non idéologique et ouverte comme la nouvelle génération de jeunes croyants qui ne connaissent ni ne lisent les textes du Concile. Ils n’ont pas non plus de problème de nostalgie, car ils ne connaissent l’Eglise que sous sa forme actuelle. Ils sont tout simplement trop jeunes pour être traditionalistes. Cependant, ils ont vu comment fonctionnent les paroisses aujourd’hui, comment elles célèbrent la liturgie et ce qui reste de leur propre intégration sociale religieuse par la paroisse : peu de choses ! C’est pourquoi ils ne sont pas plus progressistes.
Le catholicisme libéral ou le progressisme depuis les années 70, dernièrement sous la forme du Chemin synodal allemand, a fait son temps d’un point de vue actuel et a conduit l’Eglise dans une impasse. La frustration est donc grande. On la constate partout. Les messes du dimanche et des jours ouvrables sont principalement fréquentées par des personnes âgées. Les jeunes sont absents, sauf dans quelques rares lieux de culte très fréquentés (hot spots). La réforme se fait d’elle-même, car plus personne n’y assiste ou n’en lit les résultats.
L’Eglise vote avec ses pieds : elle fuit Vatican II ! Pourquoi ?
Comment peut-on encore aujourd’hui considérer la réforme postconciliaire de manière aussi peu critique et bornée, au vu de ses fruits ? Pourquoi un examen honnête de la tradition et de notre propre histoire (celle de l’Eglise) est-il toujours impossible ? Pourquoi ne veut-on pas voir que nous sommes à la croisée des chemins et que nous devrions revoir nos positions, notamment sur le plan liturgique ?
« Etre ou ne pas être », en termes de foi et de vie ecclésiale, se décide sur le terrain de la liturgie. C’est là que l’Eglise vit ou meurt. Les traditionnels et les progressistes l’ont bien compris depuis 1965. Pourquoi alors la tradition a-t-elle le vent en poupe chez les jeunes ? Qu’est-ce qui la rend si attrayante pour eux ? Réfléchissez-y ! On vote avec ses pieds, pas avec les conseils pastoraux. Peut-être devrions-nous simplement changer de direction ! Vous comprenez ?
Mgr Marian Eleganti